Rapprochement… sur la pointe des pieds
L’amélioration des relations entre les deux « pays frères » se confirme. Même si elle reste entourée de la plus grande discrétion .
Comme d’habitude, l’information a été rendue publique de manière laconique. Le 3 avril, citant « sous couvert de l’anonymat » une « source officielle au ministère des Affaires étrangères marocain », une dépêche de l’agence Reuters a annoncé la simplification des procédures de délivrance des visas aux expatriés algériens. Ce qui signifie que le fameux « visa de retour », qui contraignait les Algériens vivant au Maroc à faire viser leur passeport par les autorités quinze jours avant leur départ pour un pays étranger, a été supprimé. Faute de ce précieux document, lesdits résidents, même munis d’une carte de séjour en bonne et due forme, n’étaient pas autorisés à revenir dans le royaume. Cette obligation avait été imposée par le Maroc en août 1994, au lendemain de l’attentat contre un hôtel de Marrakech au cours duquel deux touristes espagnols avaient trouvé la mort. Officiellement, les auteurs de l’attentat sont de jeunes islamistes français d’origine maghrébine. Mais la police marocaine soupçonnait la Sécurité militaire algérienne d’avoir cherché à entraîner le royaume dans une spirale sécuritaire anti-intégriste.
Les relations entre les deux « pays frères » sont depuis toujours passablement tendues. À cause du soutien apporté par Alger au Front Polisario, qui revendique l’indépendance du Sahara occidental. Pourtant, pendant la guerre civile, les Algériens ont été nombreux à émigrer de l’autre côté de la frontière. Avant l’attentat de 1994, les ressortissants algériens dans le royaume étaient environ un million. Après, bien sûr, les choses se sont gâtées. À l’instauration du visa de retour et l’expulsion des touristes algériens, Alger a répliqué par la fermeture de la frontière terrestre et le rétablissement du visa pour les ressortissants marocains. Longtemps, les deux pays se sont ostensiblement tournés le dos, mais, depuis peu, une amorce de rapprochement est en cours.
Un intense ballet diplomatique a eu lieu l’année dernière. Mohamed Benaïssa, le ministre marocain des Affaires étrangères, s’est ainsi rendu à trois reprises à Alger, et Abdelaziz Belkhadem, son homologue algérien, est allé deux fois à Rabat. Au début du mois de février, plusieurs groupes de travail bilatéraux ont été mis en place. Une rencontre entre le président Bouteflika et Mohammed VI est annoncée pour cette année. On espérait qu’elle pourrait avoir lieu au cours du dernier sommet Afrique-France, à Paris, en février, mais cela n’a pas été le cas. Précédé d’une visite à Alger de Driss Jettou, le Premier ministre marocain, à l’invitation d’Ali Benflis, son alter ego algérien, le sommet devrait quand même se tenir, à une date qui reste à déterminer, au poste-frontière, récemment remis à neuf, de Zoudj B’ghal, appellation qui, littéralement, signifie les « deux mules ». Ironie involontaire, sans doute…
L’heure est donc à la détente. Outre la suppression du visa de retour, il semble, selon une source au ministère marocain des Affaires étrangères, que les procédures de délivrance des visas pour les Algérien(ne)s marié(e)s à des Marocain(e)s aient été allégées, mais on n’en sait guère plus : la plus grande discrétion, pour ne pas dire le secret, continue de marquer les relations entre les deux pays. À l’ambassade d’Algérie à Rabat, le mutisme est de mise. L’ambassadeur se trouve à Alger et aucune information ne peut être communiquée sans son aval. « Débordé de travail », un cadre de l’ambassade se borne à éluder poliment les questions. Ce manque de transparence est pourtant loin de refléter la nature des relations entre les deux pays.
Car même si, officiellement, la frontière terrestre est fermée depuis 1994, les échanges commerciaux n’ont jamais cessé. Quant au commerce informel, autrement dit la contrebande, il est florissant. Difficile, bien sûr, d’évaluer avec précision son importance, mais il ne fait aucun doute que cette économie parallèle constitue l’activité principale des frontaliers, des deux côtés. Chacun sait que le haschisch, spécialité du Nord marocain, et l’alcool (anisette notamment) sont acheminés à dos d’âne à travers la frontière. Mais le trafic ne s’arrête pas là. À Maghnia (50 000 habitants), à 15 km de la frontière, les Algériens peuvent trouver tous les produits made in Morocco dont ils sont friands : épices (safran, cumin, ras el-hanout), djellabas et broderies, tissus d’ameublement, bijoux, etc. Les vendeurs exposent leurs marchandises, dont l’origine ne fait aucun doute, au vu et au su de tout le monde. Leurs clients viennent de Sidi-Bel-Abbès, d’Oran, de Tlemcen et d’ailleurs.
Même les échanges officiels, régis par une convention bilatérale datant d’octobre 1989, n’ont jamais été interrompus. Selon les statistiques (provisoires) de l’Office des changes marocain, le montant des importations algériennes (produits alimentaires, énergie, produits manufacturés) a atteint 1,7 milliard de dirhams (155 millions d’euros) en 2002, alors qu’elles ne dépassaient pas 315 millions en 1990. Quant aux exportations marocaines vers l’Algérie, elles ont diminué de moitié pendant cette même période : 221 millions, contre 472 millions de dirhams.
De même, en dépit du gel des relations diplomatiques, quelques (rares) hommes d’affaires marocains n’ont pas hésité à investir dans le pays voisin. C’est le cas de Kamal Mernissi, président de Propharma, qui exporte des produits pharmaceutiques depuis le début des années quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, cette entreprise marocaine détient 1,22 % du marché des médicaments importés en Algérie. Et elle s’apprête à investir 15 millions d’euros dans la construction d’une usine à Boumerdès, près d’Alger. Le début de la production est prévu pour 2005. « Je suis maghrébin avant tout. Que ce soit au Maroc ou en Algérie, les pathologies et les thérapies sont les mêmes », explique Mernissi.
À l’instar de cet industriel, quelques membres de la société civile marocaine ont créé, au début de 2002, un collectif (J.A.I. n° 2200) qui ambitionne de contribuer à refonder l’UMA « sur la base de projets économiques communs », et notamment de la mise en place d’un « accès naturel » de l’Algérie à l’Atlantique, « via les territoires sous souveraineté marocaine ». Pour cela, il faudra naturellement que les politiques s’accordent. Et que les tractations aboutissent à l’établissement de relations diplomatiques nouvelles, capables de donner un second souffle aux relations économiques entre les deux « pays frères ».
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