Côte d’Ivoire-Ghana : bras de fer entre « l’Opep du cacao » et les négociants

En s’alliant, Accra et Abidjan voulaient changer le rapport de force dans la filière cacaoyère. Mais la conjoncture a contrarié leurs plans.

Plantations de cacao de Tombokro, en Côte d’Ivoire. © Philippe Guionie/Myop pour J.A.

Plantations de cacao de Tombokro, en Côte d’Ivoire. © Philippe Guionie/Myop pour J.A.

Publié le 30 novembre 2020 Lecture : 4 minutes.

Pépinières de la coopérative cacaoyère « Que Luz » , à Sao Tome. © Vincent Fournier/Jeune Afrique-REA
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Café-cacao : quelles solutions pour augmenter la part des producteurs ?

Confrontés à une demande en produit fini en baisse, mais disposant d’une offre toujours abondante, les pays africains tentent de protéger les revenus de leurs producteurs de café et de cacao. Reste que la tentative du Ghana et du la Côte d’Ivoire de s’allier dans une Opep du cacao pour peser face aux négociants s’avère extrêmement compliquée.

Sommaire

La campagne de commercialisation de la récolte de la saison 2020-2021 commence dans la tourmente pour la Côte d’Ivoire et le Ghana, les deux premiers producteurs mondiaux rassemblant plus de 70% de l’offre vendue aux négociants.

Les deux voisins ouest-africains avaient créé l’Opep du cacao en 2018 pour influencer les cours internationaux et augmenter leur part du gâteau. Sur 100 milliards de dollars de revenus générés sur toute la chaîne du cacao chaque année, à peine 6% reviennent aux pays producteurs, et seulement 2% aux paysans qui créent cette richesse.

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En s’alliant, Accra et Abidjan voulaient changer la donne. Mais la conjoncture a contrarié leurs plans.

Baisse de la demande et veto des « majors » du cacao

Les géants de la filière avaient fait une mauvaise projection sur la consommation du chocolat liée à la pandémie du Covid avec son lot de confinement en Europe et aux Etats Unis. « Avec le confinement, nous avions pensé, que la consommation de chocolat allait exploser, puisque les gens resteront chez eux et n’auront pas d’autres alternatives que de consommer le chocolat. Nous avions plutôt constaté une baisse de la consommation » confie un chocolatier.

La faiblesse de la demande – et la baisse conséquente du cours du cacao, qui pourrait descendre jusqu’à 1 475 livres sterling la tonne à Londres d’ici à la fin de l’année 2020 selon les analystes, soit 17 % de moins qu’en 2019 – a conduit les majors du secteur tels que Cargill, Olam et Sucden, à réclamer une réduction du « différentiel d’origine », lié au pays de production, actuellement fixé entre 70 et 100 livres sterling par tonne pour la Côte d’Ivoire.

Mais surtout, ces géants du négoce de la fève refusent désormais de payer différentiel de revenu décent (DRD) estimé à 400 dollars la tonne pour la campagne en cours.
Actuellement, du fait des cours bas, les chocolatiers n’achètent plus les fèves via le système de contrat à terme sur les marchés internationaux. Cependant, leurs achats sur le terrain et les exportations se poursuivent.

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Le « revenu décent », un maillon faible ?

Instauré par les deux leaders mondiaux du cacao pour augmenter les revenus des paysans, le DRD est devenu le maillon faible de la filière ouest-africaine.

« Les exportateurs reçoivent de grosses primes des chocolatiers. Mais c’est une infime partie qui arrive au paysan, environ 30 à 60 FCFA par kilo [entre 4 et 5 centimes d’euro]. Nous avons voulu inverser la tendance avec le DRD », explique un ministre ivoirien.

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En Côte d’Ivoire, ce sont environ plus de 300 000 tonnes de la récolte principale en cours qui sont concernées. Au Ghana, un plus de 200 000 tonnes. En cas de blocage continu, la Côte d’Ivoire ne pourra plus soutenir le prix bord champ au producteur fixé à 1 000 F CFA par kilo de cacao sur la période du 1er octobre au 31 mars.

L’argument des exportateurs est la faiblesse de la demande. « Nous peinons à remplir nos carnets de commande. La baisse continue des cours internationaux combinée à la faiblesse de la demande nous amène à réajuster nos budgets pour survivre » confie à Jeune Afrique le dirigeant régional d’un grand acteur international du secteur, basé à Abidjan.

Un « complot contre les paysans »

Le 10 novembre, le Conseil Café Cacao (CCC) et le Ghana Cocoa Board (Cocobod), les deux instances de régulation, initiatrices de l’Opep du cacao, se sont réunis en urgence à Accra pour analyser et étudier la question.

Joseph Boahen Aidoo, le directeur général du Cocobod, a stigmatisé les majors du cacao qui ne joueraient pas « franc jeu », en ne tenant pas leurs engagements. L’Ivoirien Yves Koné, le patron du CCC, parle quant à lui de « complot contre les paysans ».

« Les multinationales ne veulent plus payer le DRD et se cachent derrière le différentiel-pays. Si elles étaient véritablement en difficulté, elles auraient arrêté d’acheter », estime Yves Brahima Koné.

Des sanctions à l’étude

Du coup, Abidjan et Accra préparent une série de sanctions. Au-delà des amendes pécuniaires qui sont à l’étude, les deux gendarmes des filières prévoient de suspendre tous les programmes de durabilité et de certification en cours dans la filière.

Ces programmes qui portent sur la traçabilité de la chaîne de production sont essentiels pour les majors. Les exportateurs doivent prouver – avant l’accès de leurs fèves sur les marchés européen et américain – que le cacao n’a été produit par des enfants ou dans des forêts classées.

Si la menace des autorités ivoiriennes et ghanéennes est mise à exécution, les chocolatiers auront du mal à s’orienter vers de nouvelles zones d’approvisionnement, alors que les deux pays ouest-africains produisent conjointement environ 3 millions de tonnes sur une offre mondiale de 4,6 millions de tonnes.

L’issue du combat entre « l’Opep du cacao » et les deux premiers producteurs mondiaux « d’or brun » reste encore incertaine. En raison de la baisse du broyage en Europe, en Asie et aux États-Unis – due à l’impact du Covid – l’offre de fèves est supérieure à la demande pour l’année en cours. Par conséquent, les majors de l’industrie peuvent se passer momentanément d’une partie de la production ouest-africaine.

À plus long terme, la situation est beaucoup moins claire. Pendant combien de temps durera ce bras de fer entre pays producteurs et exportateurs ? Accra et Abidjan restent, quoi qu’il en soit, ouverts aux propositions et aux négociations. Un « deal » est donc encore possible pour éviter de mettre à mal cette filière essentielle pour leurs économies.

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