Adnan Pachachi

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

A la fin de mars, Adnan Pachachi, ancien ministre irakien des Affaires étrangères et candidat à la succession de Saddam Hussein, a donné une conférence de presse au cours de laquelle il a vivement critiqué le projet américain de gouvernement militaire transitoire, qui sous-estime, selon lui, le nationalisme irakien. Il a justifié, par la même occasion, son refus de se joindre à la direction collégiale, issue de la conférence de Salaheddine, tenue, début mars, dans la zone autonome du Kurdistan, au nord de l’Irak. Cette direction est composée du leader du Congrès national irakien (CNI), Ahmed Chalabi, des deux grands chefs de l’opposition kurde, Massoud Barzani (PDK) et Jalal Talabani (UPK), ainsi que du chiite Abdul Aziz Hakim (représentant le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak).
L’ancien chef de la diplomatie irakienne a avancé trois raisons pour justifier son refus. « Un : j’ai de sérieux doutes sur la représentativité de ce groupe et sur sa légitimité. Deux : ce groupe n’aurait qu’un rôle consultatif durant la période transitoire et serait dépouillé de toute tâche exécutive. Il constituerait, tout au plus, un corps de conseillers attaché à une administration militaire américaine. Trois : je suis contre la catégorisation des Irakiens par ethnie et par religion. Les Irakiens constituent un seul et unique peuple. »
De confession sunnite, Adnan Pachachi a annoncé, au cours de la même conférence, la création d’un nouveau groupe d’opposition, baptisé Mouvement des Irakiens indépendants pour la démocratie, fort, selon ses dires, de plus de quatre cents membres. « Ils représentent la majorité silencieuse, celle des libéraux et des partisans de la démocratie », a-t-il affirmé. Leur objectif : appeler à la constitution d’une administration irakienne composée de technocrates, avec la coopération des Nations unies.
Dans un appel lancé il y a deux mois et cosigné par d’autres figures de l’opposition libérale et laïque, Pachachi avait pressé Saddam Hussein de se retirer du pouvoir afin d’éviter un conflit armé et d’épargner à son peuple les ravages de la guerre. Il a aussi appelé au renversement du régime baasiste autoritaire et à son remplacement par une administration civile irakienne, dont la tâche consisterait à gérer les affaires du pays durant une période de transition n’excédant pas deux ans. « Ce gouvernement provisoire devrait être composé de technocrates qualifiés travaillant sous l’égide d’un Conseil suprême dont les membres seraient choisis à la suite de consultations conduites par les Nations unies auprès de personnalités irakiennes représentant toutes les tendances politiques », a préconisé Pachachi dans un article publié, début mars, dans le Financial Times.
« Beaucoup d’Irakiens rejettent l’idée d’un gouvernement imposé de l’extérieur. Le nationalisme irakien, qui est encore vivace, doit être pris en compte », a-t-il également expliqué. Et d’ajouter : « La majorité des Irakiens vit à l’intérieur du pays. Ce sont eux qui ont subi l’oppression de Saddam. Ils doivent donc être consultés avant qu’aucune autorité soit installée à Bagdad. Un gouvernement formé en exil ne saurait être accepté sans contestation. Des dirigeants « parachutés » de l’extérieur auraient peu de chance de gagner la sympathie des Irakiens. » Pourquoi donc les Américains s’entêtent-ils à vouloir imposer une direction de l’extérieur ? Réponse lucide de l’ancien diplomate : « Le dilemme de l’opposition irakienne, ou des Irakiens en général, c’est que les motivations des Américains diffèrent de celles des Irakiens, alors que l’objectif est le même : changer le régime. »
Le 8 avril, l’opposant irakien, qui semble avoir mis de l’eau dans son vin, a annoncé néanmoins son acceptation d’un gouvernement militaire américain, à condition que la durée de son mandat soit courte. Réalisme politique ? Peut-être. Acceptation du fait accompli américain ? Sans doute.
Après des études à Victoria College, à l’École anglaise du Caire, puis à l’Université américaine de Beyrouth, Pachachi a intégré le ministère irakien des Affaires étrangères en 1944. Il a été ambassadeur de l’Irak aux Nations unies, avant de se voir confier le ministère des Affaires étrangères dans le premier gouvernement civil après la révolution de 1958 et la chute de la monarchie. Ayant fui l’Irak en 1969, un an après la prise du pouvoir par le parti Baas, il a prêté ses services au gouvernement d’Abou Dhabi durant vingt ans, avant de prendre sa retraite au début des années quatre-vingt-dix. Installé aux Émirats arabes unis, dont il a pris la nationalité, il jouit aujourd’hui d’avantages dont une majorité de ses compatriotes sont privés. « Je suis né pour le pouvoir et les privilèges », explique-t-il. « Mon père était Premier ministre sous la monarchie, mon oncle était lui aussi Premier ministre et mon beau-frère était également Premier ministre », ajoute-t-il non sans une pointe de fierté.
Pachachi n’a pas mis les pieds dans son pays depuis trente-quatre ans. Cela ne l’empêche pas de prétendre y représenter, aujourd’hui, une majorité silencieuse qui rêve d’un Irak laïc et libéral. À 80 ans, il se dit prêt à troquer une paisible retraite contre un rôle important dans l’Irak de l’après-guerre. L’idée de revenir sur le devant de la scène politique de son pays à un âge aussi avancé le stimule au plus haut point. « J’ai eu mes diplômes il y a soixante ans, vous vous imaginez ? Et j’ai une santé de dinosaure », a-t-il lancé à Roula Khalaf, du Financial Times, au cours d’un entretien à Abou Dhabi, en février dernier.
L’âge, l’expérience et le désintéressement qu’il aime affecter lui valent, aujourd’hui, le respect de nombre de ses concitoyens, et plus particulièrement des technocrates en exil. Excédés par les querelles intestines qui divisent l’opposition, ces derniers sont impatients de voir émerger une figure politique nationale capable de transcender les clivages pendant la période transitoire de l’après-guerre. Pachachi sait qu’il pourrait être cette figure-là. Encouragé par certains de ses amis, il a fondé, il y a deux ans, un mouvement d’opposition laïc et libéral, le Parti démocratique du centre (PDC). Mais, déçu par les rivalités personnelles au sein de l’opposition, il n’a pas tardé à mettre une sourdine à ses activités partisanes. Les Américains – en particulier le département d’État – qui n’ont jamais fait mystère de leur intérêt pour ce sunnite laïc au sein d’une opposition dominée par une majorité chiite et des groupes kurdes, n’ont cessé de le courtiser. Ainsi, peu de temps avant le déclenchement de la guerre, Zalmay Khalilzad, envoyé américain auprès de l’opposition irakienne, est venu le voir. Mais Pachachi continue de claironner que le rôle des États-Unis dans la crise irakienne n’est pas clairement défini et qu’il gagnerait beaucoup à l’être.
L’ancien chef de la diplomatie irakienne est apprécié également par les dirigeants arabes qui voient en lui – parce qu’il est sunnite, proaméricain et nationaliste arabe – un successeur idéal de Saddam à la tête d’un Irak « débaasifié », pacifié et unifié. Cette unanimité lui a valu cependant l’inimitié de certains cercles de l’opposition irakienne en exil, qui l’accusent notamment d’avoir défendu, en 1961, au sein des Nations unies, la thèse selon laquelle le Koweït fait partie de l’Irak. Pour contrer ces critiques, Pachachi répète à l’envi qu’il entretient de bonnes relations avec le Koweït et qu’il avait dénoncé l’occupation de ce pays par Saddam en 1990. « On dit que je suis un fervent nationaliste arabe comme si c’était un péché. Je pense qu’il est dans l’intérêt de chaque pays arabe d’avoir des rapports étroits avec tous les autres. Notre faiblesse ne réside-t-elle pas dans notre division », ajoute-t-il.
Le vieux diplomate vit aujourd’hui avec sa femme Salwa dans un grand appartement richement meublé situé au centre d’Abou Dhabi. Le couple passe l’hiver dans l’émirat, où le climat durant cette saison est très doux, et l’été à Londres, où vivent leurs deux filles. « J’ai une vie agréable, reconnaît Pachachi. J’adore la musique classique et suis un amateur des festivals. » À ceux, parmi ses amis, qui lui demandent pourquoi il compte revenir à la politique et à ses tourments, il répond : « Je suis engagé, malgré moi, dans une entreprise d’une grande importance. » Et à ceux qui ont hâte de le voir propulsé à la tête de l’Irak, il rétorque : « Les Irakiens n’ont pas besoin d’un leader unique, mais d’un leadership collectif. Il leur sera difficile, en effet, de se mettre d’accord sur une seule personne. Car ils seraient obligés de se poser la question suivante : est-il sunnite, chiite ou kurde ? »

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