Daniel Kablan Duncan : « N’en demandez pas trop à la Côte d’Ivoire »

Contrats de gré à gré. Privatisations. Remboursement de la dette privée. Avant de décoller pour les États-Unis où il négocie les modalités de l’endettement futur d’Abidjan avec le FMI et la Banque mondiale, Daniel Kablan Duncan, le Premier ministre ivoirien a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».

Daniel Kablan Duncan à Paris, le 7 avril 2014. © Vincent Fournier/JA

Daniel Kablan Duncan à Paris, le 7 avril 2014. © Vincent Fournier/JA

Julien_Clemencot

Publié le 11 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Le sommet Union européenne-Afrique tout juste terminé à Bruxelles, le Premier ministre ivoirien a fait un crochet par Paris à l’invitation de Jean-Louis Villegrain pour sensibiliser les membres du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) aux opportunités à saisir en Côte d’Ivoire. Avant de décoller pour les États-Unis où il négocie les modalités de l’endettement futur d’Abidjan avec le FMI et la Banque mondiale, Daniel Kablan Duncan a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Propos recueillis par Haby Niakaté et Julien Clémençot

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Jeune Afrique : Après avoir emprunté sur le marché de l’UEMAO, vous prévoyez d’émettre un emprunt obligataire de 500 millions de dollars sur le marché international. Quel est le calendrier ?

Daniel Kablan Duncan : Actuellement l’appel d’offres concernant la banque qui conseillera l’État est en cours de dépouillement. Le résultat sera donné fin avril début mai. Pour ce qui concerne l’émission obligataire réalisée en février sur le marché de l’UEMOA, je tiens à souligner que nous avons eu plus que ce que l’on demandait.

Vous ne cherchiez pas 250 milliards de F CFA ?

Nous cherchions 200 milliards, nous en avons trouvé 242. C’était donc un succès. [Voir l’article de Jeune Afrique sur cette levée de fonds]

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Voilà un pays qui a besoin d’investissements rapides et lourds. Des pays ont proposé des prêts concessionnels à des taux d’intérêt de 2 ou 3%. Qui les refuserait ?

Quelles sont les suites du sommet “Investir en Côte d’Ivoire“ qui s’est déroulé au mois de janvier à Abidjan ?

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Cet évènement a rassemblé 3700 participants venus d’une centaine de pays et la Côte d’Ivoire a reçu 750 milliards de FCFA (1,14 milliard d’euros) de promesses d’investissement, visant à la création plus de 3900 emplois. Depuis, un certain nombre d’entreprises sont à la recherche de terrains pour s’implanter, d’autres sont en train d’effectuer les démarches légales auprès du guichet unique du Cepici (Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire), tandis que des discussions se poursuivent avec plusieurs sociétés pour concrétiser leurs intentions.

Le secteur de la construction montre la voie avec la réalisation de 10 000 logements chacun par les groupes marocains Addoha et Alliance. Les groupes chinois comme Covec (China Overseas Engineering Group) sont aussi très présents. Cette année, nous attendons beaucoup des investissements du secteur privé qui doivent atteindre 14% du PIB.

Fin février à l’issue de leur mission à Abidjan, les représentants du FMI ont demandé à la Côte d’Ivoire d’accélérer la privatisation des banques. Où en êtes-vous ?

Une quinzaine de sociétés doivent être cédées dont les banques SIB, BIAO-CI, Versus Bank, BFA. Nous allons finaliser ce dossier lors du prochain conseil des ministres fin avril. Si je prends le cas de SIB, l’actionnaire principal Attijariwafabank a souhaité obtenir 70% du capital. L’État en a 49%. Donc, une partie leur sera cédé et une autre sera mise en bourse afin de permettre aux ivoiriens d’obtenir des parts.

42% des appels d’offre en montant ont été faits de gré à gré. Mais le pays va vers une « normalisation », assure le premier ministre ivoirien.

Est ce que la liquidation pure et simple de certaines banques comme Versus Bank est envisageable ?

Le prochain Conseil des ministres va discuter du sort de chacune des banques. Au mois de juin, logiquement, tout le secteur financier (banques, assurances, microfinance) fera l’objet d’une restructuration pour une raison bien simple : il est au centre de l’économie.

Concernant le climat des affaires, le FMI a donné un satisfecit à la Côte d’Ivoire en 2013. Toutefois un grand nombre de marchés publics avait été passé sans appel d’offres.

Le fonds monétaire a noté effectivement qu’il y a eu un succès des réformes, et la Banque mondiale, dans son rapport Doing Business 2014, place la Côte d’Ivoire parmi les dix pays dans le monde ayant fait le plus de réformes. Maintenant, en ce qui concerne les appels d’offres, effectivement 42% des appels d’offre en montant ont été faits de gré à gré.

Pour quelles raisons ?

Voilà un pays qui sort de la crise, qui a besoin d’investissements rapides et lourds. Des pays ont proposé des prêts concessionnels, 25 ans et plus, à des taux d’intérêt de 2 ou 3%. Dites-moi quels pays les refuseraient. Et ce sont des prêts concessionnels (c’est à dire à taux réduit mais assorti de conditions à respecter. Les financements apportés par la Chine profitent majoritairement aux entreprises chinoises, ndlr) approuvés par la Banque mondiale. Je dis aux pays occidentaux : vous aussi offrez-nous des prêts concessionnels pour financer nos infrastructures de base (ponts, routes, barrages…). Le pays a fait des progrès prodigieux depuis la fin de la crise en 2011. Même si nous sommes un bon élève, ne nous en demandez pas trop.

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Le grouvernement va-t-il néanmoins réduire le nombre de contrats de gré à gré cette année ?

C’est évident, nous allons vers une normalisation. Mais il faut bien comprendre que les appels d’offres de gré à gré ne sont pas un objectif. Notre problème, c’est d’avoir des financements adaptés à nos besoins, des financements longs, pour avoir des infrastructures qui nous permettent de relancer notre économie.

L’État a commencé à payer la dette intérieur. Il y a des décotes conséquentes pour les entreprises les plus pressées. Est-ce normal ?

C’est déjà une bonne chose de payer la dette. Elle était bloquée depuis des années, puisqu’elle concerne la période 2000-2010. Après avoir été évaluée à 300 milliards de F CFA, l’État a procédé à des audits, qui ont montré qu’autour de la moitié de dette était réelle. On sort quand même d’une dizaine d’années de crise, il ne faut pas l’oublier. L’État n’a pas tous les moyens. Les paiements inférieurs à 100 millions de F CFA ont été payés dans l’intégralité. Pour les gros montants, nous avons fait une proposition de décote (jusqu’à 50%, ndlr) pour les entreprises qui veulent être payées rapidement. Mais ce n’est pas une obligation.

Les PME sont très importantes pour la reprise économique, des mesures sont-elles prises en leur faveur ?

Les PME représentent actuellement 80% du tissu des entreprises en Côte d’Ivoire, mais ne contribuent qu’à 18% du PIB. C’est pour changer cela que l’Assemblée nationale a adopté récemment La loi d’orientation de la politique nationale de promotion des PME. Il faut maintenant mettre le texte en application.

De quoi s’agit-il ?

D’une somme d’annulations fiscales, faire en sorte que les PME aient une part réservée dans l’exécution des grands travaux. Il faut aussi mettre en place des sociétés de caution (pour faciliter leur financement, ndlr). Les premiers décrets seront pris cette année et tout sera terminé en 2015, 2016.

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