« N’oubliez pas de partir ! »

Dans une contribution à The International Herald Tribune, Ethan Bonner appelle les Anglo-Américains à méditer l’expérience malheureuse des Israéliens au Liban.

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Le but principal de l’opération militaire était d’éliminer la menace terroriste, mais aussi de remodeler le Moyen-Orient en installant un gouvernement pro-occidental. Les premières troupes, dans le sud du pays, s’emparèrent de villes à population chiite, dont les habitants se félicitèrent d’être débarrassés d’un régime tyrannique. Certains applaudirent même les « envahisseurs » étrangers.
Cela paraît une description de la guerre en Irak. Mais il n’en est rien : l’armée en question était celle d’Israël, le pays qu’elle envahissait se trouvait être le Liban, et cela se passait en 1982. Il s’écoulerait dix-huit ans avant que le dernier soldat israélien, fatigué et méprisé, ne finisse par s’en aller. Et bien que les événements historiques ne soient jamais exactement comparables, l’expérience d’Israël au Liban comporte quelques leçons de prudence touchant la guerre américaine en Irak.
Les parallèles sont frappants. Comme l’Irak, le Liban était, dès l’origine, un assemblage de quelques-unes des communautés les plus raffinées de la région, entre lesquelles la guerre civile n’attendait qu’un prétexte pour éclater. Il fut taillé dans l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale et réunit de force des groupes qui se haïssaient mutuellement. Après des querelles entre Français et Britanniques – témoignant d’une « répugnante bataille » pour le Moyen-Orient, selon le président américain Woodrow Wilson -, les territoires en question furent répartis en 1920 : la Syrie et le Liban étant attribués à la France, la Palestine et l’Irak à la Grande-Bretagne.
Au Liban, les Français confièrent le pouvoir aux chrétiens, s’aliénant les druzes et les musulmans. De la même manière, les Britanniques misèrent sur les sunnites en Irak, ce qui provoqua des années de discrimination pour les chiites et les Kurdes.
Tout comme la décision américaine d’entrer en guerre contre l’Irak, l’invasion du Liban eut pour prétexte un désir de mettre fin au terrorisme. Dans les années soixante-dix, des commandos palestiniens avaient créé une sorte de mini-État dans le sud du Liban, près de la frontière septentrionale d’Israël. Leurs infiltrations sur le territoire de l’État hébreu se traduisaient par des piratages et des prises d’otages. Dans le même temps, les Palestiniens nouèrent au Liban des alliances politiques qui menaçaient l’hégémonie chrétienne.
Certains chrétiens libanais sollicitèrent l’aide d’Israël, mais le gouvernement travailliste d’Itzhak Rabin se montra hésitant. Quand le likoudnik Menahem Begin devint Premier ministre, les Libanais trouvèrent en lui un interlocuteur plus réceptif et continuèrent à mêler pression et flatterie. Réélu en 1981, Begin se trouva alors très influencé par son belliqueux ministre de la Défense, Ariel Sharon. Bien que la frontière israélo-libanaise eût été calme depuis un certain temps, Sharon se répandit en disant que le Liban se situait « en tête de liste » quant aux préoccupations sécuritaires d’Israël.
Lorsqu’un terroriste palestinien tira une balle dans la tête de l’ambassadeur d’Israël à Londres, en juin 1982, l’invasion du Liban fut décidée. L’auteur du coup de feu venait d’un groupe dissident qui n’avait rien à voir avec l’OLP. Mais l’attentat fournissait le prétexte dont Sharon avait besoin. Les troupes israéliennes franchirent la frontière libanaise, liquidant les bases de l’OLP.
Puis les choses tournèrent mal quand Israël soutint l’élection de son allié chrétien Béchir Gemayel comme président. Gemayel fut assassiné peu après. Une semaine plus tard, les Israéliens permirent aux miliciens chrétiens d’entrer dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila où ils commirent un massacre.
Les Israéliens commencèrent à s’enliser dans le bourbier libanais. La violence étant partout et une autorité centrale nulle part, ils ne pouvaient partir, mais la présence de leurs troupes engendra plus de ressentiment encore et plus de violence. Pour protéger ses soldats, Israël mit en oeuvre d’énergiques mesures de sécurité, qui empêchaient les Libanais de se déplacer librement. Les habitants de la région apprirent rapidement à haïr leurs nouveaux maîtres. […]
On ne sait quels plans peut avoir Washington pour l’Irak d’après-guerre. Mais le risque est réel de s’engager dans les mêmes mésaventures qu’Israël. De très vieilles rivalités ethniques resurgiront. Il ne sera pas difficile de diriger contre les Américains la colère des uns et des autres. […]
Ze’ev Schiff, coauteur d’un livre sur la guerre du Liban, souligne que les problèmes les plus graves furent causés par la décision israélienne de rester. « Je me souviens, dit-il, de m’être trouvé à Jezzine, dans le sud du Liban. Je discutais avec un vieil homme, un chiite, qui se disait très heureux de ce qu’Israël avait fait. Puis il me saisit par le bras et ajouta : « N’oubliez pas de partir ! » Mais nous sommes restés. Il n’existe rien qu’on puisse qualifier d’occupation éclairée. »

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