[Tribune] Droits de l’homme vs développement : le grand paradoxe de l’UE en Afrique

À l’heure où l’Union européenne peine à conditionner l’aide financière au respect de « l’État de droit » dans ses propres frontières, elle en a fait un « élément essentiel » de sa coopération avec le continent. S’agit-il de la meilleure approche ?

Le mandat de négociation de l’UE affirme que les droits de l’homme, les libertés fondamentales, la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance sont des « priorités stratégiques ». © TeaMeister on VisualHunt / CC BY-NC

Le mandat de négociation de l’UE affirme que les droits de l’homme, les libertés fondamentales, la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance sont des « priorités stratégiques ». © TeaMeister on VisualHunt / CC BY-NC

Nora Ajabli © B. Verdi
  • Nora Ajabli

    Avocate, présidente de AMSHI – Alliance Maroc Suisse Handicap Intégration

Publié le 4 décembre 2020 Lecture : 3 minutes.

Alors que l’UE tente de sauver l’économie des ses 27 pays membres face à la crise du Covid-19, avec l’émission inédite d’une dette mutualisée d’un montant de 750 milliards d’euros, la Pologne et la Hongrie bloquent le vote du paquet relatif au cadre financier pluriannuel 2020-2027.

Moins que l’absence de consensus, c’est le motif de la « dispute »  qui étonne dans cette affaire. Pour la première fois, l’UE a décidé d’inscrire le respect de « l’État de droit » comme une condition nécessaire au versement de l’aide à ses États membres. Une initiative, que le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, qualifie de « critères arbitraires et politiquement motivés ». Allant bien au-delà d’un simple blocage institutionnel, ou d’un désaccord interne, l’affaire dépasse largement le cadre de Bruxelles et représente une remise en question interne des « valeurs fondatrices » de l’Union.

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Un épisode qui ne pourra qu’affaiblir l’aura que l’UE tente de se constituer sur le continent africain, où elle exige le respect de ces mêmes principes en échange de « sa main tendue ».

Un soutien conditionné

Dès 1995, l’accord Lomé VI bis conclu avec les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) contient une clause dite « droits de l’homme ». Cette disposition engage les parties au respect de l’État de droit, et vient lier le maintien de l’accord au respect de celle-ci.

À partir de 2000, l’UE renforcera encore le dispositif. Le nouvel accord, signé à Cotonou avec les 79 États du groupe ACP, érige la clause « droit de l’homme » au rang « d’élément essentiel ». Une modification sémantique qui n’est pas sans intérêt juridique et pratique, car la nouvelle appellation permet ainsi à l’Union de se mettre en conformité avec les règles de droit internationales sur les traités, pour expressément « conditionner » le maintien du partenariat économique au respect de ses exigences politiques.

L’État de droit n’est qu’un prétexte, un beau mot qui sonne bien à l’oreille

Bien que, dans les faits, le cap de la suspension soit rarement franchi, cette clause est devenue la règle. Elle concerne aujourd’hui les 48 États africains de l’accord de Cotonou, ainsi que les pays d’Afrique du Nord, qui pour leur part sont liés à l’Union via des accords d’associations.

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À l’heure où Varsovie soutient que l’État de droit « n’est qu’un prétexte, un beau mot qui sonne bien à l’oreille, mais [qui représente] un asservissement institutionnel, politique, d’une limitation radicale de la souveraineté », résonne la question de la légitimité de l’UE à imposer ses valeurs sur le continent africain, alors même que celles-ci sont explicitement remises en cause dans ses propres rangs. Une question d’autant plus actuelle, dans la mesure où l’accord de Cotonou expire en 2020, et qu’il faut fixer un nouveau cadre à la future relation euro-africaine.

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Le sujet demeure houleux au point que les partenaires ont choisi de le garder pour la fin, dans le but d’éviter l’enlisement des discussions.

L’opposition sera forte face au souhait de l’UE d’inclure de nouveaux éléments dans l’accord post-Cotonou

D’entrée de jeu, l’opposition était annoncée. Alors que le mandat de négociation de l’UE affirme que les droits de l’homme, les libertés fondamentales, la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance sont des « priorités stratégiques » et que le futur accord doit selon eux s’appuyer « sur les valeurs et principes fondamentaux de l’accord de Cotonou » et « les renforcer ». Celui du groupe ACP, qui est fortement révélateur du ton que le groupe en majorité constitué d’États africains entend donner aux rapports à venir avec l’Union, désigne comme « principal objectif » la contribution « au développement économique ».

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Des concurrents prêts à en profiter

Cette opposition ne sera que plus forte face au souhait de l’UE d’inclure de nouveaux éléments dans l’accord post-Cotonou, comme la reconnaissance de l’orientation sexuelle et de l’identité du genre, l’abolition de la peine de mort, et surtout la collaboration avec la Cour pénale internationale (CPI), instance d’ores et déjà décriée en Afrique.

L’actualité qui agite Bruxelles pourrait avoir un écho plus lointain et favoriser le rejet des conditions politiques européennes, voire entraver des partenariats sur le continent africain.

Un rejet susceptible de s’opérer au profit d’autres acteurs « concurrents » de l’Europe sur cette zone convoitée qui, pour leur part, ne font pas tellement de cas de ces considérations dans la définition de leur tactique économique. Leurs deals se limitant à une relation d’affaire gagnant-gagnant.

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