La démocratie selon Moubarak

S’il ouvre la voie à une élection présidentielle pluraliste et au suffrage universel, le projet de réforme constitutionnelle s’apparente plus à une mesure cosmétique qu’à un changement de système.

Publié le 15 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Un vent d’enthousiasme, en Égypte comme à l’étranger, avait accueilli l’annonce, le 26 février, par Hosni Moubarak, au pouvoir depuis un quart de siècle, d’une réforme constitutionnelle devant introduire une révision du mode de désignation du président de la République. Jusque-là, les deux chambres du Parlement investissaient un candidat unique avant de faire entériner leur choix par un référendum. Désormais, le chef de l’État sera élu au suffrage universel, et l’élection sera ouverte à plusieurs candidats.
Au terme de son quatrième mandat de six ans, Hosni Moubarak, qui a l’intention de se représenter une cinquième fois, cède face aux pressions de la rue et de l’administration américaine. Une partie de l’opinion s’était mobilisée pour empêcher le président sortant de briguer un nouveau mandat. Des manifestants battaient régulièrement le pavé en reprenant le même slogan : « Kifaya ! » (« Ça suffit ! »). La société civile redoutait aussi un scénario à la syrienne, c’est-à-dire une succession dévolue au fils du chef de l’État, Gamal Moubarak. Le raïs a balayé ces appréhensions en laissant entendre que l’Égypte n’est pas une république héréditaire : « Si Gamal a des ambitions présidentielles, il devra passer par les urnes. »
Quant à l’administration américaine, elle affichait de plus en plus son irritation de voir l’Égypte, « pionnière des pays arabes en matière de paix avec Israël », à la traîne en matière de démocratisation de la vie publique. La secrétaire d’État, Condoleezza Rice, a donc apprécié à sa juste valeur la décision de Moubarak, en affirmant qu’il ne s’agit là que d’un premier pas. Autrement dit : peut mieux faire !
Presse occidentale et porte-parole dûment accrédités n’ont pas tari d’éloges sur « le courage politique » de Moubarak. Son courage ? L’actuelle législation faisait de sa réélection une simple formalité, le Parlement lui étant acquis à 80 %. En fait, le risque de voir Moubarak battu par un rival est minime. L’opposition est trop divisée pour constituer une réelle menace en présentant une candidature unique, par exemple. La seule force politique capable de détrôner le Parti national démocrate (PND, du président Moubarak) n’a pas d’existence légale. L’association des Frères musulmans, créée par Hassan al-Banna, à Ismaïlia, en 1929, a essaimé partout dans le monde arabe, avec plus ou moins de bonheur. Toutefois, elle reste marginalisée dans le pays qui l’a vue naître. Tout juste a-t-elle réussi à infiltrer des partis légaux et à placer quelques élus dans les institutions. La force des Frères musulmans tient essentiellement dans leur capacité de mobilisation.
Le vent d’enthousiasme évoqué plus haut s’est très vite transformé en petite bise. Le maintien de l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis l’assassinat du président Anouar al-Sadate, en octobre 1981, dont la levée est demandée depuis de longues années par l’opposition, n’est pas en cause. C’est le projet de réforme lui-même qui demeure très ambigu.
Moubarak a donné instruction au Parlement de réviser l’article 76 de la Loi fondamentale portant élection du président de la République. Or le Parlement, dirigé par Fathi Sorour, membre influent du PND, a désigné Safwat Sharif, ancien porte-parole de Qasr al-Qouba, le palais présidentiel, et homme de confiance de Hosni Moubarak, à la tête de la commission chargée d’élaborer les amendements dudit article 76. Les propositions de la commission renseignent sur le degré de crédibilité des intentions démocratiques du raïs. Les candidats à la présidentielle doivent être investis par l’un ou l’autre des partis représentés au Parlement, soit, outre le PND, quatre formations politiques : les nasséristes de Dia-el-dine Daoud ; le Nouveau Wafd de Nou’man Goumoua ; le Tagamou’ (« Rassemblement »), de Rifaat Saïd ; et un rassemblement d’élus indépendants, al-Ahrar, conduit par Hilmi Salim. Chaque candidat devra être parrainé par une centaine d’élus nationaux ou locaux, représentant la quasi-totalité des circonscriptions électorales. Ce qui réduit considérablement les chances de l’opposition, le parti au pouvoir trustant près de 90 % des élus.
Cette mesure, présentée par le PND comme un garde-fou contre les candidatures fantaisistes, est surtout destinée à empêcher des figures de la société civile de se présenter. Dans ces conditions, une Nawal Saadaoui, militante féministe engagée dans un combat sans merci contre le fondamentalisme musulman, n’a aucune chance de voir sa candidature agréée par le Conseil constitutionnel. Il en va de même pour le militant des droits de l’homme Saadedine Ibrahim, longtemps incarcéré pour intelligence avec l’ennemi… israélien.
Autre personnalité qui pourrait croiser le fer avec Moubarak : Hassanein Haikel. Le journaliste écrivain qui a longtemps dirigé le groupe al-Ahram, véritable institution médiatique de l’Égypte contemporaine, jouit d’une popularité intacte. Ancien conseiller de Nasser, il est revenu sur le devant de la scène après une longue éclipse grâce à une série d’interventions, fort remarquées, sur la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira.
La démocratisation selon Moubarak aurait été plus crédible si elle avait prévu un libre accès aux grands médias des diverses sensibilités politiques qui traversent la société égyptienne. Les sept chaînes de télévision que compte le pays sont entre les mains du pouvoir et n’accordent aucun droit de parole à l’opposition. « Il n’y en a que pour Moubarak », note un journaliste nassériste. L’ouverture aux médias n’est certes pas évoquée par l’article 76 de la Constitution, mais « rien n’interdit que ce problème soit abordé par une nouvelle mouture du code électoral », explique le même journaliste.
Les Frères musulmans ont été les premiers à réagir. Se sachant d’ores et déjà hors course, ils se montrent disposés à négocier leur soutien à Moubarak contre la reconnaissance de leur association comme formation légale. Disposant de cette redoutable machine électorale qu’est le PND, Hosni Moubarak peut se passer d’une telle alliance. D’autant que les Frères musulmans ne sont pas en odeur de sainteté auprès de l’allié américain, généreux dispensateur de 3 milliards de dollars d’aide non remboursable par an. Pour Washington, la démocratie ne doit pas être un marchepied pour les islamistes en quête de pouvoir par les urnes.
Présentée comme un électrochoc démocratique, la décision de Moubarak semble n’être qu’une mesure cosmétique visant à faire taire les démonstrations de plus en plus bruyantes de la rue et à rassurer l’ami américain. En somme, un nouveau marché de dupes.

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