Jay Garner : Aux ordres d’Israël

Deux Américains un marchand de canons proche du Likoud et un diplomate sans états d’âme et deux Irakiens un opposant d’opérette à la solde du Pentagone et un octogénaire versatile exhumé par le département d’État. Quatre personnages qui devraient jo

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Dans l’Irak d’après-guerre, un nom sera au centre de toutes les controverses sur la politique américaine : Jay Garner, le général à la retraite qui attend aujourd’hui d’être le premier administrateur américain de l’après-Saddam.
Car le général Garner n’est pas seulement un ami proche et un allié politique du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. C’est un partisan actif de la politique des faucons au Moyen-Orient et un avocat déclaré de la politique d’Ariel Sharon en Israël, en contact étroit avec un lobby pro-israélien de droite.
Les inquiétudes que suscite le général Garner sont apparues en Amérique depuis la rumeur de sa nomination dont le San Francisco Chronicle s’est fait l’écho en Californie, où Garner était jusqu’à ces dernières semaines un des dirigeants de l’entreprise d’armement SY Technology, qui participe à la fabrication des missiles Patriot. « On peut se demander ce que les Irakiens penseront de ce bonhomme, dit un professeur de l’école de commerce de l’université Berkeley, et quelle confiance ils pourront lui faire. Si ce n’est pas un conflit d’intérêts, je veux bien être pendu. »
Cette nomination est certainement très politique. Garner a fait la plus grande partie de sa carrière dans l’armée et a travaillé au programme de Guerre des étoiles de Ronald Reagan. Il s’est intéressé de plus près au Moyen-Orient après la guerre du Golfe, lorsqu’il a été en charge de l’aide humanitaire dans le nord de l’Irak. Il a exprimé publiquement sa compassion pour le peuple irakien, et affiché dans son bureau des dessins d’enfants irakiens dont il s’était occupé.
Mais lorsqu’il a pris sa retraite en 1997, il est devenu un important représentant de l’industrie américaine de l’armement, en collaboration étroite avec les faucons de Washington, dont Rumsfeld, le vice-président Dick Cheney et le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz. Son entreprise a travaillé pour le programme israélo-américain du missile Arrow, ce qui l’a mis en contact avec les gouvernements de l’État hébreu.
Il a été pris en main par le Jewish Institute for National Security Affairs (Jinsa), qui invite en Israël les officiers supérieurs américains. En octobre 2000, il a signé, avec quarante-trois autres généraux et amiraux, une déclaration où ils se disaient « indignés par le comportement de la direction politique et militaire palestinienne » et faisaient l’éloge de la « remarquable réserve » des militaires israéliens. Ils soulignaient les avantages à attendre d’une collaboration israélo-américaine en matière de sécurité, une collaboration entre deux pays qui croient aux mêmes valeurs politiques : « liberté, démocratie et État de droit ». Ils considéraient Israël comme « le seul pays du Moyen-Orient qui partage nos valeurs démocratiques et humanitaires ».
Le 26 mars, le Jinsa a publié un communiqué justifiant les invitations faites aux officiers supérieurs américains, expliquant que « nous avons à leur égard une dette énorme », mais affirmant qu’il n’essaie pas le moins du monde d’influencer la doctrine militaire américaine.
Quoi qu’il en soit, la nomination du général Garner comme administrateur numéro un de l’Irak, alors qu’il a des liens aussi manifestes avec le gouvernement Sharon, ne pourra pas ne pas être interprétée par les gouvernements arabes comme une décision politique. Dans l’immédiat après-guerre, Garner disposera de toute évidence d’énormes pouvoirs pour remodeler l’Irak conformément à la politique de son mentor Rumsfeld. Déjà, on le compare au général Douglas MacArthur du Japon d’après-guerre, ou au général Lucius Clay, le « dénazificateur » de l’Allemagne d’après-1945.
Garner, selon des sources arabes, désignera trois autres administrateurs américains pour superviser trois zones. La zone centrale, qui inclura Bagdad, sera confiée à Barbara Bodine, ancien ambassadeur au Yémen, qui devrait être tout particulièrement attentive aux sentiments arabes locaux. L’adjoint de Garner sera un Arabo-Américain, le général John Abizaid, qui parle l’arabe couramment. Mais Garner, avec les contacts qu’il a à Washington, sera politiquement le patron, et sa nomination donne à penser que Rumsfeld veut avoir la haute main sur l’avenir immédiat de l’Irak.
Les Britanniques s’inquiètent tout particulièrement des implications de la nomination du général Garner. Car il n’y a aucun signe en provenance de Washington pour donner à penser que des généraux ou des administrateurs britanniques participeront à la reconstruction de l’Irak, ou que des sociétés britanniques auront « l’égalité des chances » qu’elles ont demandée pour rivaliser avec les offres américaines.
Et la confusion règne en-core sur le rôle qui sera imparti à l’ONU, sur laquelle Tony Blair a tant misé. Avant la guerre, les Nations unies avaient un plan qui prévoyait qu’elles se chargeraient de l’administration de l’Irak au bout de trois mois, pour préparer le pays à l’autonomie, comme en Afghanistan. Le général Garner a indiqué à l’adjointe de Kofi Annan, Louise Frechette, qu’il souhaitait retrouver sa liberté « dès que possible ». Mais l’hostilité actuelle de Washington à l’égard de l’ONU semble écarter une telle éventualité.
Aujourd’hui, le rôle supposé de modérateur de la politique américaine attribué à Tony Blair paraît encore plus douteux, et la réalisation de sa promesse d’une relance du processus de paix israélo-palestinien grâce à la « feuille de route » du Quartet (États-Unis, ONU, Europe, Russie) s’éloigne à vue d’oeil.
Plus inquiétant, le choix d’un général de droite pour présider à la reconstruction de l’Irak semble entrer dans le cadre du plan d’ensemble des faucons de Washington dont les Britanniques sont exclus.
Au fur et à mesure que les cartes s’abattent à Washington et à New York, le complot devient de plus en plus évident : George W. Bush et ses conseillers immédiats – Rumsfeld, Cheney et Wolfowitz – avaient bel et bien décidé de faire la guerre il y a un an. Et le passage par l’ONU n’était qu’une couche de peinture diplomatique qui n’avait aucune chance d’empêcher Washington d’entrer en guerre.
La même camarilla était tout aussi déterminée à jouer un rôle « dominant » (selon le mot de Colin Powell) dans l’Irak d’après-guerre et à donner la préférence aux entreprises américaines pour la reconstruction. Dans ce scénario, le choix du général Garner est tout naturel en tant que représentant du complexe militaro-industriel.
Ce sera l’ultime humiliation de Tony Blair que de s’apercevoir, après avoir engagé les troupes britanniques dans une guerre dangereuse et provoqué une révolte parlementaire, que les Britanniques et les Nations unies n’ont pas eu droit à la parole et que la « feuille de route » tant vantée n’est qu’un torchon de papier déchiré par des faucons aux ordres des groupes de pression israéliens.

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