Mondialisation atypique

En deux mois, le « syndrome respiratoire aigu sévère » a tué une centaine de personnes à travers le monde. Et semé la panique, car la recherche n’a pas encore trouvé les moyens de s’attaquer au virus.

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Même Julie Gerberding, la directrice du très réputé Centre pour le contrôle des maladies (CDC) américain, s’est laissé prendre par le vent de panique suscité par la pneumopathie atypique. Dans un éditorial publié par le New England Journal of Medicine, elle explique que « si le virus est plus rapide que nos capacités scientifiques, de communication et de contrôle, nous pourrions être lancés dans une course longue et difficile. La course a débuté. Les enjeux sont importants. Et l’issue ne peut être prédite. » Face à un tel discours, difficile de ne pas frémir. D’autant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également lancé une « alerte mondiale » accompagnée d’une recommandation invitant à différer tous les voyages à destination de Hong Kong et de la Chine – une première pour l’agence onusienne. Et alors que le 7 avril s’est produit le centième décès en l’espace de deux mois. La pneumopathie atypique progresse vite, provoque des troubles graves – parfois mortels -, se répand sur la planète et agit grâce à un agent causal inconnu. Bref, elle fait peur.
Cette pneumonie, connue également sous le nom de « syndrome respiratoire aigu sévère » (SRAS), est apparue dans la province du Guangdong, au sud de la Chine, au début de novembre 2002. Favorisée par l’autarcie des autorités chinoises, la « mystérieuse infection pulmonaire » progresse petit à petit. Jusqu’à ce qu’un homme, appelé le « cas zéro », franchisse les frontières du pays avec l’infection dans les poumons, se fasse soigner dans un hôpital de Hanoi, et en décède à Hong Kong, non sans avoir contaminé son entourage.
L’épidémie s’est alors répandue rapidement, utilisant tous les modes de transport, et en priorité l’avion. Résultat, des cas ont été recensés depuis le début de mars en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada, en Australie et dans toute l’Asie du Sud-Est. L’Afrique semblait, le 10 avril, encore épargnée (voir encadré). Les symptômes, identiques à ceux d’une pneumonie « typique », sont un état fébrile avec une température supérieure à 38 °C, de la toux, et une sensation de « souffle court » pouvant évoluer vers une insuffisance respiratoire aiguë.
Des signes, il est vrai, qui ne sont pas l’apanage du SRAS. D’où une certaine confusion. Toute personne fébrile et toussant peut être porteuse du virus ; elle a également une forte chance de ne pas l’être. Seul un récent voyage en Asie ou un contact avec un malade pourra affiner le diagnostic. Mais, compte tenu de l’absence totale de traitement, il convient, au moindre doute, de voir un médecin. En France, 240 personnes ont consulté parce qu’elles présentaient les signes cliniques de la maladie. Mais seuls deux cas ont été diagnostiqués, deux sont probables, un est suspect. Si le diagnostic est positif, le médecin doit isoler le malade et tenter de soigner les symptômes du SRAS, avec notamment la prise d’un antiviral.
Car la recherche n’a pas encore trouvé les moyens de s’attaquer au virus. Même si les plus grands laboratoires de la planète s’y sont attelés, aucun n’a mis au point de remède. Pourtant, les scientifiques ont fait preuve d’une certaine sagacité. Très vite, l’OMS a demandé aux plus éminentes équipes de virologues, dont celles des CDC américains et de l’Institut Pasteur de Paris, de travailler sur le sujet. Dans un premier temps, on a cru qu’il s’agissait d’un paramyxovirus, famille incluant les virus de la rougeole ou des oreillons. Ensuite, la piste s’est orientée vers un coronavirus, habituellement impliqué dans des infections oto-rhino-laryngologiques bénignes comme le rhume. Selon Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses, cette piste semble être la bonne, des malades ayant développé des anticorps contre ce virus récemment identifié.
Bien sûr, porter ce virus ne signifie pas forcément en mourir. Loin de là. Cette épidémie de pneumonie est loin d’atteindre le taux de mortalité de certaines autres, comme celle de la fièvre Ebola (50 % à 80 % de décès) ou celle de la grippe espagnole, qui tuait 25 % des malades en 1918-1919. Cette fois, le taux de mortalité ne dépasse pas 5 %. Et 90 % des malades guérissent en six à sept jours. Quant aux derniers 5 %, ils s’en sortent également, mais au prix de grandes souffrances. La panique liée à cette pneumopathie est consécutive à la vitesse à laquelle elle s’est propagée. En deux mois, elle a atteint un rythme de 150 nouvelles contaminations quotidiennes et 6 décès par jour. Si quatre continents sont touchés, cette épidémie reste majoritairement asiatique : la moitié des patients sont chinois, neuf sur dix vivent en Asie…
C’est d’ailleurs sur ce continent que les mesures de précaution sont les plus sévères. Les masques ont surgi dans le quotidien des Singapouriens, des Hongkongais ou des habitants de la province du Guangdong. Au bureau, dans la rue ou dans les transports en commun, tous se prémunissent. Il faut dire que le SRAS se transmet par voie aérienne (postillons). Pour garantir sa sécurité, on doit se tenir à plus de deux mètres de toute personne infectée. Une protection difficile à appliquer dans un bus, par exemple. D’autres moyens de transmission, comme l’échange d’objets, sont aussi envisagés. Une équipe médicale de Hong Kong a aussi émis l’hypothèse que les cafards puissent être vecteurs du virus, expliquant ainsi la contamination généralisée d’un immeuble.
Autre incertitude, la durée d’incubation, de deux à quatorze jours, et, surtout, le statut du malade pendant cette période : est-il ou non déjà contagieux ? Une interrogation à laquelle la science n’a pas encore répondu fermement.
Pour circonscrire au plus vite cette épidémie, certains États ont choisi la manière forte en isolant les malades. À Hong Kong, où l’on dénombre le plus de cas après la Chine, des mesures draconiennes ont été instaurées : un immeuble entier a été mis en quarantaine. Mais les méthodes préventives sont multiples. Toujours dans l’île, l’Église catholique a renoncé à la présence de bénitiers, et a conseillé de ne plus se donner la main lors des prières. À Singapour, les rues et les transports en commun sont déserts, et les autorités envisagent de prendre la température de tous les voyageurs en provenance de pays touchés. Sur certaines compagnies aériennes comme Air France, les employés peuvent faire valoir une clause de conscience et refuser de voyager vers l’Asie. Tous les vols au départ de ce continent sont désinfectés avant le décollage, histoire de tenter de tuer tous les microbes.
Si ces précautions valent pour sauver la vie d’êtres humains, elles permettront également de préserver une économie mise à mal par l’épidémie. En plus de la guerre en Irak, le secteur aérien subit de plein fouet cette crise. Air New Zealand a supprimé sa ligne vers Hong Kong jusqu’en juin. United Airlines propose aux détenteurs de billets vers l’Asie du Sud-Est de modifier leur date de voyage sans aucune pénalité. Et toutes les compagnies asiatiques ont souffert en Bourse. Il ne faut pas oublier que ces pays sont pour beaucoup des destinations touristiques. Le taux de remplissage des hôtels s’effondre. Moins 30 % à Hong Kong. Les réservations ont, elles, reculé de 90 %. En Chine, le nombre de touristes en provenance de Corée du Sud a également chuté de 90 %, alors que 30 % de Japonais ont annulé leur réservation. La Chine, berceau de l’épidémie, a longtemps refusé la présence d’experts. Finalement, alors que l’épidémie touche désormais Pékin, l’OMS a pu s’y rendre et enquêter pour tenter de répondre aux questions encore en suspens.

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