Algérie : le parlement européen dénonce les atteintes aux droits de l’Homme
Après la condamnation du journaliste Khaled Drareni, une résolution d’urgence sur la détérioration des libertés en Algérie sera débattue le 26 novembre au Parlement européen.
C’est la deuxième fois en un an qu’une résolution d’urgence est soumise au Parlement européen pour dénoncer des atteintes aux droits de l’Homme en Algérie. Jeune Afrique a eu accès à ce nouveau texte à l’initiative des centristes de Renew Europe et des Socialistes&Démocrates, qui a déjà fait l’objet du consensus de six groupes parlementaires. Il sera présenté ce jeudi 26 novembre en plénière et, crise sanitaire oblige, à distance.
Cette résolution dénonce la répression à l’œuvre dans le pays mais aussi les amendements liberticides du Code pénal algérien et de la nouvelle Constitution.
La liste est longue : intimidations, hausse des arrestations politiques et des détentions arbitraires depuis l’été 2019, manque d’indépendance de la justice, allégations de torture, atteintes à la liberté d’expression et d’association, restrictions supplémentaires sous prétexte de crise sanitaire… sans oublier les féminicides et les atteintes aux droits des amazighs et des minorités religieuses.
Soutien aux détenus d’opinion
Le projet rappelle par ailleurs les rapports internationaux à charge pour Alger — quatre communications ont par exemple déjà été envoyées au gouvernement algérien cette année par le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire –, et ses engagements vis-à-vis des traités internationaux dont elle est signataire (y compris donc de leurs clauses sur les droits de l’Homme).
Il enjoint également les autorités algériennes à autoriser l’accès à leur territoire aux organisations internationales des droits de l’Homme et aux agents onusiens en charge des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme.
Les eurodéputés réclament la libération de 90 prisonniers du Hirak
Les eurodéputés réclament par ailleurs la libération de plus de 90 prisonniers d’opinion du Hirak. Cette année, l’Algérie est classée 146e sur 180 pays en termes de libertés de la presse par Reporters sans frontière (perdant 5 places par rapport à 2019 et 27 par rapport à 2015), avec notamment le cas très médiatisé du journaliste Khaled Drareni — souligné d’ailleurs par ce projet de résolution.
Ce rédacteur de médias algériens comme Casbah Tribune et correspondant de médias internationaux comme TV5 monde, a été condamné en appel à deux ans de prison pour « incitation à attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national ». Un quatorzième sit-in s’est récemment tenu (virtuellement) dans le pays pour le soutenir.
En avril 2015 le Parlement avait déjà publié une résolution dénonçant des emprisonnements de travailleurs et d’activistes des droits de l’Homme en Algérie.
Pourquoi ce regain d’intérêt maintenant ? « L’Algérie est à un tournant », explique l’eurodéputée suédoise Karin Karlsbro (Renew), très active sur cette nouvelle résolution. « Nous admirons la mobilisation pacifique des Algériens depuis 2019 et souhaitons leur exprimer notre solidarité et soutenir leurs revendications contre la corruption et en faveur de réformes démocratiques. »
Des relations complexes
Si l’Union européenne (UE) et l’Algérie sont tenues par un accord d’association, avec cette résolution d’urgence, les eurodéputés exhortent l’Union européenne (UE) à placer la question des droits de l’Homme au centre du prochain Conseil qui y sera consacré.
Le Parlement appelle également la Commission européenne, les États-membres et le Service européen pour l’Action extérieure à aller plus loin dans leur soutien à la société civile algérienne.
Un vœu pieux ? Cette résolution n’est en effet pas plus contraignante que les précédentes. Le Parlement européen — seule institution internationale démocratiquement élue au monde, comme aiment à le rappeler ses membres — représente simplement l’opinion des citoyens européens.
Les prises de position européennes suscitent régulièrement de vives polémiques
C’est donc avant tout le symbole qui compte, loin des contraintes diplomatiques avec lesquelles doivent composer les gouvernements. « Ces derniers restent timorés pour dénoncer les atteintes aux libertés dans le monde, et même en Europe », dénonce ainsi Karin Karlsbro.
Seulement, les prises de position européennes suscitent régulièrement de vives polémiques. Les autorités algériennes dénoncent régulièrement des ingérences étrangères. Une rhétorique également adoptée par une partie de la population. Le mouvement de protestation du Hirak s’était d’ailleurs lui-même saisi de cette thématique contre la France et les États-Unis lors de ses premières manifestations en mars 2019. Ce nouveau texte risquerait donc à son tour d’être contre-productif.
Critiques
Pour tenter de s’en prémunir, les eurodéputés s’appuient justement sur les demandes du Hirak dans leur rédaction. « Les régimes autoritaires ou semi-autoritaires assimilent toujours les critiques à des trahisons de l’intérieur ou des ingérences de l’extérieur et l’Algérie ne fait pas exception, balaie Karin Karlsbro. Les activistes algériens et les familles de détenus consultés préféreraient une Europe critique à une Europe complice et silencieuse. »
La sensibilité aux droits de l’Homme au sein du Parlement n’a rien d’inédit, mais l’intérêt suscité par l’Algérie, si, à en croire l’euro-député Bernard Guetta (groupe Renew), à l’initiative de la précédente motion du 28 novembre 2019 sur les libertés dans le pays. Il souligne aujourd’hui le large spectre de nationalités des députés qui se sont mobilisées sur ce dossier.
Karim Tabbou, Mustafa Bendjema, Khaled Tazaghart… sont cités dans cette nouvelle résolution
« On constate une évolution tout à fait nouvelle des états d’esprit au sein de nos capitales et le sentiment partagé que l’UE doit devenir une puissance politique et un acteur de la scène internationale après avoir perdu tout rôle depuis la Seconde Guerre Mondiale », commente-t-il. « Cela s’accompagne d’une prise de conscience des répercussions possibles de ce qu’il se passe sur l’autre rive de la Méditerranée, et en particulier en Algérie dont les évolutions ont des résonances au Maghreb et au Sahel. »
Les instigateurs des débats de ce jeudi souhaitent donc peser dans la diplomatie parlementaire et espèrent des retombées concrètes. La précédente mouture de novembre 2019 avait, veulent-ils croire, influencé la libération de militants du Hirak. Les cas des figures du mouvement comme le militant Karim Tabbou, le journaliste Mustafa Bendjema et de l’ex-député Khaled Tazaghart sont ainsi cités dans cette nouvelle résolution.
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