Main basse sur le coton

Un plan de relance cherche à reprendre en main le contrôle de la filière pour empêcher la production de gagner les pays voisins. Au grand dam de l’ex-rébellion qui tient le nord du pays.

Publié le 15 mars 2005 Lecture : 4 minutes.

Allongé sur son ballot de coton, Ibrahim Coulibaly attend le passage des pisteurs. La mort dans l’âme, il a décidé de céder sa récolte à ces marchands ambulants afin de toucher des espèces sonnantes et trébuchantes. Car, après deux ans d’une situation de « ni guerre ni paix », les conditions de vie dans le grand nord de la Côte d’Ivoire se sont particulièrement dégradées : les banques ont fermé, les égreneurs ne peuvent plus payer les paysans, les prix des produits de grande consommation ont grimpé en flèche… La culture de l’or blanc, qui permettait aux populations de subvenir à leurs besoins, est en pleine déliquescence. De 400 000 t il y a trois ans, la production est passée à moins de 180 000 t en 2003-2004. Les intrants parviennent difficilement aux planteurs, l’évacuation de la récolte vers les usines de traitement est perturbée, l’acheminement de la fibre vers Abidjan connaît des interruptions au gré des rebondissements politiques ou militaires. Ce qui entraîne des surcoûts liés notamment au racket des corps habillés, comme on appelle ici tous ceux qui portent un uniforme. Si bien qu’entre 50 000 et 80 000 t de coton ivoirien partent dorénavant pour le Mali et le Burkina, débouchés plus faciles à gérer pour les Forces nouvelles (FN, ex-rébellion). Acculés par les dettes, les producteurs préfèrent brader leur coton à moins de 100 F CFA le kilo aux pisteurs, plutôt que de le remettre aux égreneurs en espérant qu’ils les rémunèrent ultérieurement au prix officiel, soit 185 F CFA le kilo.
À sept mois de la présidentielle prévue en octobre, la survie de la filière est devenue un enjeu politique. Les autorités travaillent à un plan qui devrait permettre de relancer la production. Le Conseil des ministres du 27 janvier a pris un décret, complété depuis par plusieurs arrêtés interministériels, qui fixe à hauteur de 7,50 F CFA le kilo de coton-graine les redevances destinées à financer l’autorité de régulation, l’interprofession et les organisations de producteurs. Élaboré conjointement par le ministère de l’Agriculture et celui de l’Économie et des Finances, ce nouveau dispositif fait couler beaucoup d’encre : Paul-Antoine Bohoun Bouabré, le ministre de l’Économie et des Finances, aurait insisté pour que la Banque nationale d’investissement (BNI), dirigée par un de ses proches, Victor Nembellissini, accueille les redevances.
Autre nouveauté : le cabinet Audit, Contrôle, Expertise (ACE) d’André Soumah, qui passe pour être un autre homme lige du grand argentier, s’est vu confier la responsabilité d’organiser le pesage et le contrôle de la qualité du coton-graine dans les usines d’égrenage ainsi que la vérification du paiement des producteurs. ACE exerce les mêmes activités de contrôle et de pesage dans la filière café-cacao, et se fait grassement rémunérer pour ce service. Ce qui contribue à semer la suspicion parmi les opérateurs privés.
« Le loup est entré dans la bergerie. Le ministre est en train de prendre le contrôle de la filière coton avec le même réseau que celui qui opère dans le secteur du café-cacao », dénonce un bailleur de fonds. Alors que les bailleurs de fonds et le ministre de l’Agriculture, Amadou Gon Coulibaly, sont souvent montés au créneau pour défendre la libre concurrence dans les activités cacao, beaucoup ont déploré la passivité de ce dernier sur le dossier coton. « Le ministre s’est fait piéger. Ne détenant pas les cordons de la bourse, il n’a pas vraiment le choix. Pour sauver la filière et préserver son image politique dans le Nord, il a accepté un schéma de fonctionnement qui fait la part belle aux partenaires du ministère de l’Économie », explique un opérateur économique. En contrepartie, le locataire de l’immeuble de la Caistab, également maire RDR (Rassemblement des républicains) de Korhogo, aurait obtenu que la BNI garantisse les achats d’intrants auprès des groupes agrochimiques qui ne souhaitent plus vendre leurs produits à crédit. Une condition impérative pour la survie de la filière. Mais qui pourrait être insuffisante, la caution des autorités ne valant plus grand-chose aux yeux des opérateurs privés. « Nous nous sommes fait avoir plusieurs fois. Dorénavant, il faut payer cash », explique le responsable d’une société phytosanitaire.
Soro Seydou, directeur général de l’Union régionale des entreprises coopératives de la zone de savane de Côte d’Ivoire (Urecos-CI), qui regroupe la grande majorité des planteurs cotonniers, a également adhéré au dispositif des autorités en échange d’un financement public pour son organisation. Ce qui lui permettra de régler une partie des dettes de la Sicosa, la société d’égrenage de l’Urecos-Ci, auprès des planteurs, qui n’hésitent plus à manifester leur mécontentement. Selon le ministère de l’Agriculture, LCCI, filiale du groupe L’Aiglon de l’homme d’affaires malien Cheickna Kagnassi, et Sicosa devraient encore 8 milliards de F CFA aux producteurs au titre des trois dernières campagnes.
Si, sur le papier, le plan de relance des activités cotonnières semble réalisable, son application sur le terrain ne pourra se faire sans une collaboration avec les Forces nouvelles. Accusées par le gouvernement d’organiser les « fuites » frauduleuses de coton, ces dernières ont réagi par l’intermédiaire de leur leader, Guillaume Soro, qui s’est rendu à Korhogo fin février. Il a tenu à rassurer son monde sur la volonté de son parti de mettre fin aux trafics et de redynamiser les activités. Mais les militaires de la zone rebelle n’ont pas vraiment intérêt à ce que le commerce illicite s’interrompe, car ils prélèvent de juteux « droits de passage ».
Même s’il n’est pas appliqué, le nouveau dispositif permet aux barons du FPI de couper l’herbe sous les pieds de l’opposition qui leur reproche de se désintéresser des populations du Nord. Le RDR n’est pas dupe, mais n’a guère le choix. Le président du conseil général de Korhogo, N’Golo Coulibaly, a parcouru la zone cotonnière du 5 au 16 février pour prendre le pouls des planteurs qui font vivre indirectement deux millions personnes. Certains d’entre eux ont menacé de ne pas aller voter si leurs problèmes ne sont pas résolus.

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