Pourquoi l’Afrique n’a toujours pas la cote
Le rapport annuel de la Coface épingle une fois de plus le continent. Pourtant, la plupart des sociétés qui s’y sont implantées tablent sur une progression de leur chiffre d’affaires en 2005.
Tensions sociales ou ethniques, instabilité politique, régimes discrédités, menaces de conflit, environnement économique défavorable… Telle est la triste litanie reprise en choeur par la plupart des hommes d’affaires internationaux dès lors qu’ils parlent de l’Afrique. Peut-on le leur reprocher ? Pas vraiment si l’on en juge par le « rapport risque-pays » publié chaque année par la Coface. Dans sa livraison 2005, la société française d’assurance-crédit sur les marchés à l’exportation se montre impitoyable (voir carte). À l’exception du Botswana (A2), de l’Afrique du Sud (A3), de l’île Maurice (A3), de la Namibie (A3), du Maroc et de la Tunisie (A4), les notes attribuées aux autres pays du continent se répartissent entre les catégories B, C et D. Globalement, l’Asie et l’Amérique latine ont un classement nettement plus favorable, et la moyenne mondiale se situe entre l’échelon A1 et A2. En clair, l’Afrique fait peur, car les risques d’impayés sont élevés, voire très élevés.
Citant les exemples de la Côte d’Ivoire (D) et de la République démocratique du Congo (D), la Coface souligne « la vulnérabilité des entreprises confrontées aux situations de crise ». À chaque fois, le scénario est le même. Les investisseurs plient bagage, le secteur informel s’étend, le chômage monte en flèche, les inégalités se creusent et les caisses de l’État se vident. Bref, l’économie s’écroule, et les inconnues politiques rendent hypothétique toute perspective de reprise.
En 2004, sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, seules l’Afrique du Sud (A3), la Tanzanie (B) et Madagascar (C) ont vu leur notation progresser. L’Afrique du Sud, qui représente plus de 40 % du PIB de la zone, connaît une période de relance favorisée par sa consommation intérieure, la croissance des investissements et une politique budgétaire rigoureuse. Les agrégats économiques sont bons, et le leadership politique est considéré comme fiable. Inévitablement, les multinationales ont donc confiance et misent sur ce pays. La Tanzanie, quant à elle, se distingue par l’avancée de ses réformes structurelles, tandis que Madagascar poursuit la stabilisation de son économie. Parmi les autres pays « à performance honorable », notons le Mali et le Sénégal, dont la Coface apprécie la bonne gouvernance, saluée par la communauté internationale.
En Afrique du Nord, la situation s’améliore, mais, à vrai dire, les mutations engagées ou espérées n’y sont pas pour grand-chose. Il faut plutôt regarder du côté de la flambée des cours du brut, qui oscillent depuis plusieurs mois autour de 50 dollars le baril. Avec 30 milliards de dollars de recettes à l’exportation en 2004, l’Algérie a engrangé des revenus pétroliers records. Autre exemple : la Libye. De retour sur la scène internationale, Tripoli s’offre même le luxe de choisir ses investisseurs étrangers. Le 30 janvier, quinze permis d’exploration pétrolière ont été attribués. Onze pour les Américains, aucun pour les Européens (voir J.A.I. n° 2300). Le Maroc et la Tunisie ont, pour leur part, grâce à de bonnes conditions climatiques, enregistré d’excellents résultats en matière agricole et ont largement profité de la reprise dans le secteur du tourisme. Cette conjonction d’éléments favorables rend automatiquement l’environnement des affaires plus attractif et plus sûr.
Les paramètres pris en compte pour établir ce classement risque-pays s’imposent d’eux-mêmes et laissent peu de place à l’interprétation. Stabilité de la conjoncture économique, solidité du secteur bancaire, état des finances publiques et de la balance commerciale, situation institutionnelle, comportement de paiement des entreprises, autant de critères passés au peigne fin par la Coface, qui centralise les informations de 44 millions d’entreprises opérant dans 93 pays. Une base de données unique à travers le monde.
Pourquoi l’Afrique s’en sort aussi mal ? « Notre analyse est la même que celle de la Coface », explique Claude Périou, directeur général de Proparco (filiale de l’Agence française de développement), qui finance des investissements privés à moyen et long terme. Les montants sont généralement assez élevés (entre 15 millions et 20 millions d’euros) et concernent des secteurs d’activité aussi diversifiés que l’agriculture, l’hôtellerie et les hydrocarbures. « Excepté le dynamisme de la partie anglophone et les frémissements en Afrique du Nord », les chiffres sont, pour le reste, édifiants. L’Afrique subsaharienne représentait 60 % de l’activité de Proparco il y a cinq ans. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 30 %, déplore Claude Périou : « Nous nous heurtons à une absence de projets, et la sécurité des affaires n’est pas garantie. On le ressent notamment sur le dossier des privatisations. Les investisseurs se font rares, car ils n’ont pas confiance. Cela nous renvoie aux enjeux de la bonne gouvernance et de la stabilité politique. Pourtant, il y a des réserves de croissance. » En 2004, le rythme de la croissance s’est accéléré en Afrique subsaharienne, avec 4,5 %, et les prévisions tablent sur 4,7 % cette année.
Sans nier cette réalité, le Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) affiche malgré tout, avec un certain panache, son « afro-optimisme ». « Au-delà de la situation parfois peu glorieuse de certains pays, le continent souffre avant tout d’une mauvaise réputation qui accentue les écarts de classement avec le reste du monde », regrette Jean-Louis Castelnau, président délégué du Cian, qui regroupe une centaine de sociétés implantées sur le continent. Selon le dernier rapport de l’organisation*, la plupart des sociétés misent sur une progression de leur chiffre d’affaires en 2005, infirmant du même coup l’analyse de la Coface. Quelque peu agacé par « la rigueur d’assureur de la Coface », Jean-Louis Castelnau tient à rappeler que « les entreprises ne sont pas des philanthropes ; elles restent en Afrique, car elles dégagent des bénéfices ». De fait, les principaux groupes français (Bolloré, Accor, Air liquide, Total, Bouygues) affichent sur le continent des résultats enviables. « La corruption et l’instabilité politique, la taille limitée du marché africain, les mauvais comportements en matière de paiement sont autant de facteurs qui dissuadent les investisseurs. Mais cela ne doit pas faire oublier l’essentiel : l’Afrique permet bel et bien de gagner de l’argent », conclut Jean-Louis Castelnau. Un homme qui a fait toute sa carrière sur le continent.
* Courriel : cian.paris@wanadoo.fr, publié également par l’hebdomadaire Le Moci, n° 1683-1684, 10 euros, www.lemoci.com
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