Foot, fric et carton rouge

D’anciens responsables et partenaires de la fédération nationale placés en mandat de dépôt pour diverses malversations dans la gestion financière du football entre 2001 et 2003. Un scandale qui pourrait avoir de lourdes conséquences politiques.

Publié le 14 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

La Coupe du monde de 2002 n’en finit pas de marquer le Sénégal. Après les intenses moments d’euphorie qui ont suivi et salué l’exceptionnelle prestation des « Lions de la Téranga », quart de finalistes de la compétition, place au scandale. Interrogatoires, inculpations, placements sous mandat de dépôt… Après Bounama Dièye, vice-président de la Fédération sénégalaise de football (FSF) au moment de l’épopée asiatique, Oumar Ndiaye, ex-directeur administratif de la FSF, et Pape Massata Diack, directeur de Pamodzi, la société de marketing des « Lions », ont été entendus puis écroués, le 7 mars, au quartier VIP de la prison de Reubeuss, à Dakar. L’ex-trésorier général, Boubacar Gaye, les a rejoints quatre jours plus tard. Il leur est reproché diverses infractions dans la gestion des fonds de l’équipe nationale au cours du tournoi Amilcar-Cabral de 2001, de la Coupe d’Afrique des nations de 2002, et, surtout, du Mondial de la même année.
Le juge d’instruction du 2e cabinet du tribunal régional hors classe de Dakar, Moustapha Sèye, n’entend pas s’arrêter là. Dans sa ligne de mire, les plus hauts dignitaires du football sénégalais. Mais aussi d’autres personnalités au coeur de la « machine » au moment des faits, et dont ni les juristes compétents ni l’opinion publique ne comprendraient qu’on leur épargne l’épreuve des interrogatoires : Joseph Ndong, actuel ministre des Postes et Télécommunications, ministre des Sports d’alors et ordonnateur des dépenses Elhadji Malick Sy, dit « Souris », ancien président de la FSF, ancien ministre et ex-international de football…
Du fait de ses forts relents politiques, l’affaire ne laisse pas indifférent le président Abdoulaye Wade. Au cours du Conseil des ministres du 9 mars, le chef de l’État aurait demandé des explications à ses ministres de la Justice, Serigne Diop, et des Sports, Youssoupha Ndiaye. Et exigé d’être régulièrement tenu informé.
Tout a commencé par un rapport de la Cour des comptes en date de mars 2003, relatif à toutes les compétitions auxquelles les « Lions de la Téranga » ont participé entre 2001 et 2003. La Cour y passe au crible la gestion financière du football, pointe des malversations, détournements de fonds, surfacturations, perceptions de montants indus, violations des règles comptables… Un véritable inventaire à la Prévert. Sur le tournoi Amilcar-Cabral, la Cour indique, entre autres, que la FSF n’a pu justifier l’utilisation que de 9,9 millions de F CFA sur un montant consommé de 18 millions de F CFA. Parmi les griefs répertoriés dans le rapport sur la CAN 2002, l’absence d’appel d’offres pour la souscription de l’assurance des joueurs et équipes technique et administrative qui a engendré une perte de… 1,64 milliard de F CFA par rapport au meilleur prix que l’on pourrait trouver sur le marché.
À propos du Mondial, la Cour trouve aberrant, « alors que la Coupe du monde est loin d’être déficitaire », que la FSF n’ait pu rembourser que 324 millions de F CFA sur les 532 millions que l’État a injectés dans la compétition. D’autant que la Fédération internationale de football association (Fifa) a versé à la FSF 440 millions de F CFA au titre des frais de préparation, puis 672 millions comme avance sur les avoirs de la compétition. Où est passé tout cet argent ? Dans des malversations diverses : les 36 millions de F CFA censés avoir été dépensés – sans factures – dans la rubrique « environnement psychologique » (entendez les khons, ces talismans et décoctions supposés aider l’équipe à gagner) ; la facture (fictive, car sans numéro) d’un grand hôtel de Dakar d’un montant de 26,6 millions de F CFA établie au nom d’un nommé S. Seydi logé dans une suite présidentielle à 500 000 F CFA la nuit…
Les faits sont graves et justifient les interpellations en série. Si l’incarcération de Pape Massata Diack, poursuivi pour abus de confiance et faux et usage de faux en écritures privées, a suscité un intense lobbying – qui pourrait continuer aussi longtemps qu’il sera en détention -, c’est bien à cause de ses attaches. Marié à Mame Khady, la fille du défunt milliardaire Djily Mbaye, il est le fils de Lamine Diack, ex-maire de Dakar, ancien ministre des Sports, actuel président de la Fédération internationale d’athlétisme, basée à Monaco. Ce dernier a d’ailleurs fait un saut à Dakar, le 9 mars, pour, de l’avis de ses proches, « exprimer son mécontentement aux autorités sénégalaises, à commencer par le président de la République Abdoulaye Wade ».
Mais cette affaire, qui secoue le tout-Dakar, n’en est qu’à son premier volet : celui touchant aux détournements de fonds et malversations diverses. Il en reste un autre, non moins explosif – relatif à la billetterie -, un juteux et vaste trafic transfrontalier. Le modus operandi est le suivant : la FSF commande à la Fifa, par exemple, 10 000 billets à vendre à des supporteurs sénégalais. Ceux-ci n’ayant pas les moyens de s’offrir un match de Coupe du monde en Corée, la FSF revend ces billets à son homologue d’un pays développé. Avec de confortables marges, bien sûr. Le scandale, énorme, porterait sur de faramineuses sommes d’argent et promet de faire davantage de bruit.
Pour l’heure, tout le monde garde les yeux braqués sur cette première affaire, symptomatique des habitudes de mauvaise gestion qui ne gangrènent pas que le football. Le parcours des « Lions » au Mondial a rapporté à la FSF pas moins de 3,478 milliards de F CFA : 1,89 milliard de F CFA au titre des trois matchs du premier tour, 672 millions pour la qualification aux huitièmes de finale et 756 millions pour avoir accédé aux quarts. La disparition de cette manne est d’autant plus surprenante que le bureau de la FSF, débarqué début 2004, a laissé une dette de 300 millions de F CFA. Une chose est sûre : l’argent n’est pas passé dans les infrastructures sportives. En visite d’inspection, en février, une commission technique de la Fifa a constaté que le plus grand stade de Dakar ne répond plus, faute d’entretien adéquat, à toutes les normes de sécurité.
La multiplication des scandales depuis l’arrivée du pape du sopi (« changement », en wolof, credo de campagne de Wade) à la tête du Sénégal montre le peu de progrès enregistrés dans la lutte contre la corruption. Si l’actuel chef de l’État a donné des signes forts dès son élection, le 19 mars 2000, en commanditant des audits sur la gestion du défunt régime socialiste, les résultats n’ont pratiquement pas eu d’incidences judiciaires. Tout au plus ont-ils servi à susciter la « transhumance » d’anciens barons socialistes tétanisés vers le parti présidentiel. Libéral convaincu, porté à parcourir le monde pour inviter les investisseurs au Sénégal, Wade, avocat dans une autre vie, connaît mieux que quiconque l’allergie du capital étranger à la corruption et à une mauvaise administration de la justice.
De la façon dont sera traité ce scandale autour d’un ballon qui ne tourne décidément plus rond dépend – pour beaucoup – la crédibilité du pays en matière de lutte contre ces fléaux.

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