Rémy Leveau

Le spécialiste du monde arabo-musulman est mort le 2 mars à Paris.

Publié le 16 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Rémy Leveau n’est plus. Le professeur émérite de sciences politiques s’est éteint mercredi 2 mars à l’âge de 72 ans, à son domicile parisien. Il était considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du monde arabo-musulman contemporain. En 1958, il suit son épouse au Maroc, où elle était professeur d’espagnol et commence sa carrière universitaire à la faculté de droit de Rabat comme enseignant. Au même moment, il se voit confier une mission particulière : il est l’un des précepteurs du prince héritier. Rapidement, entre le jeune chercheur et le futur Hassan II, le courant ne passe plus. Conseiller juridique au cabinet du ministre de l’Intérieur Ahmed Reda Guedira, il suit de très près les élections législatives de 1963, les premières dans ce pays fraîchement indépendant. Cinq ans plus tard, il est membre d’une cellule de « réflexion » mise en
place par un autre ministre de l’Intérieur, le général Mohamed Oufkir : le Centre d’études, de recherche et de formation (Cerf), rattaché à la division de l’urbanisme et
de l’habitat. Il met aussi à profit ce passage par l’administration pour préparer une thèse de doctorat sur l’élite urbaine et ses rapports avec la monarchie. Elle sera publiée
en 1976 sous forme d’un livre devenu fameux : Le Fellah marocain défenseur du trône (éditions de la Fondation nationale des sciences politiques, FNSP). Ce travail révèle l’importance du réseau que Rémy Leveau a tissé au Maroc. Ses statistiques et ses documents
vont être utiles à des générations de chercheurs, bien que l’ouvrage ne fasse plus, aujourd’hui, l’unanimité.

Après le Maroc, il passe un an à Tripoli (1974-1975), comme conseiller culturel à l’ambassade de France, avant de partir au Liban, où il enseigne à l’université Saint-Joseph de Beyrouth. Entre 1975 et 1983, il est conseiller culturel à l’ambassade de France au Caire. Mais c’est rue Saint-Guillaume, à l’Institut d’études politiques de Paris, qu’il s’installe définitivement en y créant un DEA sur le monde arabo-musulman. Il
commence alors à former ses « disciples », dont le plus emblématique et sans doute le plus médiatisé sera Gilles Kepel. C’est d’ailleurs lui, qui, au matin du décès du « maître », annonce la mauvaise nouvelle aux médias.
Rémy Leveau n’était pas un chercheur ordinaire. Parallèlement à son activité universitaire, il a effectué des missions à long terme dans des organismes semi-officiels, comme l’Institut français du Proche-Orient, dont il a été président. En 1980, fraîchement installé en France, Rémy Leveau découvre, à la télévision, des grévistes musulmans de l’usine Talbot faisant leur prière en bleu de chauffe. Il prend rapidement conscience de l’évolution de l’islam en France et devient, avec Gilles Kepel, un des théoriciens de la politique française en matière d’immigration. En 1987, ils cosignent Les Musulmans dans la société française, aux Presses de la FNSP. Son poste de conseiller scientifique à l’Institut français des relations internationales (Ifri) lui permet d’animer des conférences parfois marquantes, comme celle qui voit le prince Moulay Hicham, en 2002, plaider en faveur d’un « pacte monarchique » dans le monde arabe.

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Par-delà tout ce qui a été dit et écrit sur les travaux de Rémy Leveau, son influence sur la sociologie politique au Maghreb est incontestable. Son ouvrage le plus connu dans ce domaine est Le Sabre et le turban (éditions F. Bourin, 1993). Selon le chercheur d’Aixen-
Provence Vincent Geisser, « Rémy Leveau restera dans les mémoires comme l’incarnation d’un universitaire-frontière, conciliant simultanément recherche et expertise politico-administrative, enseignement académique et études de terrain, production scientifique et vulgarisation à destination des médias et du grand public ». C’est sans doute pour toutes ces raisons qu’il a toujours suscité le respect, y compris de ceux qui ne partageaient pas ses analyses.

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