À la rencontre des Tambermas

Batammaba, le nom que se donnent ces habitants du Nord-Togo, signifie « les architectes de la terre ». Lucille Reyboz nous fait découvrir les traditions d’un peuple auquel la lie une complicité rare.

Publié le 14 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Elle trimballe son sourire en Afrique depuis qu’elle a 4 ans. Aujourd’hui, Lucille Reyboz, la trentaine discrète, retourne avec le même bonheur sur le continent, ses « lourds » appareils photo en bandoulière. En 2000, c’est sur le Togo qu’elle pose son regard bleu. Un regard où se mêlent la tendresse de l’enfant qu’elle est restée et le discernement de la photographe qu’elle est devenue.
À bord d’une Peugeot déglinguée, Lucille Reyboz s’en va découvrir l’extrême nord du pays, là où vivent les Batammaba, les « vrais architectes de la terre » dans leur langue, communément appelés les Tambermas.
Le résultat de ce périple, suivi de multiples séjours effectués à différentes saisons, est saisissant. Au fil des photos, où l’ocre se dégrade à l’infini, où le bleu du ciel est aveuglant, où le grain de peau semble aussi épais que les particules de terre qui font les maisons traditionnelles, l’artiste-reporter nous invite à découvrir ce peuple unique.
On apprend ainsi que dans les villages tambermas la construction des tatas, ces petits fortins de terre, est l’affaire des hommes tandis que leur restauration est celle des femmes. Ce sont elles qui pansent les plaies de la demeure anthropomorphique. Le tata répond en effet à une symbolique ancestrale strictement codifiée. Il représente à la fois le corps humain et le cosmos. Les deux trous au-dessus de la porte font office d’yeux. La matrice est la chambre au milieu de la terrasse, celle-là même qui accueille le sommeil de la femme… « Le tata respire par le trou appelé taboté qui se trouve au centre de la terrasse », explique N’Tcha Lapoili, le chef du village de Koulangou, à quelques encablures de piste de Kanté.
Grâce aux propos du vieux sage qui courent au fil du livre, on pénètre encore un peu plus au fond du tata, tout près des fétiches « qui se devinent plus qu’ils ne se voient », raconte Lucille Reyboz à Françoise de Maulde, laquelle a couché par écrit le récit de la jeune femme. Ainsi, le chef commente : « [Dieu] nous a aidés à construire nos maisons afin de protéger nos familles et nos divinités. C’est pour cette raison qu’elles sont différentes, elles abritent à la fois les hommes et les fétiches. Notre construction ne se fait pas par sorcellerie, elle est ancestrale. »
Là réside aussi la force des clichés de la photographe. Elle a su capturer des traditions méconnues, sans jamais céder à la fascination naïve des Blancs pour l’Afrique primitive. Ils se sont, l’une et les autres, apprivoisés. « La réserve naturelle que manifestent les Tambermas à l’égard des étrangers et le barrage de la langue n’empêchent pas les liens de se nouer », insiste la Parisienne.
À force de patience – « Je ne veux rien demander, rien forcer », dit-elle -, Lucille Reyboz a pu assister aux rites d’initiation des jeunes filles. Celles-ci se préparent sur la terrasse d’un tata qui surplombe la plaine verdoyante en cette saison. Elles s’ornent de longs colliers de cauris, se parent d’une jupe brodée de perles et se coiffent d’un casque surmonté de cornes d’antilope. En y regardant de plus près, on distingue aussi que l’une d’elles chausse des baskets et visse sur son nez des lunettes de soleil… Rencontre cocasse de la modernité et des traditions. Deux ans plus tard, la photographe assiste à l’initiation des garçons. Elle en rapporte des images d’adolescents complètement nus, « comme au premier jour », douchés et massés par des jeunes filles de leur choix, souvent des amies d’enfance.
En 140 pages de textes et photos, l’auteur nous présente Tempé et sa fille Kanti, la Drôle, Yoré et tous les autres villageois qui sont devenus sa famille d’adoption. Le travail de Lucille Reyboz va au-delà de celui d’un photographe. Il est aussi autobiographique et, de fait, sentimental. D’ailleurs, après son dernier « séjour professionnel », le chef du village N’Tcha Lapoili n’a-t-il pas déclaré : « Elle est la fille du clan, la fille du village de Koulangou. Je lui ai donné le nom de Tempé, signifiant « ma troisième fille ». » Depuis, Lucille Reyboz retourne « aussi souvent que possible » chez elle, dans le tata que lui a fait construire N’Tcha Lapoili, en pays tamberma.

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