Le dispositif est en place

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Ce qui vient de s’achever par la chute (programmée) de Saddam Hussein et de son régime est une phase, la première, de ce que nous avons appelé la guerre anglo-israélo-américaine pour le contrôle du Moyen-Orient.
Les observateurs – nous y compris – pensaient qu’il s’agissait d’une deuxième guerre du Golfe ayant, elle aussi, pour théâtre l’Irak. Telle qu’elle s’est déroulée sur trois semaines, depuis le 20 mars, l’affaire s’apparente plutôt à un coup d’État organisé par… deux États contre un troisième, plus précisément contre le régime de ce dernier et, particulièrement, son chef.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne, organisateurs du coup d’État, n’ont d’ailleurs à aucun moment caché leur but : écarter Saddam du pouvoir par la force, en le tuant au besoin, lui, ses enfants et leur clique, pour les remplacer par une administration de leur choix, des hommes à eux.
C’est la définition même du coup d’État et, d’ailleurs, les États-Unis s’en sont fait une spécialité : au cours des cinquante dernières années, ils ont changé, ou tenté de changer, par la force des armes, une bonne dizaine de régimes… En 1953, déjà, ils s’attaquaient à l’Iran du Premier ministre Mohamed Mossadegh, puis ce fut le Guatemala, Cuba, Grenade, Panamá…
Cette fois, les « coalisés » y ont mis de la détermination et des moyens, ont réussi leur coup en vingt et un jours, non sans avoir multiplié bavures et dérapages, occasionné beaucoup de pertes civiles et militaires et fait beaucoup de dégâts
Le régime visé savait qu’il avait le dos au mur : il a résisté comme il a pu et a réussi, dans les deux premières semaines, à donner l’impression que le peuple irakien participait à sa lutte pour sa survie.
Lorsque, dès la troisième semaine, il a commencé à plier, avant de s’effondrer comme un château de cartes, on a pu voir que le peuple irakien, dans sa majorité, n’était pas engagé dans la bataille : pris en tenailles entre les assaillants et les défenseurs, il ne savait quel parti prendre et a préféré temporiser.
Une large frange de la population – la plus déshéritée – s’est finalement ralliée aux vainqueurs, mais seulement lorsqu’elle s’est convaincue que le dictateur était tombé et que ses sbires étaient en fuite…
Les Anglo-Américains la laissent brûler, piller, se défouler. S’ils croient que ce ralliement est profond, solide et durable, ils se font autant d’illusions que Saddam sur sa popularité…
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La phase à laquelle nous venons d’assister, et qui fait l’objet de notre dossier central (voir pages 45-72), appelle quatre observations :
1) La guerre n’est pas terminée, mais, qu’il soit encore en vie ou non, Saddam a définitivement perdu la partie et le pouvoir. Ce qui se déroule encore sous nos yeux est l’agonie de ce qui reste de la plus cruelle des dictatures arabes du XXe siècle.
Tant que nous ne saurons pas comment se sont « évaporés » ceux qui en étaient l’armature ni la manière dont le dictateur et sa suite ont « pris congé de l’Histoire », nous suspendrons notre jugement.
2) Comme les Israéliens en Cisjordanie et à Gaza, et plus encore qu’eux, les Anglo-Américains n’ont pas fait dans la dentelle : pour épargner au maximum la vie de leurs soldats, ils ont tiré, de loin et sans la moindre vérification, sur tout ce qui bouge, tuant trop de civils, femmes et enfants compris, beaucoup de journalistes, de membres des organisations humanitaires, de diplomates (« Je détruirais le Louvre plutôt que de risquer la vie d’un de mes soldats ! » a dit un de leurs généraux).
Nous sommes, là, à la limite du crime de guerre(*).
3) Saddam, ses fils, les généraux bedonnants, moustachus et médiocres dont le despote aimait s’entourer ont été, tout au long de la guerre, mal informés ; ils ont cru les rapports de leurs officiers qui leur relataient des victoires imaginaires et des pertes fantaisistes infligées à l’ennemi.
Le système dictatorial a donc fonctionné jusqu’au bout : ses chefs mourront en se croyant vainqueurs… et le ministre de l’Information, l’inénarrable général Mohamed Saïd el-Sahhaf, croyait aux trois quarts des contrevérités qu’il débitait aux journalistes.
Pathétique.
4) Le motif invoqué pour envahir l’Irak, la nécessité « d’y aller » pour éliminer les dangereuses armes de destruction massive dont Saddam refusait de se défaire, s’est révélé être ce que nous pensions : un prétexte
Et maintenant ?
Les Américains ne sont pas au bout de leur peine, mais ils vont tenter de faire ce qu’ils se sont promis (et nous ont promis) de faire :
– Un Irak contrôlé par eux et façonné par eux, remis à des Irakiens choisis par eux, ayant accepté d’être dans leur orbite.
Le changement de régime ressemblera à une contre-révolution lourde de règlements de comptes.
– Un État palestinien « indépendant » et « viable », selon la conception d’Ariel Sharon, dirigé par des Palestiniens qui auront accepté qu’il soit inféodé à eux et à Israël.
Cet Irak et cette Palestine seront « démocratiques ».
– Les autres pays du Moyen-Orient ? Ceux de leurs dirigeants qui ne sont pas assez soumis – la liste est déjà établie – seront démis.
« Le message de cette guerre, vient de déclarer au magazine américain Time l’homologue israélien de Donald Rumsfeld, s’adresse à l’Iran, à la Syrie, à la Libye et aux autres pays arabes qui n’ont pas de traité de paix avec nous, ou bien ont (ou peuvent avoir) des armes non conventionnelles ou bien encore des liens avec le terrorisme : les États-Unis ne le toléreront pas. »
Le Premier ministre israélien Ariel Sharon a été encore plus net que son ministre :
« On ne peut pas dessiner un nouveau Moyen-Orient si l’on s’en tient à l’Irak. Ce pays n’est qu’une base, parmi d’autres, de la menace régionale. Les Américains ne résoudront aucun problème si l’Iran, la Syrie et la Libye sont laissés à l’écart. »
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Un bon dessin valant mieux qu’un long discours, je vous invite à regarder, ci-dessus, la carte que nous avons établie pour vous : elle représente le Moyen-Orient tel qu’il est en ce mois d’avril 2003, après l’occupation-libération de l’Irak.
C’est le point de départ de cette vaste entreprise de reconquête-transformation de la région par les Anglo-Israélo-Américains.
Comme vous pouvez le voir, un formidable dispositif militaire est, presque partout, déjà en place ; il ne reste plus qu’à faire venir à la rescousse la Banque mondiale, le FMI, les pétroliers et autres instruments de la mainmise…
Au lieu de déboulonner la statue de Saddam, les Américains (et leurs alliés) devraient lui en dresser une : sans ce Saladin de pacotille et les trois guerres qu’il a provoquées depuis 1980 (une par décennie), le fossé créé entre l’Iran et le monde arabe n’aurait pas existé, les Arabes n’auraient pas vu leur cohésion brisée – et les Anglo-Israélo-Américains n’auraient pas aujourd’hui l’impression que la région est à prendre et à remodeler.

* Les crimes de guerre résultent des atteintes aux Conventions de Genève (1949) qui ont mis en avant les droits des civils et des soldats en temps de guerre. Ils s’étendent au traitement des prisonniers, des soldats blessés et faits prisonniers, des civils…

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