Niamey, et après ?

Publié le 14 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Autour de la table, ce 9 février, au Palais des congrès de Niamey, sur les rives du Niger, le président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Mamadou Tandja, et ses hôtes Mathieu Kérékou du Bénin, Olusegun Obasanjo du Nigeria, Abdoulaye Wade du Sénégal, Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire, John Kufuor du Ghana, Blaise Compaoré du Burkina Faso, Gyude Bryant du Liberia et Henrique Rosa de la Guinée-Bissau. Prennent part également au huis clos le ministre des Affaires étrangères du Mali Moctar Ouane, représentant Amadou Toumani Touré, le président de la Commission de l’Union africaine Alpha Oumar Konaré, et le secrétaire exécutif de la Cedeao Mohamed Ibn Chambas.
Les douze hommes se penchent sur le « cas » du Togo, « en rupture de légalité » depuis la disparition brutale, le 5 février, de Gnassingbé Eyadéma, resté à la tête de ce pays pendant trente-huit ans.
La séance débute par un moment d’intense émotion : une minute de silence à la mémoire du défunt. Puis la parole revient à Mohamed Ibn Chambas, qui présente un rapport introductif, résultat de sa mission à Lomé (le 6 février) avec la ministre nigérienne des Affaires étrangères Aïchatou Mindaoudou. Après un rappel des développements de la situation depuis le 5 février, le secrétaire exécutif soumet aux chefs d’État « trois options possibles pour ramener ce pays frère à la légalité ».
La première préconise la « rétractation » de tous les actes posés depuis la mort d’Eyadéma et le respect de la Constitution de 1992, modifiée en 2002. En d’autres termes, le retour au statu quo ante par l’annulation des initiatives prises depuis le 5 février : la destitution du président de l’Assemblée nationale ; la nomination à la tête de cette institution, puis du pays, de Faure Gnassingbé ; la prestation de serment de ce dernier en qualité de chef de l’État…
La deuxième option indique aux chefs d’État d’accepter la nouvelle donne, mais d’exiger une transition de deux à six mois et l’organisation d’élections équitables. Dans cette hypothèse, le secrétaire exécutif préconise la nomination immédiate d’un représentant spécial de la Cedeao, chargé de veiller à la transparence des futures consultations électorales, à la participation des candidats exclus des précédents scrutins, comme Gilchrist Olympio, au retour dans le pays de l’Union européenne et des autres bailleurs de fonds, à la création d’une sorte de Commission Vérité et Réconciliation pour absoudre les erreurs du passé…
La troisième option est une combinaison des deux premières. Elle consiste à réclamer le retour immédiat à l’ordre constitutionnel (c’est-à-dire la restauration de Fambaré Natchaba, président de l’Assemblée nationale « destitué », dans son rôle de chef de l’État par intérim), suivi d’une transition mise à profit pour engager un dialogue politique et préparer les élections. Dans ce schéma, précise Ibn Chambas, la personnalité qui conduit la période transitoire ne présentera pas de candidature aux futures consultations.
Cette solution est retenue après un tour de table. Cinq chefs d’État (Tandja, Kérékou, Touré, Kufuor et Obasanjo) sont aussitôt chargés par leurs pairs de se rendre à Lomé « dans les soixante-douze heures » pour exprimer cette position de la Cedeao aux nouvelles autorités togolaises de facto. Kara, fief du défunt président, est initialement préféré à la capitale, où toutes les conditions de sécurité ne seraient pas encore réunies. La délégation de chefs d’État de la Cedeao qui y est attendue le 11 février ne fera finalement pas le déplacement. Elle ne souhaite pas donner l’impression de faire allégeance au nouveau pouvoir. Il s’agit de faire comprendre aux hommes forts du pays que, faute d’obtempérer, ils s’exposent aux sanctions prévues dans l’article 45 du Protocole de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance. En clair, à des mesures comme l’interdiction de siéger dans les instances de la Cedeao, de l’Uemoa, de l’Union africaine, mais aussi à des initiatives pour amener les partenaires bilatéraux et multilatéraux à suspendre leurs interventions au Togo.
À l’évocation des sanctions, Blaise Compaoré intervient. Il invite ses pairs à plus de réalisme, pour tenir compte du contexte du Togo, et pour rassurer les auteurs du « coup de force ». Ce débat entre pragmatiques et tenants d’une ligne « constitutionnaliste » traverse aussi bien les dirigeants africains que la plupart de ceux de la communauté internationale. Pour les premiers, il s’agit de prendre en considération la réalité du terrain et, dans le cas togolais, les près de quarante ans de règne presque sans partage sur un pays où la peur et les crispations de toute nature ont eu le temps de s’installer. Il faut tenir compte d’une armée ethniquement quasi homogène et dont la plupart des chefs craignent pour leur matricule et tremblent à l’idée d’éventuelles tracasseries judiciaires. Et ont probablement forcé la main à Faure Gnassingbé, aujourd’hui pris entre le marteau et l’enclume.
John Kufuor abonde dans le même sens que Compaoré, insiste sur la nécessité de faire avec la psychologie des tenants actuels du pouvoir à Lomé. Les autres chefs d’État se laissent convaincre, demandent à leurs homologues envoyés au Togo de donner des gages à Faure Gnassingbé et aux responsables militaires qui le soutiennent.
Les seconds, entre autres Olusegun Obasanjo et Alpha Oumar Konaré, ne sont pas contre une telle démarche pour essayer de convaincre avant de sévir. Mais ils n’acceptent pas le fait accompli. Pour eux, c’est la crédibilité de l’Afrique et de ses institutions, mais aussi le respect des principes qu’elle s’est elle-même choisis qui est en jeu. Ou c’est le retour au statu quo ante, ou ce sont les sanctions. Pour une fois – c’est assez rare pour être souligné -, tout le monde est d’accord : la persuasion, oui, et si cela ne marche pas, c’est, sans trembler, le coup de bâton.
Le Conseil permanent de la Francophonie, composé des représentants personnels des 53 chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et présidé par Abdou Diouf, a connu le même débat, le même jour (le 9 février à Paris) que la Cedeao. Le représentant français, devant une situation peu claire, avait plaidé pour l’envoi d’un émissaire chargé de prendre le pouls de la situation et d’inviter les nouveaux acteurs à organiser des élections ; le Libanais était resté circonspect sur l’efficacité des sanctions ; le Vietnamien souhaitait ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures du Togo, l’Égyptien attendre la réaction d’autres organisations… Le Canadien, le Suisse et son homologue de la communauté francophone de Belgique ont maintenu la pression pour des sanctions immédiates. À l’arrivée : même si l’envoi d’un émissaire est décidé, la suspension de la participation du Togo dans les instances de l’OIF ainsi que de la coopération multilatérale avec ce pays.
Pratiquement la même démarche que la Cedeao et l’Union africaine.

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