Le mystère Elhadji Mamadou Sylla

Qui est cet homme d’affaires prospère ? Quel est son rôle auprès du président Lansana Conté ? Nourrit-il des ambitions politiques ?

Publié le 15 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Le sort d’un autre général malade depuis plus d’un an, le président Lansana Conté, est dans tous les esprits depuis la mort brutale de son homologue togolais Gnassingbé Eyadéma, le 5 février. Et dans une Guinée en proie à toutes les incertitudes, le nom d’un homme d’affaires à l’ascension irrésistible revient sans cesse, dans les conversations : Elhadji Mamadou Sylla. C’est lui, et personne d’autre de son proche entourage que le chef de l’État guinéen a vu juste après avoir échappé à une tentative d’assassinat, le 19 janvier. C’est encore à lui que François Lonsény Fall s’est heurté et à cause de lui, entre autres, que ce dernier a précipité sa démission du poste de Premier ministre, le 29 avril 2004. Un mois plus tôt, Fall, décidé à s’attaquer au Conseil national du secteur privé et à casser le monopole de la Société guinéenne d’exportation des produits agricoles et miniers (Sogepam), s’est fait convoquer par le chef de l’État qui, en présence de Sylla, lui a sèchement « interdit de toucher à cette structure ».
Sylla est aujourd’hui suffisamment influent et introduit au palais pour que certains le surnomment « le vice-président de la Guinée ». Ce quadragénaire qui en fait plus était pourtant un parfait inconnu il y a seulement une demi-douzaine d’années. Aujourd’hui première fortune de Guinée, président du patronat, numéro un du conseil d’administration de l’Office de promotion des investissements privés, troisième employeur du pays – après l’État et la Compagnie des bauxites de Guinée -, leader de l’Union pour le développement intégré de la Basse Guinée (Udibag, le groupe de pression qui regroupe les personnalités issues du pays soussou comme Conté)… l’ascension de cet autodidacte au français sommaire en étonne plus d’un. Ses compatriotes, qui le voient s’enrichir à mesure qu’il se rapproche du chef de l’État, sont convaincus que le patron des patrons a lui-même pour patron Lansana Conté. Il passe à leurs yeux pour son homme de paille, son bras financier. Lui nie : « Je n’ai jamais entretenu de rapports d’argent avec le président. Il rigole, d’ailleurs, chaque fois que je lui rapporte les rumeurs qui veulent que des caisses d’argent circulent entre mon domicile et le palais. Qu’y a-t-il d’anormal à ce qu’un Guinéen qui travaille soit devant les autres sur les secteurs porteurs et gagne de l’argent ? » L’explication paraît courte à ceux qu’intrigue son passage à une vitesse supersonique de la périphérie au coeur du pouvoir politique et économique dans son pays. Mais l’enfant de Boké, une ville minière du nord-ouest du pays où il est né en janvier 1960, n’en a cure. Issu de l’ethnie des Diakhankés, réputés pour leur sens des affaires et leur attachement à l’islam, il est inscrit tout petit à l’école coranique. Adolescent, il suit son père Elhadji Bakoutoubou Sylla, un marabout attiré par la réussite ici-bas, pour travailler à ses côtés dans les mines de diamant de Banankoro.
Il ne débarque à Conakry qu’en 1984, « se débrouille » dans les affaires, vend tout et rien. Et, à partir de 1991, séjourne de temps à autre aux États-Unis, où il ouvrira un salon de coiffure africaine qui se révélera un fiasco.
L’histoire de Sylla aurait pu être banale, comme le destin de nombreux Africains très tôt sevrés d’école et devenus « hommes d’affaires » pour survivre.
Survient un événement inattendu, un jour de septembre 2001. Des groupes de rebelles venus du Liberia et de la Sierra Leone attaquent le sud de la Guinée, pillent, incendient, ébranlent fortement le régime de Conté. Il faut d’urgence des équipements militaires (véhicules, armes, munitions…) au chef de l’État guinéen, général dans une autre vie. Un des membres de son entourage lui suggère le nom d’un certain Mamadou Sylla, débrouillard devant l’Éternel, vendeur à ses heures perdues de fusils de chasse et de cartouches. Il serait en contact avec des réseaux de vente d’armes. Le président le fait venir illico presto. Le Diakhanké, qui flaire le « coup » de sa vie, s’engage à trouver le nécessaire. Pour 15 milliards de F CFA ? 30 milliards ? Les supputations dans l’entourage du chef de l’État vont bon train sur le montant alors remis à Sylla pour la « commande ». Une autre opération achève de convaincre Conté : en onze jours, l’homme d’affaires fait venir une trentaine de véhicules tout terrain de Bruxelles à Conakry. Le général repousse les assaillants.
La suite est une histoire d’amour comme Conté en a connu avec d’autres businessmen de son pays : Mamadou Aliou Bobo, Alsény Barry, Alpha Amadou Diallo… Mais cette fois l’idylle dure. Entre 2001 et 2004, Sylla fournit de gré à gré à son président d’ami plusieurs dizaines de 4×4 neufs (entre 60 000 et 80 000 dollars l’unité) que celui-ci distribue à ses ministres, aux cadres de l’administration, aux autorités religieuses et coutumières du pays, aux membres de sa famille, à ses amis…
L’homme d’affaires se retrouve à la tête d’un holding tentaculaire, Futurelec Holding, avec onze filiales allant de l’agriculture au commerce général, de la vente d’automobiles au BTP, de l’hôtellerie à l’industrie et… au transport aérien. Le patron assouvit son désir de puissance par l’acquisition de deux avions et lance Air Guinée Express en 2002 sur les cendres de la défunte compagnie nationale. En quelques années, entre 2000 et 2004, Futurelec se hisse au rang de première entreprise du pays, emploie 650 personnes et réalise un chiffre d’affaires estimé à 200 millions de dollars.
Au sommet de sa gloire, Elhadji Mamadou Sylla vit entouré de ses trois femmes et de ses dix enfants dans un immeuble flambant neuf qui domine le quartier de Dixinn Bora, à Conakry. Et jouit d’une vraie cour. Nombre de ministres font le pied de grue chez lui, en attendant d’être reçus. Il possède une dizaine de bolides de grande marque, un hélicoptère VIP (coût : 1 million de dollars) qu’il emprunte quelquefois le week-end pour atterrir sur une piste au milieu de sa « ferme » de Kondéyah, à 130 km de Conakry. Un immense domaine d’une centaine d’hectares dont les étendues aménagées, le nombre de têtes de bétail, les caïmans… rendent compte de la dimension de la richesse de son propriétaire. De son ego, aussi.
Cible de virulentes critiques, dans la ligne de mire de nombreux cadres tapis dans les sphères de l’État, Sylla ne manque pas de songer à assurer ses arrières. Surtout en ces temps d’incertitudes où la maladie chronique de Conté fait craindre le pire à tout moment. Il s’est d’abord tourné vers la Gambie, où il est en train d’achever pour 1,8 million de dollars la construction, au coeur de Banjul, d’un immeuble de 7 niveaux qui doit abriter les bureaux de Futurelec Gambia Ltd. Au Sénégal, où il a discrètement fondé Futurelec SA et EMS Immobilier, fin décembre 2004, il recherche des terrains pour bâtir son siège, des immeubles à usage de bureaux et des logements sociaux.
En Guinée-Bissau, où le chef de l’État Henrique Rosa lui a donné le feu vert pour entreprendre dans tout domaine de son choix, il s’est limité à créer une société de trading en attendant un contexte politique plus rassurant. Le Diakhanké est trop porté à la récolte pour semer sur des sables mouvants. Même sur ceux de la politique, comme on lui en prête le projet ?

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