Égypte : « Les Frères musulmans n’ont jamais été aussi déconnectés de la société »
En décembre 2012, l’ex-président frériste Mohamed Morsi tentait d’amender la Constitution pour s’attribuer davantage de pouvoir. Un coup d’État militaire et huit ans plus tard, que reste-t-il des Frères musulmans ? Entretien avec le chercheur Abdelrahman Ayyash.
Le 25 janvier 2011, « jour de la police », des milliers manifestants prennent de cours les autorités égyptiennes en envahissant la place Tahrir au Caire. Malgré la répression violente, la révolte ne tarit pas pendant 18 jours. Sous la pression de la rue, le dictateur Hosni Moubarak finit par quitter le siège qu’il occupait depuis trente ans, le 11 février 2011.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, se félicite du fait que « la voix du peuple égyptien a été entendue », tout en appelant « à une transition transparente, en bon ordre et pacifique ». C’est tout le contraire qui se produit. L’opaque Conseil suprême des forces armées rechigne à transmette le pouvoir aux civils et la spirale de la répression-contestation s’enclenche de nouveau. Les candidats des Frères musulmans, principale force d’opposition organisée depuis des décennies, remportent les élections au Parlement et à la présidence en 2012.
En décembre de la même année, Mohamed Morsi, le premier président égyptien élu démocratiquement, tente d’élargir ses pouvoirs, provoquant de nouvelles manifestations. Son ministre de la Défense, Abdel Fattah al-Sissi, le destitue et prend sa place. Le 14 août 2013, près de 1 000 partisans de Morsi sont massacrés sur la place Rabia al-Adawiyya par les forces de sécurité, équipées notamment par des entreprises de défense françaises. La confrérie est interdite et classée comme terroriste par le régime militaire.
Présentée un temps comme la grande gagnante des soulèvements arabes, l’organisation islamiste des Frères musulmans traverse probablement la plus grave crise de son histoire : fuite et traque massive de ses membres et perte de légitimité à la suite de ses échecs politiques en Tunisie, en Égypte, voire au Soudan. Dix ans après la chute de l’ex-raïs, l’organisation fondée en 1928 sur les bords du canal de Suez est déconnectée de sa base et en plein déclin. C’est l’analyse d’Abdelrahman Ayyash, chercheur basé à Istanbul, spécialiste des Frères musulmans et des mouvements islamistes au Moyen-Orient.
Jeune Afrique : Près de dix ans après la révolution de 2011 et la contre-révolution autoritaire qui l’a suivie, que reste-t-il de l’organisation presque centenaire des Frères Musulmans ?
Abdelrahman Ayyash : Ce n’est pas la première fois de son histoire que l’organisation est bannie, que ses membres sont persécutés, voire exécutés. Mais c’est la première fois qu’elle subit une répression d’une telle ampleur. Après avoir perdu des centaines de membres dans le massacre de Rabia al-Adawiyya, les Frères musulmans sont entrés en mode « survie », c’est-à-dire que le principal objectif des dirigeants est de sauver l’organisation. Aucune opposition ni divergence n’est tolérée au sein du mouvement.
Un énorme fossé s’est creusé entre la vieille garde et les jeunes, qui se sont sentis abandonnés par l’organisation
Par ailleurs, ses leaders – qu’ils soient en prison ou en exil – sont vieillissants. Certains étaient déjà en prison dans les années 1960 (sous la présidence Nasser) et ont aujourd’hui entre 70 et 80 ans, c’est-à-dire beaucoup plus âgés que la majorité des membres et sympathisants fréristes. Ils sont incapables de produire de nouvelles idées ou d’apporter du sang neuf. Le principe de base de l’organisation demeure « écoute et obéis ». Cette approche a éloigné la plupart des jeunes membres. Beaucoup de ceux qui ont entre 20 et 30 ans ont quitté le mouvement.
Pourtant les jeunes fréristes étaient nombreux à se mobiliser après 2011 et ont payé un lourd tribut à cet engagement…
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