La BD africaine fleurit sur la toile
Dans le cadre de la Saison Africa 2020, l’initiative BD 20>21 réunit trois manifestations de bande dessinée africaine : Afropolitan Comics ; Kubuni, les bandes dessinées d’Afrique.s ; et le Bilili BD Festival. Au fil de ces réunions émerge une nouvelle garde de bédéistes africains, dont internet est le principal terrain de jeu.
Lire une BD sur Instagram, accéder à une expo du 9e art sur internet, suivre le work in progress d’un bédéiste en direct vidéo depuis Facebook… Ces idées semblent saugrenues ? Pourtant, quand on regarde ce qu’il se passe dans le cadre de l’initiative BD 20>21, la BD digitale est florissante. Surtout du côté du continent africain. C’est ce que révèle le trio de manifestations culturelles associées dans le cadre de Saison Africa 2020 que sont le Bilili BD Festival (Congo Brazzaville), l’exposition numérique Afropolitan Comics venue d’Afrique du Sud, et Kubuni, les bandes dessinées d’Afrique.s à la Cité internationale de la BD d’Angoulême.
Sur la page Instagram de l’artiste camerounais Hugues Bertrand Biboum se déroule en 100 vignettes l’histoire « Il y a l’ebola à l’hôpital ». Après tout, pourquoi la BD habiterait-elle les cases d’un gaufrier dédié et pas un compte Instagram, dont l’ergonomie semble, elle, aussi appropriée ?
https://www.instagram.com/p/B6RMYhehPcd/?utm_source=ig_web_copy_link
Du côté de Facebook, on rencontre d’autres bédéistes, comme le Camerounais Otili Bengol, qui y a fait sortir de terre sa série « Mbango ». Ou encore l’Ivoirien Chabatheo Anodje, qui faisait naître « Delestron » sur la plateforme pour dénoncer les coupures intempestives d’électricité en Côte d’Ivoire, bien avant d’être publié. Twitter, Snapchat, ou encore YouTube accueillent aussi cet éveil de la BD digitale africaine.
Système D de la BD africaine : le web
C’est ce que raconte le troisième volet de l’exposition Kubuni, les bandes dessinées d’Afrique.s, qui dresse une road map de la BD du continent. Il s’appelle « Émergences » et dessine « ce frémissement, ce bouillonnement des réseaux en matière de BD africaine », introduit Pierre Lungheretti, directeur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Cette nouvelle garde de dessinateurs africains utilise le web pour contourner une montagne de problèmes.
Au pied de la montagne, il y a d’abord le souci économique : la bande dessinée est chère, loin d’être accessible à tous en Afrique, rappelle la Camerounaise Joëlle Epée, alias Elyon’s. La bédéiste est à l’origine du Bilili BD festival et au cœur de la réflexion des deux autres manifestations culturelles de cette saison BD africaine. Elle enchaîne… « Encore faut-il trouver des librairies, souvent concentrées dans les grandes villes, pouvoir accéder aux festivals de BD, nombreux sur le continent mais mal répartis sur le territoire. » Prendre des cours de dessin ? Ça aussi, c’est une bataille, simplement parce qu’ils sont très peu nombreux en Afrique. Elle renchérit : « Rien que dans le fonctionnement du continent, le circuit de la BD est freiné en permanence : nous avons beaucoup de frontières, qu’elles soient politiques ou géographiques. Beaucoup de langues, plusieurs monnaies… Et des déplacements bien moins fluides qu’en Europe ! »
La réponse à cette série de bâtons dans les roues ? À l’image de bien d’autres sujets : la débrouille. « Nous sommes forcés, nous Africains, de nous adapter, de réfléchir plus vite à une solution, de trouver un autre moyen d’arriver à nos fins pour faire découvrir notre art ».
Avec internet, il n’y a plus de frontière, ni pour les humains, ni pour la bande dessinée.
Alors on se saisit des outils qu’on a sous la main. Et s’il y en a bien un qui se développe sur le continent, c’est le smartphone. « Les gens ont de plus en plus accès à internet. Avec internet, il n’y a plus de frontière », ni pour les humains, ni pour la bande dessinée. La BD qui y est publiée est gratuite et accessible de partout dans le monde. C’est vrai pour le 9ème art qui s’expose sur Instagram ou Facebook, comme pour de grandes manifestations culturelles reconnues dans le domaine. Le Bilili BD Festival est à 90% digital et à 100% gratuit. Quant à Afropolitan Comics, elle a été mise en ligne sans contrepartie financière.
Internet, un tremplin vers le papier pour la BD africaine ?
Mais pour faire vivre les auteurs, une expo gratuite en ligne ou un album publié sur les réseaux sociaux, ça ne suffit pas. Ce n’est d’ailleurs pas le but, selon Elyon’s. La bédéiste se souvient de sa recherche désespérée d’éditeurs à ses débuts, de ses voyages à Angoulême, de ces multiples rencontres n’aboutissant qu’à des « non », malgré son diplôme de l’École supérieure des arts de Saint-Luc Liège (Belgique).
« Le nombre de fois où je me suis fait jeter ! se souvient-elle. J’étais africaine et je vivais en Afrique. Même si les éditeurs aimaient ma BD, on me laissait entendre que ça allait coûter trop cher de travailler avec moi, parce que j’étais trop loin, et que je ne rapporterais pas assez ». Alors à la manière dont le street art s’est construit en marge des carcans de l’art au sens classique, Elyon’s prend « ce qui est à disposition : une connexion au world wide web ». Elle publie ce qu’elle produit sur les réseaux sociaux, partage son art gratuitement, dans le but de se façonner petit à petit une fanbase. Puis, elle monte un projet de crowdfunding et parvient à collecter de quoi s’auto publier. C’est ainsi que La vie d’Ebène Duta rencontre le monde du papier glacé et des librairies, et lui vaut finalement une reconnaissance internationale.
Une nouvelle vitalité créative, qui, dans un premier temps se passe d’éditeurs
Elle résume ce voyage professionnel avec humour : « Il est loin le temps où on attendait le prince charmant éditeur ! » Pas de combo : enseignement, édition, impression, distribution. Les bédéistes africains court-circuitent cette voie royale, se forment en direct sur les réseaux au fil d’une « battle » motivée par les likes, les commentaires, les posts de collègues. Sans jamais renoncer à être publiés un jour ! « Disons qu’il y a une nouvelle vitalité créative, qui, dans un premier temps se passe d’éditeurs », résume Pierre Lungheretti. Le graal de l’album papier est toujours en ligne de mire. Mais il s’obtient autrement : « La BD sur les réseaux sociaux sert de tremplin. Instagram, Facebook, Snapchat, Twitter (etc) donnent une opportunité à ceux qui n’ont pas de voix, qui ne sont pas connus en dehors de leur premier cercle (parfois seulement les habitants du village). »
C’est justement le raisonnement du Bilili BD festival, dont l’un des objectifs est de mettre en lien de jeunes talents avec des plateformes d’édition venues d’Afrique et d’ailleurs. C’est Joëlle Epée qui les traque, à force d’heures à écumer la toile. « Je ne suis pas une stalkeuse professionnelle ! » se défend-elle en riant, avant de décrire son processus : fouiller les réseaux de fond en comble à la recherche de jeunes talents en sommeil, potentiels héros de la BD africaine de demain.
Si tout le monde est d’accord pour dire que l’année 2020 a été compliquée, Joëlle Epée l’a trouvée intéressante du côté de la BD africaine. Comme le prouvent Afropolitan Comics, le Bilili BD festival et Kubuni, bandes dessinées d’Afrique(s), « la création numérique n’a jamais été aussi inventive ! » conclut-elle.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines