Premier Bilan avant inventaire

Abdelaziz Bouteflika devrait solliciter, l’an prochain, le renouvellement de son mandat présidentiel. Avec quelles chances de succès ?

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 7 minutes.

Sauf accident, Abdelaziz Bouteflika devrait donc solliciter, en avril 2004, le renouvellement de son mandat présidentiel. C’est en tout cas la confidence qu’il a faite, à demi-mot, à Jean-Pierre Elkabbach, l’intervieweur vedette d’Europe 1, la station de radio française, le 4 mars. Si l’on a bien compris, le chef de l’État va, au cours des douze mois à venir, s’efforcer de mettre en valeur les aspects positifs de son bilan, de minimiser les ratés et les promesses non tenues, de soigner sa popularité, qui ne s’est jamais démentie en dépit de l’hostilité de la presse indépendante, et, surtout, de composer avec les ambitions de ses lieutenants. Au premier rang de ceux-ci, le Premier ministre Ali Benflis, patron incontesté du FLN, la première force politique du pays, qui fut son directeur de campagne en 1999 et qui, aujourd’hui, a quelques titres à faire valoir pour se lancer dans la course présidentielle.
Pour l’heure, ce dernier point ne constitue pourtant pas la priorité de Bouteflika (voir p. 38). La stratégie électorale sur laquelle son staff travaille actuellement comporte deux volets essentiels. Il s’agit d’accréditer l’idée : 1. que le programme du candidat « Boutef », en 1999, était trop ambitieux pour être mené à bien en un seul mandat et qu’un second est nécessaire ; 2. que tout ce qui a été réalisé depuis cinq ans est à porter à son crédit. De fait, le bilan de l’actuel chef de l’État est loin d’être négligeable.
Il y a d’abord l’indiscutable succès de la loi sur la Concorde civile, qui a largement contribué à réduire la violence islamiste qui gangrenait le pays. Depuis trois ans, le nombre des victimes du terrorisme a été divisé par dix. Décrétée le 13 janvier 2000, la « grâce amnistiante » a non seulement permis la reddition de quelque six mille maquisards islamistes, mais a également contribué à tarir les sources de recrutement des groupes armés, notamment dans les banlieues miséreuses des grandes villes.
On a beaucoup disserté sur des tensions supposées entre le chef de l’État et la hiérarchie militaire. Ni les déclarations réitérées de cette dernière, ni l’hommage rendu, en de nombreuses occasions, par le président aux forces de sécurité n’ont réussi à balayer ces spéculations. Pourtant, à y regarder de plus près, si le jugement des militaires à propos de Bouteflika a évolué, c’est assurément dans un sens positif. Il y a quatre ans, ils le considéraient comme le « moins mauvais candidat ». Aujourd’hui, ils ne sont pas loin de voir en lui le « moins mauvais président de l’histoire récente de l’Algérie ». Cette appréciation émane d’un général, membre du Département renseignement et sécurité (DRS)…
Certes, l’armée n’a toujours pas digéré la comparaison faite naguère par Boutef entre l’arrêt du processus électoral, en janvier 1992, et une interruption volontaire de grossesse. Mais elle n’a pas oublié non plus son attitude lors de la campagne médiatique déclenchée, en France, sur le thème de « Qui tue qui ? » On sait que les promoteurs de l’opération – certains journaux et maisons d’édition – mettaient ouvertement en cause la responsabilité de l’état-major dans les massacres de villageois et militaient pour la création d’un Tribunal pénal international pour l’Algérie. Or un seul homme politique s’était alors manifesté : « Si TPI il y a, je serai le premier à comparaître devant lui », avait déclaré Bouteflika. Les officiers supérieurs ont parfaitement conscience que l’honneur de l’armée a été plus efficacement défendu par cette prise de position courageuse que par l’action vainement intentée devant la justice française, en juillet 2002, par le général (à la retraite) Khaled Nezzar…
Question : dans quelle capitale européenne le chef de l’État s’est-il le plus fréquemment rendu, depuis quatre ans ? Paris ? Vous n’y êtes pas. La bonne réponse est Bruxelles, sans doute parce que la capitale belge abrite à la fois le siège de la Commission européenne et celui de l’Otan. Ministre de la Défense, Bouteflika a largement « délégué » ses pouvoirs au chef d’état-major, le général Mohamed Lamari. Les deux hommes se voient quotidiennement, en tête à tête. Les détracteurs de Boutef y voient la preuve qu’il se laisse dicter sa conduite par l’armée. Le rapprochement avec l’Otan, le projet de professionnalisation et la réduction de la conscription, le partenariat avec certaines armées étrangères… Tout cela figurait pourtant dans son programme électoral, en 1999.
Mais le président peut se prévaloir d’autres acquis, notamment la célérité avec laquelle les institutions réagissent désormais à l’imprévu. La région de Chlef (anciennement El-Asnam) porte encore les stigmates du séisme d’octobre 1980 (trois mille morts). Or les conséquences des dramatiques intempéries qui ont dévasté Bab el-Oued, en novembre 2001 (un millier de victimes), sont déjà, pour l’essentiel, surmontées. Le quartier a été totalement réhabilité, des centaines de familles relogées (malgré le déficit chronique en matière immobilière), des espaces verts et des rues piétonnes créés. Le tout en moins d’un an.
Quant au paysage économique, il a subi un sérieux lifting. La rigueur budgétaire et le respect de l’orthodoxie financière sont désormais la ligne de conduite du gouvernement. Résultat : pour la première fois depuis l’indépendance, les réserves de change du pays atteignent 22 milliards de dollars – une jolie cagnotte -, l’inflation est inférieure à 1 % et le taux de croissance a culminé à 3,6 %, en moyenne, au cours des trois derniers exercices (4,5 % en 2002). En dépit de ses sympathies libérales, le gouvernement a axé sa politique économique sur la relance de l’investissement public. Grâce au plan triennal lancé en 2002 (7,2 milliards de dollars) et à l’apport de crédits extérieurs (3 milliards), la période 2002-2004 est particulièrement faste pour ce qui concerne les investissements directs, même si on la compare avec l’époque de l’« industrie industrialisante » chère à Belaïd Abdessalam, le ministre de l’Économie de Houari Boumedienne, dans les années soixante-dix.
Est-ce à dire que la réélection de Bouteflika ne posera aucun problème ? Non, bien sûr. Car, en dépit d’un bilan à bien des égards satisfaisant, de sérieux écueils se dressent sur sa route.
Son grand problème est que la plupart des chantiers qu’il a lancés n’ont pas d’effets immédiats sur le quotidien des Algériens, qu’il s’agisse des investissements économiques ou des réformes entreprises dans les secteurs de l’éducation et de la justice. Et puis, en dépit de sa longue (vingt ans) traversée du désert, le chef de l’État n’est pas parvenu à faire oublier qu’il est issu du système du parti unique. Son incapacité à mettre fin à la tchipa, le bakchich à l’algérienne, est ainsi imputée à ses liens passés avec le sérail. La meilleure illustration en est sans doute ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Khalifa », du nom de ce milliardaire propriétaire d’un groupe tentaculaire qui s’est effondré dès le moment où Khalifa Bank, sa filiale bancaire, a été placée sous administration judiciaire. Le voile est en train de se lever sur une énorme affaire d’escroquerie au détriment d’entreprises et d’offices publics et de corruption à très, très grande échelle. Bouteflika qui, en 2000, avait manifesté une certaine méfiance envers l’ex-golden boy, s’est fâcheusement ravisé, n’hésitant pas à s’afficher en sa compagnie pour financer certaines opérations de relations publiques de la présidence de la République. Indiscutablement, son image en a pâti.
Autre dossier délicat : la crise kabyle. Le président algérien aurait pu et dû tirer profit de sa judicieuse décision de nommer une commission d’enquête indépendante dirigée par un juriste réputé par son intégrité, puis de rendre publiques les conclusions de cette enquête. Hélas ! alors que tout le monde s’attendait à des sanctions, il a pris le parti de ne rien faire et d’occulter la responsabilité des représentants de l’État dans le drame (une centaine de morts, lors d’opérations de maintien de l’ordre confiées aux gendarmes) qui a frappé la Kabylie, il y a deux ans.
Dernier dossier susceptible de contrarier la réélection du président : ses relations avec les syndicats et, singulièrement, avec l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Que lui reproche la centrale syndicale ? Sa démarche ultralibérale censée déboucher sur la privatisation de l’ensemble du secteur public (l’État est le premier employeur du pays), au détriment des intérêts du monde ouvrier. Paradoxe : en 1999, l’UGTA avait soutenu le programme électoral de Boutef, qui ne faisait pas mystère de la nécessité de privatiser pour sauver l’emploi. Progressivement, l’opinion a appris à opérer une distinction entre les membres du gouvernement en général et ceux que l’on appelle les « ministres du président », chargés des dossiers les plus délicats. Au nombre de ceux-ci : le projet de code des hydrocarbures, dans lequel médias indépendants et syndicats ont vu l’amorce de la privatisation de la Sonatrach, le groupe pétrolier géant. Levée de boucliers, grève générale (25-26 février)… Finalement, Bouteflika a annoncé, le 5 avril, le gel du projet de loi. Et s’il s’agissait là du véritable coup d’envoi de la campagne électorale ?

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