[Tribune] Afrique-France : et si on voyait plutôt le verre à moitié plein ?
Des intellectuels africains répondent à Emmanuel Macron (2/4). Suite à l’interview accordée par le chef de l’État français à Jeune Afrique, le 20 novembre, plusieurs intellectuels ont souhaité lui répondre. Jeune Afrique a choisi de publier quatre de leurs contributions.
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Khaled Igue
Président du Club 2030 Afrique, Young global leader, associé en charge de l’Afrique à B&A Investment Bankers
Publié le 1 décembre 2020 Lecture : 5 minutes.
L’interview d’Emmanuel Macron dans Jeune Afrique a provoqué de nombreuses réactions, souvent hostiles ou critiques. J’en mesure les enjeux. Mais pour ma part, j’estime que le ton du président français était direct et vrai.
Certains Africains, je le comprends, sont restés sur leur faim car ils attendaient une fois de plus des paroles qui les rassurent et les valorisent. Emmanuel Macron a opté pour la Realpolitik : il est le président de la France et, à ce titre, défend les intérêts de son pays.
Realpolitik
Quoi de plus légitime ? Dans le monde entier, tous les dirigeants se comportent ainsi, nous sommes à l’heure de l’« État stratège » et nous-mêmes, Africains, devrions adopter la même posture, que ce soit envers les pays occidentaux ou vis-à-vis de nos autres partenaires. Définir nos besoins stratégiques, identifier les leviers qui permettront d’atteindre nos objectifs. Bref : faire de la Realpolitik.
En lisant les propos d’Emmanuel Macron, ce qui me frappe avant tout c’est leur cohérence : depuis le discours de Ouagadougou, il est le premier président français à parler de l’Afrique d’une façon spontanée, pragmatique, emblématique de la nouvelle génération qu’il incarne.
Allant à l’essentiel, il estime – et il affirme – que le nouveau partenariat entre les Africains et les Français doit être bâti par les peuples plus que par leurs dirigeants. Il croit au potentiel de la nouvelle génération – sans pour autant l’opposer à l’ancienne -, de la société civile, des entrepreneurs…
En tant qu’Africain, je souhaite donner sa chance à cette démarche qui n’avait jamais été tentée auparavant. Essayons de voir le verre à moitié plein. Et essayons de remplir la seconde moitié avec de la volonté, du dialogue et de la bienveillance.
Respect des valeurs de chacun
Chaque génération, écrivait Frantz Fanon, doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. La mission des Africains et des Français de notre génération, si elle existe, est de construire, dans les dix prochaines années, un partenariat respectant les valeurs de chacun. Et s’il est trop difficile de partager ces valeurs, faisons au moins en sorte de partager nos intérêts : intérêt à préserver la paix et le climat, à construire des Etats de droit, à établir la liberté de pensée et d’expression, l’égalité des genres…
Je retiens aussi de l’interview du président Macron la volonté affichée de prendre des mesures symboliques fortes. Une volonté qui s’illustre d’abord par une décrispation sur le dossier du franc CFA : si je salue l’activisme constructif d’une frange importante de la jeunesse africaine qui a mené sur tous les fronts cette bataille, je remarque aussi que notre partenaire, la France, veut visiblement vivre avec son temps et changer d’épistémè.
Certes, un long chemin reste à parcourir, mais les propos d’Emmanuel Macron sont un bon début et vont dans le sens de l’histoire. D’une manière ou d’une autre, cette monnaie finira par disparaître et laissera la place à une devise commune au niveau de la CEDEAO. Cela ne va pas aussi vite que nous le souhaiterions mais le discours évolue, ce qui semblait impensable il y a encore cinq ans.
Le vote de la loi sur la restitution des biens au Bénin, au Sénégal et à Madagascar est un autre signe très positif. En tant que Béninois, je vous dis ma fierté et je salue l’offensive diplomatique de mon pays et de toute sa jeunesse sur ce sujet.
C’est une victoire, ce sont des avancées symboliques et des réalisations concrètes qui nourrissent l’espoir d’un avenir plus serein, placé sous le signe du dialogue.
Maturité intellectuelle
Les contentieux avec la France existent, mais nous devons être capables d’en parler, d’évoluer vers une relation comparable à celle que nous avons avec d’autres pays. Je reste convaincu que ma génération a la maturité intellectuelle pour cela.
Je note aussi, et c’est un point majeur, qu’Emmanuel Macron propose un dialogue franc à la nouvelle génération africaine qui est en train de prendre ses responsabilités. Conscient que l’avenir ne saurait se construire sereinement sans dialogue constructif, il souhaite aborder les questions du passé sans tabou. On ne résout pas en trois ans les problèmes hérités de trois siècles d’histoire commune, mais la démarche est le signe d’une ouverture d’esprit qui honore le président français.
Bien sûr, certains rétorqueront que si la France se montre aujourd’hui si conciliante, c’est parce qu’elle est en perte de vitesse sur notre continent et tente de retrouver son influence. Je ne formulerais pas les choses ainsi, et je ne pense pas non plus qu’il soit de l’intérêt de la France de se placer dans cette posture.
Le passé ne reviendra pas, et c’est heureux. Il est l’heure pour Paris, je pense, d’entrer dans une dynamique de co-construction, de s’appuyer sur les diasporas et sur un écosystème – économique, social, culturel, linguistique – qu’elle est le seul pays européen à posséder.
Besoin d’initiatives
Contrairement aux idées reçues, la France a elle aussi besoin de se développer, de retrouver un nouveau souffle, de la croissance, et les pays africains peuvent lui apprendre beaucoup en la matière. Il ne s’agit plus d’assurer une influence mais de construire des partenariats de long terme, équilibrés, soucieux du bien-être des populations africaines et française. Les chantiers possibles ne manquent pas : éducation, santé, énergie, agriculture, nouvelles technologies…
Pour bâtir ce partenariat, de nouveaux outils sont nécessaires. La French-African Foundation, qui a fait le pari de créer un réseau de jeunes africains et français œuvrant sur l’Afrique et qui partagent des valeurs et des intérêts dans une relation décomplexée, et dont je suis le co-fondateur et le co-président, peut être l’un de ces outils. Parmi d’autres.
Nous avons besoin d’initiatives qui fédèrent. D’autres institutions, d’autres initiatives, d’autres projets concrets créés en Afrique ou en France, pour améliorer la vie des populations.
C’est lorsque ces outils existeront, que ces projets se mettront en place, et seulement à ce moment-là, qu’une nouvelle histoire de la relation franco-africaine émergera et prendra tout son sens.
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