États-Unis : opération blanchiment

Publié le 14 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Quand, en octobre 2004, juste avant la présidentielle, l’administration Bush avait tenu à faire voter dans l’urgence une nouvelle loi sur la fiscalité des sociétés internationales, nul n’avait imaginé ses conséquences. Ce texte, en effet, était supposé avant tout compenser par un avantage en matière d’impôts en 2005 la suppression de certaines aides indirectes à l’exportation, désormais interdites par l’Organisation mondiale du commerce. Et il est assez banal, bien que peu fair-play, qu’un pays continue à soutenir par des voies détournées ses entreprises quand cette pratique est déclarée illégale par un organisme international. Mais nul n’avait pris la mesure du soutien ainsi accordé aux multinationales, et encore moins de ce qu’il allait faire apparaître au grand jour.
L’avantage en question consistait à amnistier fiscalement les entreprises qui accepteraient de rapatrier leurs bénéfices réalisés à l’étranger et à les soumettre à une imposition très faible – 5,25 % au lieu des 35 %, du moins quand il n’y avait pas déjà eu une taxation de ce niveau dans le pays où ces gains avaient été réalisés. Cette mesure devait non seulement garantir aux multinationales qu’elles ne perdraient rien, mais aussi avoir des effets vertueux sur l’économie américaine. Les millions de dollars de retour seraient en effet utiles, d’abord pour résorber en petite partie les déficits des comptes extérieurs du pays, ensuite pour permettre aux sociétés concernées d’investir sur le sol national et d’y créer des emplois – d’où le nom d’« American Job Creation Act » donné à cette loi.
Depuis l’entrée en application du texte à la mi-janvier 2005, l’afflux de capitaux a surpris tout le monde. Les seules grandes sociétés du secteur pharmaceutique ont annoncé leur intention de rapatrier au moins 75 milliards de dollars de profits. Soit une bonne moitié de l’estimation officielle initiale. Ce qui laisse espérer que le résultat final sera très supérieur aux attentes et aidera sinon à créer beaucoup d’emplois, du moins à soutenir la monnaie américaine aujourd’hui très dépréciée. Car une grande partie des bénéfices des multinationales étaient réalisés en monnaie locale et devront être convertis pour franchir la frontière.
Le succès inespéré de cette mesure a cependant mis au jour l’importance incroyable des sommes en jeu. On a en effet fini par estimer le total des profits des multinationales américaines conservés à l’étranger à plus de 700 milliards de dollars, dont une moitié pourrait finalement prendre le chemin du retour. Ce montant paraît d’autant plus énorme qu’il ne concerne que les profits réalisés dans des pays l’imposition est faible puisque la loi d’amnistie ne change rien dans les cas où les impôts déjà payés étaient égaux ou supérieurs à ceux dus aux États-Unis. On ne peut donc expliquer le résultat qu’en mesurant à quel point les multinationales ont monté des structures juridiques ad hoc et des opérations financières sophistiquées pour loger tous leurs profits réalisés hors des États-Unis dans des pays, le plus souvent des paradis fiscaux, où les impôts sont très bas ou inexistants.
En clair, la nouvelle loi américaine semble avoir surtout révélé l’importance des efforts des grandes entreprises pour échapper à la taxation sur les bénéfices. Leur lobbying effréné auprès de l’administration Bush pour faire passer le « Job Creation Act » cachait tout simplement la volonté de réussir enfin à « blanchir » ces sommes qu’on entendait conserver loin du siège tant que le risque d’être imposé « normalement » subsistait. Comme toute amnistie, celle-ci profite… aux délinquants. De quoi leur donner les moyens d’organiser de nouveaux colloques – les multinationales adorent ça – sur les entreprises citoyennes…

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