Leçons d’un congrès peu ordinaire

Après la reprise en main du FLN par le président Bouteflika, la vie politique s’emballe,et l’on parle à nouveau de redistribution des cartes au sein de l’exécutif.

Publié le 14 février 2005 Lecture : 6 minutes.

A l’issue d’un conflit interne qui a duré vingt-deux mois, le Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) a finalement réussi à recoller les morceaux. La crise, née d’une ambition légitime, mais sans doute démesurée, celle de l’ancien secrétaire général, Ali Benflis, qui voulait se présenter comme le rival d’Abdelaziz Bouteflika tandis qu’une partie de la base refusait de le suivre sur ce terrain, n’est pas la première et ne sera sans doute pas la dernière. Sa gravité est due à la fois au passé de ce parti et aux difficultés auxquelles se heurte toute tentative de modernisation de ses structures.
La tenue du VIIIe Congrès du FLN (voir J.A.I. n° 2300), du 30 janvier au 2 février, aura certainement des conséquences importantes sur la vie politique du pays. D’ailleurs, à peine le communiqué final rendu public, le frère jumeau du FLN, le Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia) a tenu son Conseil national pour « une évaluation d’étape ». Ces deux partis étant membres de l’alliance présidentielle, le troisième ne pouvait rester inactif. Les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, de Bouguerra Soltani) ont voulu montrer qu’ils existent. Ils ont organisé, le 1er février, dans la foulée du congrès du FLN, une rencontre dont l’objectif était de créer un Conseil économique et social au sein de leur formation.
Comme rapporté dans notre précédente édition, le FLN s’est doté d’une nouvelle direction et d’un nouveau président d’honneur, Abdelaziz Bouteflika. Que vient faire dans cette galère un président élu puis réélu sans le FLN (et pour le second scrutin contre une partie du FLN) ? Quelles seront les conséquences directes de cette innovation sur l’activité parlementaire l’ancien parti unique dispose d’une confortable majorité ? Les promesses de modernisation et de rajeunissement seront-elles tenues ? Que fera Abdelaziz Belkhadem, nouvel homme fort du FLN, de sa victoire ?

Bouteflika et le FLN. « Un seul héros, le peuple. » Ce mot d’ordre qui a guidé les premiers pas du FLN a privé le parti d’un véritable patron durant la guerre de libération. La plupart de ses dirigeants d’alors s’en étaient détournés au lendemain de l’indépendance. Hocine Aït Ahmed crée son Front des forces socialistes (FFS) et se lance dans une rébellion armée contre l’autorité centrale. Mohamed Boudiaf l’imite et fonde le Parti de la révolution socialiste (PRS) avant d’être contraint à l’exil. L’enjeu du pouvoir échappe alors aux structures du parti, qui devient un appareil aux mains de l’armée. La longévité de ses dirigeants successifs (voir encadré p. 68) est fonction de leur allégeance au puissant du moment.
S’agissant d’Abdelaziz Bouteflika, le parti n’a jamais été sa tasse de thé. En sa qualité de ministre des Affaires étrangères, il avait des rapports soutenus avec l’une de ses structures, dirigée alors par Slimane Hoffman : l’instance chargée des mouvements de libération du Tiers Monde.
En 1981, Bouteflika est l’une des premières victimes de la chasse aux sorcières du début de l’ère Chadli Bendjedid. Il est exclu du comité central et n’est réhabilité que huit ans plus tard, en 1989. Le FLN entre alors dans une logique d’opposition en dénonçant l’interruption du processus électoral en janvier 1992. Il commet un crime de lèse-majesté en s’alliant au Front islamique du salut (FIS, dissous et entré en rébellion armée contre le pouvoir) et au FFS pour signer, en 1995, le contrat de Rome, qui vise à la réhabilitation politique du FIS.
Bouteflika se présente à la présidentielle de 1999 en candidat indépendant. Le soutien du FLN est plus que timide. Son secrétaire général de l’époque, Boualem Benhamouda, explique à la presse sa décision d’appeler à voter « Boutef » par « des instructions venant de haut ». Autrement dit, l’armée. C’est le second coup de poignard dans le dos, car cette déclaration jette un doute sur la légitimité de la victoire électorale du nouveau président.
Une fois élu, ce dernier s’assure de la neutralisation du FLN, et c’est son homme de confiance, Ali Benflis, qui en hérite en septembre 2000. L’appétit venant en mangeant, ce dernier estime qu’il a ses chances pour l’élection d’avril 2004 et entre à son tour dans l’opposition. D’où la crise et les incessants reports des huitièmes assises du parti.
Les rapports entre Bouteflika et le FLN sont des plus compliqués. De nombreuses voix se sont élevées pour affirmer que le FLN est un patrimoine commun à tous les Algériens, que son caractère quasi sacré devrait l’exclure de la compétition politique. À tous ceux qui réclamaient la mise au placard du parti de l’indépendance, Boutef répétait inlassablement : « Je ne veux pas que l’histoire retienne que le FLN a été sabordé durant un mandat de Bouteflika ! »
Pourquoi alors donner son accord à la proposition, « émanant de la base », de devenir président du FLN alors qu’il s’était toujours refusé à créer un parti présidentiel ? Un proche collaborateur du chef de l’État explique : « Il n’a certes pas eu besoin de cette redoutable machine électorale pour l’emporter au suffrage universel, mais marquer à la culotte la première formation politique du pays peut toujours servir. D’ailleurs, les députés du FLN ont fait de la résistance durant son premier mandat. Ce sont eux qui ont réussi à imposer l’interdiction d’importation des boissons alcoolisées, mettant en danger la démarche d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ainsi que l’accord d’association avec l’Union européenne. Ce sont encore eux qui amendent les projets de loi de finances inspirés par le programme du président. Ce sont également eux qui, dans les institutions locales, freinent les opérations de développement. »

la suite après cette publicité

Le FLN et l’alliance présidentielle. L’absence de direction légitime de l’ancien parti unique a quasiment gelé les activités de l’alliance présidentielle. Pas de réunions communes, donc pas de coordination politique. C’est ce qui a entraîné de stériles débats parlementaires à l’occasion de la présentation de projets de loi. Le gouvernement disposait bien d’une large majorité dans les deux Chambres, mais les blocages et manoeuvres dilatoires étaient légion, car la discipline de parti n’était plus de mise chez les députés FLN. La « normalisation » acquise à l’issue du VIIIe Congrès pourrait permettre une meilleure visibilité de l’activité législative. La majorité redevenant majorité et les partis minoritaires retrouvant leur statut d’opposition, sans le partager avec des dissidences floues et ambiguës.

Le Belkhadem nouveau. Quelle superbe revanche pour l’ancien président de l’Assemblée nationale ! Considéré par une partie de l’armée comme l’oeil de Téhéran à Alger, incarnation des « barbeffélènes », sobriquet désignant le courant islamiste de l’ancien parti unique, Abdelaziz Belkhadem a été traité de tous les noms d’oiseau, en 1995, quand le FLN a signé le contrat de Rome parrainé par la communauté catholique de Sant’Egidio, qui visait à innocenter le FIS du terrorisme qui sévissait en Algérie. Une partie du commandement de l’armée s’est désolidarisée de Bouteflika quand ce dernier l’a réhabilité, en 2001, en lui offrant le ministère des Affaires étrangères avec statut de ministre d’État.
Enseignant de formation, Belkhadem imprime sa marque et se révèle un excellent second dans la direction de la diplomatie, le premier rôle étant dévolu au président. Mais ce sont les dernières assises du FLN qui ont assuré sa consécration. Il a su démêler la très complexe question de la représentativité de la base, diriger les débats pour trois mille congressistes et obtenir le consensus au sein d’un océan de courants et de chapelles pour devenir le dixième secrétaire général du FLN depuis l’indépendance de l’Algérie.
Belkhadem sort grandi de l’épreuve. Mieux : il acquiert un statut de présidentiable. Rival direct d’Ahmed Ouyahia, patron du RND, qui chasse sur les mêmes terres électorales, Belkhadem est pressenti pour être le prochain Premier ministre. Mais il est peu probable que cela se fasse dans un avenir immédiat. Ouyahia fait convenablement son « job » et Belkhadem le sien. Si le FLN post-Congrès peut légitimement demander une meilleure représentation dans l’exécutif, il ne peut revendiquer le poste de Premier ministre en arguant du fait qu’il est la première force politique dans les deux Chambres du Parlement. Ali Benflis n’a-t-il pas occupé cette fonction alors que le FLN n’était que la troisième formation au sein de l’Assemblée nationale ?
Reste à savoir si Belkhadem est l’homme de la situation. Celui qui réussira à donner un coup de jeune au vieux parti, à augmenter la représentation féminine dans les structures et à moderniser leur fonctionnement. À toutes ces interrogations, le ministre des Affaires étrangères a une réponse diplomatique : « Le défi est exaltant ! »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires