Le Nigeria, champion d’Afrique
Le 6 avril, le Nigeria est devenu la première économie du continent, devant l’Afrique du Sud. Par la magie d’un nouveau calcul de son Produit intérieur brut, mais aussi grâce à de réels progrès.
Cinq cent dix milliards de dollars. Retenez ce seuil, car c’est désormais celui qu’a atteint la nouvelle superpuissance économique du continent. Le 6 avril, après plus de deux ans d’attente, le Bureau national des statistiques du Nigeria a en effet annoncé le montant révisé du Produit intérieur brut (PIB) national : 80 222 milliards de nairas. Un chiffre qui a aussitôt déclenché un buzz sans précédent.
Euphorie
« Notre pays est devenu la première économie d’Afrique en termes de PIB et la 26e dans le monde », s’est réjouie Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des Finances. « Le Nigeria pourrait figurer parmi les quinze plus importantes économies de la planète d’ici à 2050 », ont renchéri quelques jours plus tard les analystes de l’agence Moody’s, clôturant une semaine quasi euphorique pour Abuja. Car au petit jeu des superpuissances, le Nigeria supplante désormais l’Afrique du Sud ou la Thaïlande, et talonne la Belgique, la Pologne et l’Argentine. Il pourrait se voir ouvrir les portes du G20, le club des plus grandes puissances mondiales, dont Pretoria était jusqu’à présent le seul membre africain.
À la suite d’une révision de son mode de calcul, le PIB nigérian a en effet bondi de 89 %. Les économistes les plus optimistes s’attendaient à une hausse de 60% environ, de l’ordre de celle que le Ghana avait connue en 2010. En un après-midi, le Nigeria s’est découvert une richesse supplémentaire équivalant à vingt-deux Burkina Faso (ou à treize Guinée équatoriale). Et a réalisé que sa structure économique avait totalement changé : les hydrocarbures ne représentent plus que 14% de la richesse nationale contre un tiers auparavant, le poids de l’agriculture a lui aussi fortement diminué.
En un après-midi, le Nigeria s’est découvert une richesse supplémentaire équivalant à vingt-deux Burkina Faso (ou à treize Guinée équatoriale)
À l’inverse, les télécoms sont devenues l’un des secteurs d’activité les plus importants du pays, contribuant à 8,7% du PIB (contre 0,8%). L’industrie manufacturière a elle aussi grandi, passant de 2 % à 7 %, signe que l’on se dirige vers davantage de créations d’emplois. Même les films mi-kitsch mi-glamour de Nollywood se sont fait une place : 1,4% (0% avant). « Ce sont les services qui ont le plus contribué à ce bond : leur part est passée de 25% à 50% du PIB, explique Yvonne Mhango, économiste à la banque d’affaires Renaissance Capital. Autrement dit, c’est le consommateur nigérian qui a fait la différence ».
Jalousie
Le pays peut aussi se réjouir d’une conséquence purement mécanique de l’essor du PIB : son niveau d’endettement est tombé à moins de 10 % de sa richesse nationale. De quoi faire pâlir de jalousie une bonne partie de la planète et ouvrir à Abuja la possibilité de trouver de nouvelles ressources financières pour accélérer son développement. « Grâce à cet indicateur, le Nigeria devient de plus en plus attirant pour les investisseurs. La perspective d’y faire de bonnes affaires leur apparaît plus clairement encore », souligne Gaimin Nonyane, économiste senior chez Ecobank.
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Cette nouvelle place de leader, le Nigeria la doit pourtant davantage à sa population (170millions d’habitants) qu’à une réelle modernisation de son économie. « Il lui reste beaucoup à faire pour rattraper Pretoria dans de nombreux domaines : capacités de production, énergie, infrastructures, poursuit Gaimin Nonyane. Un exemple : il dispose d’une capacité électrique de 5 000MW, contre 44 000MW pour l’Afrique du Sud, pourtant trois fois moins peuplée. »
Selon la même source, seulement 15% des 193 200 kilomètres de routes sont goudronnés. Pour le climat des affaires, Abuja se classe au 147e rang mondial. Sa capacité à collecter taxes et impôts est encore faible : 14% du nouveau PIB, soit moins que la moyenne de l’Afrique subsaharienne.
Lambda
« Ce que cela change pour le Nigérian lambda ? Pas grand-chose, lâche Razia Khan, économiste en chef chargé de l’Afrique chez Standard Chartered. Les uns sont aussi riches et les autres aussi pauvres qu’ils l’étaient avant le changement de mode de calcul. »
Le revenu annuel par habitant (près de 3 000 dollars) a certes crû lui aussi, d’environ 75%, mais il reste faible. Le pays se classe loin derrière l’Afrique du Sud (7 500 dollars) et les grandes puissances mondiales, pointant son nez bien après le 100e rang, quelque part entre la Mongolie et les Philippines.
Pas vraiment de quoi pavoiser. Deux ans après les grèves provoquées par la décision (amendée depuis) de cesser les subventions aux carburants, le risque d’une aggravation des tensions sociales dans un pays où 61% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (contre 52% en Afrique du Sud) ne va-t-il pas s’accroître ? « L’existence de très fortes disparités de revenus est désormais confirmée, commente Razia Khan. Au vu de ces nouvelles estimations, les autorités seront sans doute soumises à de fortes pressions pour créer un filet de protection sociale. »
Outil
Pourtant, le Nigeria dispose d’une capacité électrique de 5 000MW, contre 44 000MW pour l’Afrique du Sud, trois fois moins peuplée. Et seulement 15% des 193 200 kilomètres de routes sont goudronnés
En filigrane, la révision du PIB confirme que depuis deux décennies les responsables politiques naviguaient à vue en matière économique, faute d’un outil statistique fiable. Comment lutter efficacement contre le chômage quand on ne connaît pas son poids réel ? Ou définir une stratégie industrielle lorsqu’on ne sait pas si ce secteur représente 2% ou 7% du PIB ? Malheureusement, le cas du Nigeria est loin d’être unique.
« L’annonce d’Abuja suit une douzaine d’autres révisions du même type réalisées par d’autres États africains depuis dix ans environ, avec des changements de revenu national variant de – 11% dans le cas du Botswana à + 6% dans celui de la RD Congo », rappellent les analystes de Moody’s. Autrement dit, une quarantaine de pays du continent n’ont pas mis à jour leurs outils statistiques depuis quinze à vingt ans, alors qu’il est recommandé d’actualiser sa base de calcul tous les cinq ans. Le Kenya devrait bientôt le faire, avec une hausse attendue de l’ordre de 15% à 20%. L’Angola, troisième économie subsaharienne, y travaille aussi activement.
« C’est l’économie africaine dans son ensemble qui est sous-estimée, d’autant que l’ampleur du secteur informel, si elle est connue, n’est pas mesurable », indique Chukwudozie Ezigbalike, responsable des statistiques à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.
Fini les PIB au pif
« Le PIB réel est calculé à partir d’une année dite de référence, ce qui permet de calculer la croissance réelle, c’est-à-dire à prix constants, explique Chukwudozie Ezigbalike, responsable des statistiques à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. Mais avec le temps, la structure de l’économie change, de nouveaux secteurs apparaissent, et il devient nécessaire de modifier l’année de référence. » Jusqu’à présent, le Nigeria fonctionnait ainsi, avec comme référence l’année 1990.
Depuis 2011 et durant près de trois ans, les équipes du Bureau national des statistiques ont travaillé à mieux mesurer la réalité de sa structure économique, prenant en compte le poids des différentes activités au cours de 2010, devenue la nouvelle année de base. Avec un travail plus fin de collecte : le calcul se fonde désormais sur des sondages réalisés auprès de 851 628 entreprises, contre 83 733 auparavant. Et les résultats ont été avalisés par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD). F.M.
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