Les pleutres !

France : sa fermeté face aux Américains l’a auréolé, au plan national comme au niveau international, d’un nouveau prestige. À charge pour lui maintenant de ne pas décevoir les espérances qui se sont portées sur son nom.

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 2 minutes.

La guerre n’en était encore qu’à sa deuxième semaine. Bassora n’était pas encore tombée, et n’en finissait pas de mourir de faim et de soif. Bagdad, Nadjaf et Kerbala étaient en flammes, mais résistaient. Les morts se comptaient déjà par milliers, et les bavures se multipliaient : mitraillage à Nadjaf, le 31 mars, d’un autocar de civils qui ne s’était pas arrêté à un barrage ; bombardement d’un convoi civil, à Hilla, au sud de la capitale irakienne, quinze membres d’une même famille sont tués ; bombardement, le lendemain, de la même localité : trente-trois morts. Mais ces peccadilles n’ont pas semblé émouvoir outre mesure les politiciens de la droite française. Les yeux rivés sur les sondages, ils sont courageusement montés au front pour dénoncer l’inquiétante résurgence… de l’antiaméricanisme !
La publication d’une étude Ipsos-Le Monde-TF1, indiquant notamment que 34 % des Français souhaitaient la victoire de l’Irak, a couvert le bruit des explosions. Le Premier ministre, l’inspiré Jean-Pierre Raffarin, s’est empressé de « colmater la brèche ». « Il ne faut pas se tromper d’ennemi, a-t-il lancé à l’adresse du peuple français. Ce n’est pas parce que nous sommes contre la guerre que nous souhaitons la victoire de la dictature contre la démocratie, notre camp, c’est celui de la démocratie. » Étrange raisonnement, vraiment, que celui de monsieur Raffarin. Le fait que ce soit la démocratie qui attaque un pays souverain (certes très mal gouverné), sans aucune espèce de base légale et contre l’avis de la majorité des membres du Conseil de sécurité, suffisait-il à justifier une guerre d’agression ? Est-ce que, sous prétexte que les États-Unis sont dotés d’une Constitution démocratique, les Irakiens devaient se laisser envahir sans combattre ? Et pourquoi pas la mission civilisatrice de l’Occident pendant qu’on y est ! Faire la guerre au nom de la démocratie n’est pas rendre service à la démocratie. L’opinion française, massivement hostile à cette guerre fondamentalement injuste, avait raison de l’être. Que Saddam ait été un dictateur n’y change rien. Son pays était envahi, il avait le droit de se défendre, et on pouvait être en droit de souhaiter qu’il résiste victorieusement.
En vérité, la droite française et les milieux d’affaires redoutaient les conséquences de la position courageuse défendue, jusqu’au bout, par Jacques Chirac. Les menaces américaines de boycottage économique et diplomatique avaient visiblement fait leur effet. Il fallait procéder à un recadrage. Pour la frange la plus atlantiste de la majorité, réduite au silence courant février, c’était l’occasion de se faire entendre à nouveau. D’accord pour que la France exprime poliment ses réserves avant le début de la guerre, ont expliqué en substance ces députés, mais une fois que les choses sérieuses ont commencé, il faut rentrer dans le rang, même si l’on désapprouve en son for intérieur. Courage ! Suivons ! La raison du plus fort est toujours la meilleure ! Évitons de froisser l’oncle Sam, car il ne faut pas se tromper d’ennemi…
Belle conception, vraiment, que celle-là, qui fait fi des principes de justice et de souveraineté, qui foule aux pieds le libre-arbitre de la nation. Et ils se disent gaullistes, les pleutres !

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