Des chiens de guerre aux entreprises de guerre
La France s’est dotée d’une loi pour réprimer les méfaits des « soldats de fortune ». Mais elle ne tient pas compte de l’évolution de l’activité.
«De la poudre aux yeux destinée à calmer de nombreux chefs d’État africains. » Tel est le commentaire qu’inspire à Philippe Chapleau, journaliste à Ouest-France et spécialiste de la question, la loi sur le mercenariat votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale française, le 3 avril dernier. À la suite de la controverse née de l’engagement de mercenaires français dans le conflit ivoirien, le gouvernement de Jacques Chirac a ressorti des cartons le projet déposé le 4 avril 2002 par Alain Richard, le ministre de la Défense de Lionel Jospin. Le Sénat l’a adopté le 6 février dernier. Ne manquait plus que l’approbation des députés.
Désormais « est passible de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende » toute personne qui a été « spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé » en échange d’une forte rémunération, sans être ressortissante ou membre des forces armées de l’un des pays engagés dans ledit conflit. Le texte s’inspire clairement du statut du « soldat de fortune » tel qu’il est défini par l’article 47 du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève, l’un des principaux instruments du droit international en la matière (voir encadré). Une définition qui remonte donc à l’époque des décolonisations. Or, en vingt-cinq ans, l’activité a considérablement évolué.
Depuis deux ans environ, de puissantes multinationales de la sécurité militaire et privée ont racheté la multitude de microsociétés spécialisées dans un mercenariat plus ou moins avoué qui pullulaient au début des années quatre-vingt-dix. Structurées et performantes, ces entreprises ont établi des liens avec de nombreux systèmes de défense nationale. Des compagnies comme la danoise Falk, la britannique Sandline ou l’américaine Military Professional Ressources Inc. (MPRI) sont en train de s’implanter sur le « marché » français. Sous contrat avec le département d’État américain, MPRI a créé le Centre africain des études stratégiques, qui enseigne à une quinzaine de démocraties la manière de gérer leurs armées. Les nouveaux mercenaires ainsi employés arborent davantage la chemise blanche des techniciens surdiplômés que la tenue kaki des « chiens de guerre » des années soixante. On est loin des Bob Denard et autres « affreux » aux méthodes anarchiques.
Pourtant, le projet de loi français ne s’attache à réprimer que le mercenariat « traditionnel ». Certes, le texte prévoit « sept ans d’emprisonnement assortis de 100 000 euros d’amende » pour toutes les personnes qui auront organisé « le recrutement, l’emploi, la rémunération, l’équipement ou l’instruction militaire » d’un mercenaire. Mais cette bonne intention affichée ne pèse pas lourd face à de « véritables entreprises de guerre », comme les qualifie Michèle Alliot-Marie, la ministre française de la Défense. Même Marc Joulaud, rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée nationale, convient que le texte ne règle que le problème du mercenariat « de papa ». Et de préciser que « tout le monde souhaite qu’il reste limité à cet aspect ».
La France n’entend certainement pas se priver d’un outil de politique étrangère essentiel, et qui va encore prendre de l’importance dans les années à venir. Les participants au débat parlementaire n’étaient d’ailleurs pas dupes. Guy Teissier, le président de la commission de la Défense nationale, a souligné que « les services de renseignements préfèrent parfois recourir à des personnels spécialement rémunérés plutôt qu’à leurs propres éléments pour accomplir certaines missions ». On comprend mieux la suppression du terme « officiel » dans la définition du type de mission effectuée par le mercenaire. Ne seront pas poursuivis ceux qui pourront se prévaloir d’une protection de l’État lors de « chantiers » à l’étranger, qu’ils soient publics ou non. En revanche seront réprimés les « électrons libres » qui, comme l’indique le rapport du projet de loi, participeront à « un conflit, un coup d’État ou une insurrection à titre personnel, […] en s’affranchissant de toute allégeance ». Autrement dit, le gouvernement français reconnaît le mercenariat comme un droit et compte toujours y recourir, tant que les « chiens de guerre » ne gênent pas sa politique étrangère.
Sonnant comme une résurgence de la « Françafrique », l’attitude française n’a pour l’instant été dénoncée que par Pierre Osho, le ministre de la Défense du Bénin. Lors d’une séance du Conseil de sécurité, le 18 mars dernier, ce dernier a fermement indiqué « qu’il ne suffisait pas d’invoquer la liberté individuelle des personnes concernées [par le mercenariat] pour se dérober de sa responsabilité au plan étatique ». Les Béninois, il est vrai, parlent en connaissance de cause. Le 16 janvier 1977, Bob Denard et son équipe de soldats perdus ont raté leur tentative de coup d’État qui visait à éliminer physiquement le président de l’ex-Dahomey, Mathieu Kérékou. Traduit devant la justice en 1993 pour répondre de cette intervention armée, Denard a été disculpé par des hommes ayant appartenu aux services secrets français. Le « corsaire de la République », comme il se définit lui-même, n’aurait été que le sous-traitant des services secrets français. Verdict : une peine de prison avec sursis.
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