Ahmed Chalabi, agent trouble

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Quel rôle pour Ahmed Chalabi, le chef de file du Congrès national irakien (CNI), dans l’Irak de l’après-Saddam ? Selon le casting établi par Paul Wolfowitz, l’adjoint de Donald Rumsfeld au Pentagone, l’Irak débarrassé de Saddam devrait être administré par un ensemble de vingt-trois départements ministériels sous l’autorité du général américain à la retraite Jay Garner, dans le rôle de gouverneur militaire. Chaque ministère serait confié à un ministre américain adossé à quatre conseillers autochtones. Selon ces mêmes dispositions, Ahmed Chalabi se verrait confier le poste de conseiller du ministre des Finances. Mieux (ou pis ?) : des postes importants seraient également attribués à certains membres de son clan, notamment son neveu, Salem Chalabi, et trois de ses associés : Tamara Daghestani, Goran Talebani et Aras Habib.
Dans une interview donnée, le 7 avril, à partir du complexe fortifié des montagnes du nord de l’Irak, sous contrôle kurde, où il est installé depuis plusieurs mois, le sulfureux chef de file de l’opposition irakienne a déclaré que l’armée américaine devrait rester en Irak jusqu’à ce que soient organisées des élections et qu’un gouvernement démocratique soit mis en place. Soit, selon ses estimations, « au moins deux ans après la chute de Saddam ». « Je ne peux pas donner un calendrier. Mais nous nous attendons à ce qu’une Constitution soit ratifiée dans les deux ans », a-t-il expliqué.
Qui est cet homme ? Comment a-t-il pu s’imposer comme l’homme du Pentagone ? Quelles sont ses chances d’accéder un jour à la tête d’un Irak fédéral et démocratique ?
Né en 1949, ce descendant d’une richissime dynastie financière liée à la monarchie hachémite, jusqu’à son renversement en 1958, a été formé au Massachussetts Institute of Technology (MIT) et à l’université de Chicago. Banquier, de confession chiite, mais se disant laïc, il partage sa vie entre Londres et les États-Unis. C’est l’un des leaders de l’opposition irakienne qui connaît le moins son pays. Et pour cause : il n’y a jamais mis les pieds depuis qu’il l’a quitté en 1957, à l’âge de 11 ans.
En réalité, il a séjourné durant une brève période, au milieu des années quatre-vingt-dix, dans le Kurdistan irakien, pour y fomenter une insurrection contre le régime. Il avait alors promis à ses parrains américains, sceptiques, l’effondrement de la dictature en quelques jours, faute du soutien des militaires qui se rallieraient en masse à son action. Le soulèvement, soutenu par un millier de combattants, fut réprimé impitoyablement par les troupes irakiennes.
Les responsables du Pentagone ont longtemps cherché la figure idéale susceptible de fédérer le peuple irakien, une sorte de « Karzaï » mésopotamien. L’ont-ils trouvée en cet homme d’affaires venu tardivement à la politique ? Rien n’est moins sûr : le successeur de Saddam devrait non seulement être accepté par les Américains et par l’ensemble de la population irakienne (Kurdes, Turkmènes, chiites, sunnites, chrétiens), mais aussi par les pays voisins, notamment la Turquie, l’Arabie saoudite, le Koweït et la Jordanie, sans oublier la Syrie et l’Iran. Or Chalabi a peu de chances d’être accepté par les 25 millions d’Irakiens qui vivent à l’intérieur du pays. Pour deux raisons au moins. Un : il reste un illustre inconnu pour une majorité d’entre eux. Deux : le fait de débarquer en Irak dans les valises d’un occupant étranger n’ajoute pas forcément à sa popularité. Ni les chapeaux qu’il affectionne et qui lui donnent des airs de cow-boy mésopotamien.
De même, le patron du CNI n’est accepté par aucun des pays voisins de l’Irak. Pour trois raisons. D’abord, le fait d’être chiite le rend suspect aux yeux des Arabes et des Turcs, en majorité sunnites. Ensuite, à Riyad, à Damas, à Téhéran et au Caire, on n’oublie pas que ses parrains, à Washington, s’appellent Richard Perle et Paul Wolfowitz, maîtres à penser de la guerre contre l’Irak depuis 1991, et Dick Cheney lui-même. C’est-à-dire : le clan des néoconservateurs américains qui voudraient remodeler le Moyen-Orient. Enfin, l’Irakien a une réputation d’escroc international depuis qu’une affaire de détournements de fonds au détriment de la banque jordanienne Petra qu’il dirigeait, au début des années quatre-vingt, a ruiné des milliers d’épargnants jordaniens et libanais. Ce méfait, dont il s’est toujours défendu vigoureusement, lui vaut d’être, depuis 1992, sous le coup d’une condamnation par contumace à vingt-deux ans de travaux forcés par la Cour de sécurité d’Amman.
Le seul atout de Chalabi reste donc l’appui américain. Mais là encore, les choses commencent à changer : certains hauts responsables américains reprochent désormais au chef du CNI, outre son manque de popularité auprès des siens, une propension au mensonge. Ainsi, quelques jours après le déclenchement de la guerre, George Tenet, patron de la CIA, l’a accusé ouvertement de l’avoir induit en erreur en lui adressant des rapports erronés sur la situation en Irak et sur la possibilité de soulèvement populaire dès le début de la campagne militaire. Chalabi a également menti en prétendant bénéficier, lui et son mouvement, d’un appui à l’intérieur de l’Irak et en annonçant, dans des communiqués de presse signés par son bras droit Mudhar Shawkat, des combats entre les unités du CNI, baptisées « forces de l’Irak libre », et celles de la Garde républicaine aux alentours de Kirkouk. Ces informations ont été considérées comme peu crédibles par la plupart des spécialistes, qui estiment les forces du CNI à une centaine de personnes. Les échanges de tirs à Kirkouk se sont révélés être le fait d’une confrontation entre des groupes armés kurdes et quelques soldats irakiens.
« Le grand problème avec Chalabi, c’est qu’il n’inspire pas confiance. C’est un homme qui divise. Il a bâti sa politique sur de nombreux mensonges. C’est typique de la politique d’exil », explique Andrew Apostalou, un spécialiste de l’Irak à l’université d’Oxford. C’est pourtant cet homme controversé que les Américains voudraient pouvoir nommer, un jour, Premier ministre d’un Irak libre. Sans doute parce qu’il leur a promis, en retour, une part substantielle du pétrole au détriment des Russes, des Français et des Chinois.

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