Donald Kaberuka: « La BAD peut et doit faire plus »

Candidat à la succession d’Omar Kabbaj à la tête de la Banque africaine de développement, l’argentier rwandais estime qu’il faut donner une nouvelle impulsion à l’institution continentale.

Publié le 15 mars 2005 Lecture : 9 minutes.

Il est l’un des sept candidats à la présidence du groupe de la Banque africaine de développement (BAD). Donald Kaberuka, 53 ans, ministre rwandais des Finances et de la Planification économique depuis 1997, brigue la succession du Marocain Omar Kabbaj, qui achève son second et dernier mandat de cinq ans en août prochain. Le scrutin aura lieu le 18 mai à Abuja, au Nigeria. Les électeurs sont, comme lui, ministres des Finances. Ils représentent les 77 États actionnaires de la Banque (53 africains et 24 non régionaux). Les droits de vote sont proportionnels à la participation au capital de la Banque.
Donald Kaberuka n’est pas un inconnu dans le monde des argentiers. Il copréside depuis trois ans le comité ministériel des Pays pauvres très endettés (PPTE) et s’intéresse de près aux activités de la conférence des Nations unies sur les Pays les moins avancés (PMA), qu’il a coprésidée en 2001. Il représente son pays dans les plus hautes instances de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et du Club de Paris. « Je veux mettre toute mon expérience au service de la Banque africaine », explique-t-il. Et cette expérience dépasse le cadre même de la banque.
Né à Biyumba, dans le nord du Rwanda, il n’a que 8 ans lorsqu’il prend le chemin de l’exil avec ses parents. Direction : l’Ouganda, puis la Tanzanie. Au terme de brillantes études, il décroche un doctorat d’économie à la faculté de Glasgow et entame une carrière d’enseignant-chercheur à l’Université de Sussex, au Royaume-Uni. Avant d’être confronté aux premières difficultés de l’analyse économique : expliquer le déclin de la compétitivité africaine dans les produits de base, en particulier le café, face aux progrès de l’Asie et de l’Amérique latine. Il fait ses premières armes à la Bourse de Londres (LIFFE), puis à la Lloyds Bank. En 1987, il rejoint l’Organisation interafricaine du café (OIAC), basée à Abidjan. « J’ai travaillé très tôt sur la question des produits de base, explique-t-il, et pris la mesure des fragilités des économies africaines. » De retour à Kigali, il est nommé, en mars 1997, secrétaire d’État au Budget, mais il coiffera rapidement l’ensemble du département et conduira les réformes qui mettront l’économie du Rwanda sur les rails de la croissance et de la bonne gouvernance. Dès que la question de la présidence de la BAD a été posée, l’idée d’une candidature de Kaberuka s’est imposée : pourquoi ne pas mettre les talents de ce « développeur » à la disposition de la banque continentale ? Verdict le 18 mai prochain à Abuja.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Vous êtes ministre des Finances du Rwanda depuis 1997. Quel bilan dressez-vous de votre action sur le plan national ?
Donald Kaberuka: J’ai commencé par conduire les réformes budgétaire et fiscale en tant que secrétaire d’État, de mars à octobre 1997. J’ai notamment mis en place le dispositif de dépenses à moyen terme. Ensuite, en tant que ministre, d’octobre 1997 à ce jour, j’ai réussi à mener à bien le programme de stabilisation et de libéralisation. Le taux de croissance économique a atteint 7 % à 8 % en moyenne par an. Le taux d’inflation a été ramené au-dessous de 3 %, et le déficit budgétaire primaire (avant comptabilisation des aides extérieures) autour de 3 %. Le programme de lutte contre la pauvreté et la relance de la croissance sont aujourd’hui bien en ligne avec la stratégie « Vision nationale 2020 », comme en témoignent les appréciations positives des bailleurs de fonds. Le processus d’effacement d’une partie de la dette extérieure est arrivé à son point d’achèvement en mars 2005. Je suis par ailleurs coprésident du comité ministériel chargé de l’Initiative de la Banque mondiale en faveur des PPTE.
J.A.I. : Où en est l’endettement du Rwanda ?
D.K. : En 1997, l’encours de la dette s’élevait à 1,35 milliard de dollars. Aujourd’hui, le stock est de 1,45 milliard. L’achèvement du processus PPTE, confirmé en mars 2005, permet d’effacer 850 millions de dollars. Outre ce traitement standard, j’ai obtenu ce qu’on appelle un topping-up, c’est-à-dire un effacement additionnel justifié par les chocs externes subis par mon pays. Ce topping-up représente 250 millions de dollars. Résultat : à partir de cette année, la dette extérieure ne posera plus de problème. Le solde est parfaitement maîtrisable. Le Rwanda est désormais en mesure de renouer avec une croissance saine et forte.
J.A.I. : Venons-en à la BAD. Quelle est votre appréciation du bilan du président sortant ?
D.K. : La BAD est devenue, grâce aux réformes de première génération entreprises sous la présidence d’Omar Kabbaj, un outil capital pour le développement du continent. Elle a fait un travail remarquable. Son staff est compétent. Mais elle a encore des potentialités.
J.A.I. : Vous estimez donc qu’elle peut faire mieux…
D.K. : Oui, la phase d’assainissement est terminée. Il est opportun de donner à la Banque une nouvelle impulsion adaptée à la réalisation du programme du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) fixés par les Nations unies et qui consistent notamment à réduire la pauvreté et à améliorer la santé et l’éducation des populations africaines d’ici à 2015. Si tout le monde pense que les autres continents en voie de développement, l’Asie et l’Amérique latine, seront à même d’atteindre leurs OMD dans les délais impartis, personne ne croit que l’Afrique pourra en faire autant. J’estime que la BAD devrait s’atteler d’urgence à cette tâche. Et se hisser au niveau de ses homologues, la Banque asiatique de développement et la Banque interaméricaine de développement, en termes d’efficacité et de résultat.
J.A.I. : Comment pourrait-elle faire davantage alors que ses ressources dépendent en grande partie de l’étranger ?
D.K. : J’ai évoqué plus haut les réformes de première génération. Et j’en profite pour féliciter Omar Kabbaj et son équipe de les avoir menées à bien. C’est une belle réussite. Aujourd’hui, la Banque a besoin de ce que j’appelle les réformes de deuxième génération. Elle se doit de réaliser une meilleure combinaison des ressources de la Banque avec celles de ses partenaires extérieurs, des marchés financiers et des pays africains. Il lui faut diversifier davantage ses offres de prêts et de dons en les adaptant aux besoins différenciés des pays bénéficiaires. Le Maroc n’est pas le Malawi et l’Égypte n’est pas la Centrafrique. Le but est de permettre à l’Afrique de réaliser un taux de croissance économique moyen de 7 % à 9 %, seul à même de faire sortir le continent de la pauvreté endémique et de le faire prospérer.
J.A.I. : Pour cela, la Banque devra se substituer aux gouvernements en place et leur imposer une certaine politique économique…
D.K. : Dans ma conception, la Banque pourrait mieux travailler avec les autorités nationales et mobiliser davantage de ressources dans les cofinancements. Un dollar de la BAD devrait être accompagné de 3 ou 4 dollars au lieu d’un seul. La Banque devrait élaborer pour chaque pays ce que j’appelle un Country Strategic Paper, et, pour chaque secteur, un Economic Sector Work, une double stratégie de coopération à l’échelle nationale et sectorielle. À mon sens, la BAD devrait se doter des moyens de devenir un centre d’excellence en matière de réflexion, d’analyse et de solution économiques.
J.A.I. : Les progrès réalisés par la Banque depuis 1995 vous semblent-ils suffisants ?
D.K. : Je pense que la Banque peut et doit faire plus. Par exemple, la décentralisation, qui est en train d’être mise en place, devrait vraiment être réelle. Il faut décentraliser les pouvoirs tout en veillant aux respects des règles d’efficacité, de coût et d’intégrité financière. Les pays bénéficiaires devraient s’approprier les projets, lesquels ne doivent être ni imposés ni conçus à l’extérieur. À charge pour les bureaux locaux de la Banque de veiller à la bonne passation des marchés, d’accélérer les décaissements et de surveiller la réalisation des travaux.
J.A.I. : La BAD ne risque-t-elle pas de se transformer en banque à tout faire en poursuivant la réalisation des objectifs dits du millénaire ?
D.K. : C’est vrai, la BAD ne peut pas tout faire. Selon moi, elle devrait chercher son avantage comparatif. Elle doit « foncer » là où elle excelle. Elle devrait encourager beaucoup plus qu’elle ne le fait jusqu’à présent les partenariats avec le secteur privé et accorder plus d’importance au développement des nouvelles technologies de l’information et de la recherche scientifique dans tout ce qui peut améliorer la compétitivité de l’Afrique. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra attirer les investissements étrangers, mobiliser l’épargne locale, dynamiser les Bourses de valeurs africaines.
J.A.I. : Vous n’êtes pas sans ignorer l’importance du secteur informel dans l’activité économique africaine. Que pensez-vous pouvoir faire pour le valoriser ?
D.K. : Il est nécessaire que la BAD identifie de façon approfondie toutes les sources de croissance économique. Et le secteur informel en fait partie. Plus largement, la Banque devrait contribuer à élargir les marchés africains en les sortant de leur exiguïté. Pour cela, il va falloir penser davantage aux infrastructures interafricaines et aux programmes d’intégration sous-régionale. On parle souvent du miracle asiatique, mais on oublie de préciser que ce miracle est le fruit du travail des hommes. Dès mon jeune âge, j’ai vu l’Afrique perdre de sa compétitivité, en particulier dans la culture du café et plus généralement dans les matières premières. Ce n’est pas une fatalité.
J.A.I. : Comment renverser la tendance ?
D.K. : Les gens de ma génération ont travaillé, peut-être pas assez, peut-être pas dans le bon sens. L’essentiel, aujourd’hui, est qu’il y ait une prise de conscience africaine et mondiale. Il y a un faisceau d’initiatives visant à permettre aux Africains de surmonter leurs difficultés. Je pense que c’est possible. Après huit ans passés à la tête du ministère des Finances d’un pays post-conflit, je peux dire que la renaissance économique est arrivée. J’y ai contribué par mon expérience, par mon énergie, par la mobilisation de mon staff et celle des bailleurs de fonds. Aujourd’hui, je suis très serein. L’Afrique peut s’en sortir.
J.A.I. : Êtes-vous également confiant quant à l’issue de l’élection du 18 mai ?
D.K. : Oui, je suis très confiant. Je remercie les autorités de mon pays et je ferai tout pour réussir à convaincre mes interlocuteurs et pour gagner. J’irai partout où ma présence s’imposera jusqu’au jour de l’élection pour expliquer ma vision de l’avenir de la Banque. J’apporte toute ma compétence et le fruit de mon expérience aussi bien dans la gestion de la dette des Pays pauvres très endettés que dans la relance de la croissance dans les pays les moins avancés. Ma pratique de la bonne gouvernance en sera le témoin : sous ma conduite, la gestion de la BAD sera exemplaire.
J.A.I. : Quels sont aujourd’hui les pays qui vous soutiennent ?
D.K. : Il m’est impossible de vous en donner la liste, mais je peux vous tranquilliser : j’ai des appuis importants parmi les pays africains et les pays dits non régionaux membres du groupe de la Banque. Depuis que ma candidature a été évoquée, il y a deux ans, j’ai reçu des encouragements plus nombreux que ce que je pouvais espérer. Je suis donc naturellement confiant.
J.A.I. : Que pensez-vous du débat très sensible autour du siège de la Banque ?
D.K. : Je suis pour le respect de la « feuille de route » : dès que les conditions le permettront, la BAD devra quitter son siège temporaire à Tunis et retrouver son siège permanent à Abidjan. Il n’est pas question de changer de siège. La BAD ne doit pas constamment fuir les problèmes. Elle doit savoir les affronter.

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