Migrants subsahariens en détresse

Parvenus au nord du royaume après avoir traversé le Sahara algérien, ils sont des milliers à tenter de passer en Europe. On les refoule vers l’Algérie, ils reviennent…

Publié le 14 février 2005 Lecture : 4 minutes.

Chaque jour ou presque, le détroit de Gibraltar engloutit ses morts. Ils sont près de six cents à y être disparus en 2004. Parmi eux, beaucoup de Subsahariens qui, dans l’attente d’un passage, vivent terrés dans les forêts du nord du Maroc, à quelques kilomètres des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Qui sont-ils ? Comment vivent-ils ? La Cimade, association au service des réfugiés et des étrangers en France et dans les pays du Sud, ainsi que la Plate-forme migrants, un collectif associatif international, ont enquêté un mois durant dans ces « camps » informels. Elles publient un rapport alarmant sur la situation de ces populations en transit, maltraitées tant du côté espagnol que marocain (passages à tabac, humiliations, rafles, refoulements en contravention de la légalité internationale…).
Originaires du Nigeria, du Mali, du Cameroun, du Sénégal, de la Guinée, du Liberia, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Burkina, entre 1 500 et 2 500 clandestins sont réfugiés à Gourougou, dans la forêt qui surplombe Nador, près de Ceuta, et à Belyounech, dans les bois proches de Melilla. S’abritant tant bien que mal dans des cabanes faites de bois, de carton et de plastique, ils y restent souvent quelques mois, voire plusieurs années (55 % d’entre eux sont là depuis plus de six mois). Ce sont en majorité des hommes jeunes (42 % ont entre 26 et 30 ans) et éduqués (38 % ont au moins le bac et 24 % ont suivi des études supérieures ; seuls 10 % n’ont jamais été scolarisés). Certains (libériens, ivoiriens…) répondent aux critères des demandeurs d’asile, mais la plupart sont partis pour assurer leur survie et celle de leur famille.
Pour arriver au Maroc, ils ont mis quinze mois en moyenne. 82 % d’entre eux sont entrés par Oujda après avoir traversé le désert qui sépare le Mali ou le Niger de l’Algérie, au péril de leur vie. « Entre le Niger et l’Algérie, nous avons vu un camion, probablement tombé en panne, avec des personnes mortes dessus et dedans, raconte un Camerounais de 23 ans. Certains étaient des Nigérians, ils avaient posé leur passeport sur leur poitrine. Ensuite, nous avons vu d’autres corps sur le chemin, ils avaient essayé de continuer à pied. Puis c’était notre tour de tomber en panne. Nous avons marché pendant dix jours avant que l’on vienne nous secourir et avons survécu grâce à nos urines. Nous sommes partis à vingt, dix sont morts dans le désert. »
« C’est au fil du voyage que certains font parfois appel à des « guides », explique Anne-Sophie Wender, auteur du rapport. Ils paient au fur et à mesure de leurs déplacements, s’arrêtent, travaillent puis continuent leur route. La plupart d’entre eux n’ont aucune idée des difficultés qui les attendent et encore moins des politiques migratoires européennes. »
C’est justement parce qu’ils sont totalement démunis et aux abois qu’ils échouent à Gourougou et à Belyounech. Jusqu’à très récemment, ils tentaient alors « l’attaque des grillages » qui encerclent les enclaves. « Mais, en octobre, les Espagnols ont doublé la hauteur des grillages, de trois à six mètres, explique Hicham Rachidi, cofondateur de l’Association marocaine des amis et familles victimes de l’immigration clandestine [AFVIC] et coordonnateur de la Plate-forme migrants. Depuis, c’est impossible de passer. »
Désormais, les camions et les pateras sont les seules options. En tout cas pour ceux qui peuvent payer. La traversée de Laayoune aux Canaries coûte environ 800 euros à un Marocain et 1 500 euros à un Subsaharien. En renforçant la surveillance électronique du détroit de Gibraltar, on n’a fait que déplacer le problème plus au Sud, dénoncent les associations. Les candidats à l’exil sont toujours là, mais ils se lancent dans des parcours plus dangereux.
Mi-janvier, les Marocains ont décidé de raser le camp de Gourougou. « L’opération de ratissage a débuté quelques jours avant la visite du roi espagnol Juan Carlos au Maroc. Les cabanes ont été détruites et tous les migrants ont été refoulés vers l’Algérie », explique Hicham Rachidi. Pour autant, le problème n’est pas réglé. Plus de la moitié des personnes interrogées lors de l’enquête ont dit avoir été refoulées au moins une fois vers la frontière algérienne, à Oujda, et certains jusqu’à sept fois (50 000 clandestins ont été interceptés en 2004 à Ceuta et Melilla). Tous sont revenus au Maroc. Comme ce Sénégalais de 33 ans qui raconte qu’« à la frontière les militaires algériens nous disaient de ne pas entrer et les Marocains de ne pas revenir. Alors on s’est assis au milieu jusqu’à la nuit, et on est rentrés quand les policiers marocains étaient partis ». Ensuite, ils ont parcouru à pied les 500 km qui les séparaient de Belyounech, en tentant d’échapper aux policiers et aux pillards.
Pour eux comme pour tous les autres, les sacrifices consentis ont été trop lourds, et l’Europe est trop proche pour abandonner. « Malgré toutes les difficultés et les humiliations rencontrées, peu de migrants émettent des regrets, précise Anne-Sophie Wender. Presque tous ont le sentiment que, de toute manière, ils n’avaient pas le choix. »

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