Le baiser du « faucon noir »

Publié le 14 février 2005 Lecture : 3 minutes.

On l’avait vue perchée sur le gantelet habillant pour la chasse et pour la guerre le poing de George W. Bush, hier au Conseil national de sécurité, aujourd’hui au département d’État. Le monde entier était confronté à son regard perçant, à son bec et aux redoutables serres que la doctrine de la guerre préventive avait refermées sur l’Irak. Les nations ayant exprimé leur désaccord avaient alors été prévenues par madame Rice qu’elle allait « punir les Français, ignorer les Allemands et pardonner aux Russes ».

Tout a basculé le 3 février dernier. Ce jour-là, le rapace s’est envolé de Washington pour un périple d’une semaine, fondant tour à tour sur Londres, Berlin, Varsovie, Ankara, Tel-Aviv – Jérusalem et Ramallah -, Rome, Paris et Luxembourg, avant de retourner se poster à la Maison Blanche. Et là, surprise, c’est une messagère de paix que le monde a découverte.
À l’adresse de chacun, plus de mots qui fâchent, mais des paroles d’ouverture et de réconfort. Les Turcs ont obtenu de Condoleezza l’assurance que les États-Unis étaient à leurs côtés pour défendre leur intégrité territoriale contre la menace d’un Kurdistan indépendant dans le nord du pays. Le nouveau leader palestinien Mahmoud Abbas, qu’elle est allée complimenter chez lui, en Cisjordanie, pour les mesures prises contre le terrorisme, a été invité à Washington et gratifié d’un petit supplément (40 millions de dollars) s’ajoutant à l’aide (350 millions de dollars) déjà promise par le président Bush aux Palestiniens. Durant la même semaine, José Manuel Barroso a eu, pour sa part, le plaisir d’apprendre que « les États-Unis se félicitent de l’unité croissante de l’Europe » avec laquelle « notre travail commun ne fait que commencer ». Le chancelier Schröder a pu constater dans un doux baiser que sa période de purgatoire était derrière lui et qu’allait s’ouvrir « un nouveau chapitre des relations germano-américaines ». Sans parler des éclairs de bonheur – rythme de la tournée oblige – avec les alliés indéfectibles de l’Amérique, Tony Blair et le Premier ministre polonais, Marek Belka. Seul Berlusconi, alité pour cause de grippe, a manqué le rendez-vous.

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Après la « traîtrise » dont la France s’était rendue coupable vis-à-vis de Washington par sa non-participation à l’offensive militaire sur Bagdad, Paris se devait de constituer le point d’orgue du voyage de cette « Chère Condi » – c’est ainsi que Michel Barnier appela celle qui, hier encore, l’indignait en stigmatisant la « Vieille Europe ». Condoleezza, à l’américaine, n’a pas hésité à employer les grands moyens : drapée de tricolore, elle a affirmé que « pour nos ennemis, « liberté, égalité et fraternité » sont des principes du Mal ». Rien de tel pour embraser les baisemains répétés du président Chirac, le commentaire flatteur d’un Jack Lang jadis plus réservé et les assauts du maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui, s’il n’a pas réussi à mettre cette redoutable créature au piano du conservatoire de musique où elle était accueillie, a tout de même eu l’ineffable plaisir de la voir battre la mesure, du bout de l’escarpin…
Mission accomplie, donc, pour Rice, qui aura prouvé qu’elle savait aussi séduire. Le président Bush, qu’elle précède à Bruxelles d’un peu plus de deux semaines, lui saura sans doute gré d’avoir rétabli des conditions propices à la reprise du dialogue transatlantique.

D’autant que la secrétaire d’État a réussi à conquérir les dirigeants européens sans accepter la moindre concession sur les sujets qui font encore l’objet de désaccords : pas question de mettre fin à l’embargo sur les armes à destination de la Chine, comme le souhaitent les Européens. Et, concernant l’Iran, si elle exclut pour l’instant une attaque contre Téhéran, Condi est encore loin de se parer des plumes de la colombe : elle exprime toujours son « scepticisme profond » à l’égard de l’initiative européenne tendant à convaincre le régime « totalitaire » des ayatollahs de renoncer par la négociation à son programme d’enrichissement de l’uranium. Mais, à ce jour, bien qu’elle critique les Européens, « l’ambassadrice de charme » ne les a pas encore menacés de représailles…

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