Abidjan, ville morte

Un investisseur français, habitué de la capitale économique ivoirienne, y a fait un voyage. Selon lui, la ville a perdu son lustre d’antan.

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 10 minutes.

Au moment où le nouveau gouvernement de réconciliation se mettait en place, j’étais à Abidjan. Contrairement à l’optimisme officiel, le bilan des événements qui ont secoué le pays depuis le coup d’État de décembre 1999 est très sombre. Cette longue période d’instabilité a fait revenir la Côte d’Ivoire trente ans en arrière. Le président Laurent Gbagbo me semble plus préoccupé par sa réélection en 2005 que par un partage du pouvoir avec l’ex-rébellion qui n’a toujours pas abandonné les armes.

Laurent Gbagbo. Il tient le pouvoir et n’est pas près d’en céder la moindre parcelle à son Premier ministre Seydou Diarra. Il parle à tout-va. Par exemple : il a déclaré, devant une assemblée de femmes du Nord, à plusieurs reprises, qu’il avait de l’argent pour leur venir en aide. Plusieurs fois, il a répété : « J’ai de l’argent. » Ce n’est pas un langage que peut tenir un président de la République. Autre déclaration irréaliste : « Dans trois mois, le traumatisme sera passé. » En fait, Gbagbo demeure le « patron ». Il n’a pas l’intention de lâcher prise. Il pense déjà à la présidentielle de 2005 et il entend évidemment obtenir coûte que coûte un deuxième mandat.

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Simone Gbagbo. La « dame de fer » est devenue plutôt conciliante et a perdu de son arrogance. Tant mieux.

Seydou Diarra. Il ne donne pas l’impression d’être l’homme de la situation, d’être prêt à se battre, de se remuer pour obtenir quelque chose. Il semble plutôt débordé par Laurent Gbagbo. Ce qui se fait dans le gouvernement, ce n’est pas lui. Il n’est pas le rassembleur ou l’homme à poigne que l’on attendait.

L’activité économique. La confiance est morose et la croissance négative. Il n’y a pas le moindre investissement en vue. Pourtant, les banques regorgent de liquidités grâce aux recettes exceptionnelles procurées par les exportations de cacao. L’exode de capitaux est freiné par le manque de devises (euros, dollars). Donc, l’essentiel de l’argent qui reste sur place est thésaurisé. Rien n’a été annoncé sur la restructuration économique. Le pays a perdu, au cours de cette longue période d’instabilité et de rébellion (du coup d’État de décembre 1999 à celui de septembre 2002), l’avance qu’il avait gagnée sur les autres pays de la sous-région. Il est revenu trente ans arrière. Et il n’est pas près de retrouver sa situation d’antan.
Aujourd’hui, quand on demande à un investisseur étranger s’il compte revenir après la formation, début avril, d’un gouvernement de réconciliation nationale, il rigole. Personne ne croit vraiment à la capacité de ce gouvernement de faire quelque chose de positif et de durable. Les pouvoirs du Premier ministre ne sont toujours pas définis. La crise économique est la plus grave que le pays ait connue depuis l’indépendance. La Côte d’Ivoire est aujourd’hui considérée par les investisseurs sur le même plan que le Liberia ou la Sierra Leone.

La sécurité. Il y a une certaine amélioration. Mais la trouille persiste. Les entreprises étrangères tiennent leurs conseils d’administration et autres réunions hors de la Côte d’Ivoire, en particulier à Cotonou, au Bénin, ou à Ouagadougou, au Burkina. Comme tous les citoyens, elles ont peur. Les hommes qui comptent, politiciens et entrepreneurs, désertent toujours le pays. À Abidjan, on parle encore de « territoires occupés ». Les rebelles n’ont pas été désarmés. Et rien n’est dit à ce propos. Je ne serais pas surpris que la guerre civile éclate de nouveau dans quelques jours ou quelques semaines. D’autant que les forces françaises d’interposition seront progressivement remplacées par des forces ouest-africaines (de la Cedeao). Les gens doutent de l’efficacité de ces dernières.

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Les relations avec les partenaires extérieurs. L’incertitude la plus totale règne dans les relations entre la Côte d’Ivoire et la France. Les projets et programmes de tous les bailleurs de fonds sont au point mort. Rien ne pointe à l’horizon. Personne ne croit à une reprise prochaine. Les entreprises, qui ne l’ont pas encore fait, pensent plutôt à se délocaliser complètement sinon à délocaliser leur personnel d’encadrement. Le trafic routier et maritime qui a été détourné du port d’Abidjan vers les pays voisins n’est pas près d’être rétabli. Le départ de la Banque africaine de développement aura beaucoup de conséquences. Il a touché les Ivoiriens dans leur orgueil. À noter qu’aucun gouvernement étranger n’encourage ses hommes d’affaires à revenir ou à investir. Même les entrepreneurs ivoiriens qui ont quitté le pays n’envisagent pas de revenir de sitôt. Il y a encore trop d’incertitudes pour les mois à venir.

Abidjan. Les quartiers modernes ressemblent à une ville morte même pendant le jour. La circulation n’est pas intense. Abidjan est méconnaissable. Les hôtels internationaux comptent leurs clients sur les doigts d’une ou de deux mains. L’atmosphère est très lourde. La ville est sinistrée. Quelques artères ont été nettoyées, mais à quoi cela va servir ?
S.G., Paris, France

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Appel à Laurent Gbagbo
J’en appelle au président de la République. Sortez de votre palais, allez prendre un bain de foule salvateur et laissez-vous prendre aux tripes par le regard des enfants en haillons au marché d’Adjamé ou de Treichville. Peut-être que l’un d’eux vous suivra, avec son carton, pour porter vos provisions, en échange de quelques piécettes ? Et si le regard de ces enfants vous empêche de dormir, alors la Côte d’Ivoire a un avenir.
Soyez le chef d’État qu’elle attend, un chef qui la serve, pas qui la donne. La Côte d’Ivoire a trop d’enfants qui sont prêts à la construire, pas à la reconstruire, car elle n’a jamais été construite… Là est l’avenir, ne laissez pas ces enfants se perdre dans la mendicité ou se battre avec des kalachnikovs. Apprenez-leur à marcher debout, main dans la main, apprenez-leur de belles choses. Ces enfants vous attendent pour être nourris, scolarisés, soignés, en un mot pour être élevés, au sens le plus noble du terme. Vous devez lire tant de lettres… La mienne est celle d’une femme française qui aime votre patrie, qui vous admire et qui, impuissante, souffre de voir tant de trahisons. Redevenez le premier opposant, vous seul pouvez sauver la Côte d’Ivoire en la servant, pas en servant ses violeurs.
Hélène Carbolic, Le Pradet, France

Non à l’année blanche
Je vous écris pour réagir à la décision du gouvernement de décréter une année scolaire blanche dans les zones de guerre. Comme tous les parents d’élèves en colère, je trouve cela injuste. Car depuis un bon moment, l’Unicef (Fonds des Nations pour l’enfance) organise des cours de mise à niveau dans le Nord. Cela nous a beaucoup soulagés. Tous ces efforts ne peuvent pas être jugés inutiles. Nos enfants ne doivent pas être les seuls à payer le prix de la guerre. Soit l’année blanche est générale, soit on valide les cours de l’Unicef. Nous croyions en avoir fini avec les discriminations.
Thérèse Ouattara, Association des parents d’élèves en zone de guerre, Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire peut s’en sortir
(Avec Laurent Gbagbo, les Ivoiriens ont compris que la Côte d’Ivoire est un pays riche. Il peut donc prendre son destin en main et s’en sortir. Et ça, les pays comme la France en ont peur. C’est pourquoi le président Jacques Chirac veut étouffer Laurent Gbagbo avant qu’il ne fasse le premier pas dans ce sens. Mais les Ivoiriens savent que leur avenir se trouve entre leurs propres mains.
Paul Tayoro et Robert Krassault, Abidjan, Côte d’Ivoire

La voie de la sagesse
Je suis ivoirien-américain. J’ai comme l’impression que la France a trahi les accords de coopération qu’elle a signés avec la Côte d’Ivoire. Au moment où l’on cherche à combattre le terrorisme, la France ne fait rien pour montrer la voie de la sagesse. La Côte d’Ivoire n’appartient à personne, mais à un peuple tout entier. Moi, je n’ai pas voté pour Gbagbo, mais il a été élu et je le supporte à 100 %. Car c’est l’avenir de la Côte d’Ivoire qui est en train de se jouer. Il n’est pas trop tard pour que la France se rachète une conduite pour calmer la tension.
Azzie, Vermont, États-Unis

Les faibles de la planète
La guerre contre l’Irak est la matérialisation de l’injustice. Nous autres, les faibles de la planète, sommes meurtris au point de ne savoir quoi faire. Cette guerre à des allures de fin de monde. En effet, toutes les valeurs morales semblent s’effondrer. L’intérêt financier commande tout, sans masque. Les Américains ne jurent que par les marchés pour reconstruire ce qu’ils ont délibérément détruit.
ELHADJI KOLLO MOUSTAPHA

Un Mobutu en Irak ?
Selon les États-Unis, l’Irak et les autres États voyous menacent l’équilibre mondial. Vu sous cet angle, certains Africains penchent du côté américain. Mais vu sous l’angle du pétrole, d’autres vont du côté irakien. Attendons de voir comment l’Irak sera géré pour comprendre les enjeux de la guerre. Cela me fait penser au Zaïre : Mobutu a été imposé par les Américains au nom de la liberté. Nous connaissons la suite : la dictature et le chaos. Depuis 1997, plusieurs millions de morts ont été causés par les alliés des Américains, les Rwandais et les Ougandais.
JEAN AIMÉ OBENGUI NGOKA
Brazzaville, Congo

Une banlieue oubliée du monde
M. François Soudan, j’ai vraiment du respect pour vous, mais je me dois de vous dire ce que j’ai à dire, car les propos que vous avez tenus me touchent de plein fouet. Autant j’étais content de lire l’article sur le départ inattendu de M. Ange-Félix Patassé qui n’a fait que récolter les fruit de sa mauvaise gouvernance (voir J.A.I. n° 2202), autant j’ai été déconcerté et choqué par votre dernière phrase, que je trouve indigne d’un homme comme vous. Que voulez-vous signifier par « la Centrafrique, plus que jamais, n’est qu’une banlieue oubliée du monde » ? C’est vraiment à mon sens un langage dénué de toute courtoisie et laissez-moi vous dire que vous manquez grandement de respect aux Centrafricains et aux Centrafricaines. Si la RCA est une banlieue oubliée du monde, alors que font les quelque deux cents Français là-bas ? Pourquoi est-ce que la France a une ambassade dans un tel coin ? Vous-même, vous avez consacré des pages pour parler de cette banlieue oubliée du monde, qui pourtant en superficie est plus grande que la France.
ANICET SENGANAMBI
Nairobi, Kenya

Réponse : Si cette formulation vous a à ce point choqué, je ne peux que m’en
excuser auprès de vous.
Hélas ! je suis obligé d’en maintenir l’esprit : si la communauté internationale
s’était souvenue à temps de l’existence de la Centrafrique, votre pays ne serait
pas « au fond du gouffre », pour reprendre l’expression du Premier ministre Abel Goumba. C’est donc aux
Centrafricains avant tout qu’il incombe de l’en sortir. Gageons qu’ils y parviendront.
F.S.

Pont de Rosso : précisions sénégalaises
À la suite de la note confidentielle parue dans J.A./l’intelligent n° 2203 du 30 mars 2003, la présidence de la République du Sénégal tient à apporter les précisions suivantes :
1. Les propos du ministre des Infrastructures, des Transports et de l’Équipement, M. Mamadou Seck, méritent une précision. Sa pensée, qui est celle du président de la République, c’est que la route de Casablanca à Dakar qui traverse nécessairement le fleuve Sénégal est un projet tripartite : Maroc, Mauritanie et Sénégal. Une commission a d’ailleurs été nommée par les trois pays à cet effet.
2. S’agissant du pont de Rosso sur le fleuve Sénégal, il s’agit d’un projet sénégalo-mauritanien qui a fait l’objet d’une requête commune des deux pays auprès du gouvernement du Japon.
SOULEYMANE NDÉNÉ NDIAYE
Porte-parole, Dakar,
présidence de la République
du Sénégal

La Kabylie, île flottante
Cela fait deux ans que la crise kabyle est « née ». L’accouchement ne fut pas sans douleur : une centaine de jeunes tués et une région exsangue. Deux longues et douloureuses années durant lesquelles répression, emprisonnements et faux dialogues ont été légitimés.
C’est la seule réponse que le pouvoir algérien a trouvée. Pour moi, c’est plutôt une fuite en avant, puisque la région ressemble aujourd’hui à une île flottante sur des eaux troubles.
KARIMA BRAHIMI
Alger, Algérie

Pourquoi pas en Afrique ?
J’ai été impressionné par votre courage dans le n° 2202. Votre narration du coup d’État opéré à Bangui et du huis clos sous haute tension en Côte d’Ivoire doit créer un déclic psychologique chez nous.
Quel modèle la jeunesse africaine doit-elle suivre ? L’exemple des rébellions ou des coups de force ? L’accès au pouvoir ne doit plus passer par les actes de barbarie.
Quelle que soit l’incapacité de celui qui gouverne, nous devons utiliser les urnes pour le bouter hors du pouvoir. Ailleurs, cela se passe ainsi. Pourquoi pas en Afrique ? On gagnerait à financer des séances d’éducation civique pour faire grandir sainement notre jeunesse.
FRÉDÉRIC DÉSIRÉ TINA
Ebolowa, Cameroun

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