Au bon temps de la « mission »

Nadine Vasseur est allée à la rencontre d’une quarantaine d’anciens élèves de lycées français à l’étranger. Nostalgie, quand tu nous tiens…

Publié le 15 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Quel est le point commun entre l’actrice Jodie Foster, l’architecte Ricardo Bofill, la dessinatrice Marjane Satrapi et l’écrivain George Steiner ? Tous sont (comme l’auteur de ces lignes, d’ailleurs) d’anciens élèves de lycées français à l’étranger. La France possède un réseau de 410 établissements dans 128 pays, et scolarise 236 000 élèves, en majorité étrangers. Nadine Vasseur est allée à la rencontre de ces francophones de tous horizons, et en a sorti un précieux livre de témoignages, décousu mais instructif : La Leçon de français.
Les interviewés – une quarantaine – racontent chacun à sa manière, et avec ses mots, en quoi le fait d’avoir été scolarisé dans cet univers cosmopolite a changé pour toujours leur façon d’être. « Nous avons appris à parler français mais aussi à penser français, raconte le Tunisien Samy Mabrouk, homme d’affaires et fils de feu Hédi Mabrouk, ancien ministre des Affaires étrangères de Habib Bourguiba. Cette fameuse pensée cartésienne qui vous apprend à construire un raisonnement, à analyser un discours. Ce que m’a appris la culture française, c’est à vouloir chercher et comprendre, en permanence, la vérité, la légitimité de toute chose. À ne pas se contenter de la soupe que l’on nous sert. On n’est pas tout à fait le même quand on a lu Voltaire et quand on ne l’a pas lu. »
Espaces d’apprentissage de la tolérance, de la laïcité et de la mixité, les lycées français sont un formidable outil d’ouverture sur le monde et la culture universelle. Mais ils ressemblent parfois à des ghettos dorés et coupés de leur environnement naturel. « La seule ouverture que nous avions sur la société algérienne, se souvient la romancière Maïssa Bey, c’étaient les cours de langue arabe. Et encore. Ils étaient plutôt déconsidérés… »
L’inscription des élèves au lycée français relève souvent d’un choix élitiste de parents eux-mêmes francophones et francophiles. « Parler français était un signe de distinction dans l’Égypte des années 1930, se souvient Boutros Boutros-Ghali. Mais le lycée d’Héliopolis constituait un vrai melting-pot national, religieux et social. On y trouvait des collégiens arméniens, des juifs, des musulmans, des chrétiens, des Français, des Grecs, toute une diversité de cultures reflétant la société égyptienne d’alors. »
Est-ce toujours le cas ? Les établissements français à l’étranger sont-ils encore les creusets de l’altérité ? Plus vraiment, ou en tout cas moins qu’avant. À la fois parce que les sociétés modernes, arabes notamment, ont perdu en diversité – la décolonisation et le conflit israélo-arabe sont passés par là. Et parce que la France, peut-être dépassée par l’engouement provoqué par ses écoles à l’étranger, a considérablement augmenté les frais de scolarité, jadis symboliques, pour sélectionner les candidats.
À Tunis, par ricochet, c’est un peu de l’esprit si caractéristique de « la mission » qui s’en est allé. « Les écoles de la mission culturelle française se sont transformées en boîtes à baccalauréat, et ne s’adressent plus qu’aux familles aisées, regrette Samy Mabrouk. Il y a trente ans, le lycée Carnot était pour ainsi dire gratuit et on y trouvait aussi bien les enfants du boucher, du chauffeur de taxi ou de l’épicier que ceux du ministre ou de l’ambassadeur. On y inscrivait sa progéniture par choix, pour manifester son attachement à la double culture franco-tunisienne et au bilinguisme. »
On sent poindre, en filigrane de beaucoup des témoignages rassemblés par Nadine Vasseur, une lancinante nostalgie, celle du temps où le français était roi, et jouissait, comme langue des arts et de la diplomatie, d’un prestige inégalable. Une nostalgie mais aussi une colère rentrée. Car la France donne souvent l’impression d’avoir « abandonné » la cause : « La force de la Francophonie se trouve notamment dans le monde arabe, cela aurait valu la peine de la développer, pour faire contrepoids à l’uniformisation américaine. Mais peu de Français s’intéressent à la Francophonie. C’est dommage. Il n’y a que les Égyptiens comme moi, ou les Canadiens et les Africains pour s’en préoccuper encore », estime Boutros Boutros-Ghali. L’homme sait de quoi il parle : il a été, cinq années durant, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie…

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