John Bolton

Ses manières de lord et sa moustache de majorne doivent pas faire illusion : le nouvel ambassadeur américain auprès de l’ONU est un dur. Portrait d’un homme de droite affirmé et coriace.

Publié le 14 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Ce qui devait être l’un des pires cauchemars de Kofi Annan est, depuis le lundi 7 mars, une réalité. John Bolton, 56 ans, que ses amis de l’ultradroite conservatrice américaine
surnomment « le Tueur de traités » ou encore « le Missile à tête chercheuse », est devenu le vingt-troisième ambassadeur américain auprès de l’ONU*. Pour un secrétaire général déjà très affaibli par le scandale du programme Pétrole contre nourriture, corseté de toutes parts et sous haute surveillance du Congrès, lequel a diligenté pas moins de six enquêtes sur sa gestion, l’arrivée au cur de la Tour de verre de Manhattan d’un inquisiteur aussi féroce que celui-là est une sorte de coup de grâce : d’ici au terme de son mandat, fin 2006, et à moins d’une improbable révolte, Kofi Annan devra boire son calice jusqu’à la lie. Très mauvaise nouvelle, aussi, pour tous ceux qui avaient cru un peu vite que Bush II allait se différencier de Bush I par une approche moins idéologique des affaires du monde : si la secrétaire d’État Condoleezza Rice a pu donner l’impression qu’elle injectait désormais une dose homéopathique de multilatéralisme dans ses discours,
cela ne concerne manifestement pas l’ONU dont John Bolton a toujours affirmé qu’elle n’était utile qu’en tant qu’instrument de la politique extérieure des États-Unis lorsque « les intérêts vitaux » de ces derniers étaient menacés. Avant d’ajouter : « Les Nations unies ne peuvent fonctionner que lorsque l’Amérique les dirige. » Rude réveil,
enfin, pour ceux qui rêvaient de voir les néoconservateurs rangés au magasin des accessoires. Plus que jamais depuis les élections irakiennes du 30 janvier, les faucons,
dont Bolton est l’un des représentants emblématiques, tiennent le haut du pavé à Washington. Les antiguerre sont sur la défensive, les sondages se redressent, et le cap des 1 500 morts américains en Irak a été dépassé sans encombre.
Ne vous fiez pas à ses manières de lord et à sa moustache de major : le nouvel ambassadeur de George Bush est un dur, un homme de droite affirmé et coriace, un ultraconservateur à la manière d’une Jeane Kirkpatrick ou d’un Daniel Moynihan, ses modèles à ce poste. Né à Baltimore, diplômé en droit de l’université de Yale, c’est un jeune homme aussi brillant que dogmatique qui, dès la présidentielle de 1964, s’engage en politique au sein du comité de soutien au candidat d’extrême droite raciste Barry Goldwater. Devenu avocat dans un cabinet de Washington, John Bolton fait la connaissance d’un personnage qui sera son premier mentor : Jesse Helms, sénateur de Caroline du Nord, grande figure de la droite isolationniste américaine et conservateur farouche. C’est Helms qui introduit son poulain au sein de l’administration Reagan. Tour à tour conseiller de l’agence de développement Usaid puis adjoint de l’attorney général Edwin Messe – aux
côtés duquel il s’applique à étouffer les instructions en cours sur le scandale Iran-Contra impliquant des élus républicains -, John Bolton devient, en 1989, l’assistant du secrétaire d’État James Baker, en charge des organisations internationales. Nous sommes alors sous la présidence de George
Bush père, et Bolton connaît, selon ses propres dires, l’un des « sommets » de sa carrière : il joue un rôle clé dans l’annulation de la fameuse résolution onusienne de 1975 assimilant le sionisme au racisme.
De retour dans son cabinet d’avocat après l’élection de Bill Clinton, en 1992, John Bolton se rapproche de Dick Cheney – futur vice-président de George W. Bush -, sous la houlette de qui il évoluera désormais. L’une de ses principales activités – rémunérées – consiste alors à faire du lobbying pour Taiwan. Avec ses amis « néocons » Paul Wolfowitz, William Kristol et James Woolsey, il cosigne un mémorandum exigeant l’admission du régime de Taipeh à l’ONU ainsi que sa reconnaissance par les États-Unis. Bolton est aussi un fund raiser particulièrement efficace pour le parti dont il est l’un des conseillers juridiques. Lors de la présidentielle de novembre 2000, il surveille de près, à Tampa, le dépouillement très controversé du scrutin de Floride, qui donnera la victoire à George W. Bush. Nommé sous-secrétaire d’État aux Affaires de désarmement malgré l’opposition de Colin Powell – avec qui ses relations seront exécrables jusqu’au bout -, John Bolton fait immédiatement cavalier seul et ne répond de ses actes que devant Dick Cheney, son second mentor. De 2001 à aujourd’hui, son parcours se résume en une succession de prises de position inflexibles et radicales, véritable guide du néoconservatisme appliqué.
Bolton est contre tout ce qui peut porter atteinte à l’unilatéralisme américain. Contre le protocole de Kyoto sur la protection de l’environnement, contre la convention sur les armes biologiques et contre la Cour pénale internationale – le jour où il a retiré la signature américaine de ce dernier traité fut, dit-il, « le plus beau » de sa vie. John Bolton est également contre l’ONU telle qu’elle est, contre un troisième mandat pour l’Égyptien Mohamed el-Baradei à la tête de l’Agence internationale de l’énergie atomique, contre l’Iran, la Syrie et Cuba, contre la « Vieille Europe » – notamment la France de Jacques Chirac -, contre le Canada et contre la Corée du Nord. Son hostilité envers ce dernier pays est d’ailleurs proche de l’obsession. « Kim Jong-il est un dictateur tyrannique qui a fait de son État un cauchemar infernal », déclarait-il il y a peu à Séoul. Réponse du despote de Pyongyang : « Ce Bolton est un déchet humain et un buveur de sang. »
Au chapitre des pour, les convictions de cet amateur d’armes, proche de la très puissante National Rifle Association et qui a posé sur un coin de son bureau une grenade factice, ne sont pas moins ancrées. Il est pour Taiwan bien sûr, pour le désarmement forcé, pour les guerres préventives et pour un Israël « pôle de puissance » au Proche-Orient.
Certes, il reste à John Bolton à franchir le cap de sa confirmation devant la commission des Affaires étrangères du Sénat. Les démocrates, qui s’étaient déjà opposés en bloc à son arrivée au département d’État il y a quatre ans, comptent bien se battre jusqu’au bout pour empêcher une nomination qualifiée d’« inexplicable » par John Kerry. Mais un tel revirement est peu probable, et c’est à cet homme intelligent certes, mais impatient, colérique et surtout dogmatique que Kofi Annan – prévenu du choix américain par Condoleezza Rice une heure avant son annonce officielle devra très vraisemblablement faire face jusqu’à la fin de son mandat. Seul lot de consolation, dans cette atmosphère de fin de règne, pour le secrétaire général : la nomination de John Bolton, plutôt que celle d’un diplomate de moindre rang, montre que l’ONU conserve une certaine importance aux yeux des Américains. C’est tout et c’est peu. « Bolton, disait de lui l’ineffable dinosaure républicain Jesse Helms, c’est le genre de gars avec lequel je voudrais être quand viendra l’Apocalypse, quand sonnera l’heure du combat final entre le bien et le mal. » Ça promet…

*Ont siégé à ce poste, notamment, Henry Cabot Lodge, Adlai Stevenson, George Bush père, Andrew Young, Vernon Walters, Jeane Kirkpatrick, Madeleine Albright, John Negroponte…

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