Irak : les raisons de l’aveuglement américain

Publié le 14 février 2005 Lecture : 2 minutes.

Pendant très longtemps, le gouvernement américain s’est refusé, à propos de l’Irak, à prononcer le mot « insurrection ». Mieux, jusqu’à une époque récente, il soutenait que nous n’avions en face de nous qu’une alliance hétéroclite de quelque cinq mille « fidèles de l’ancien régime, djihadistes et repris de justice ». Nous en avons tué ou capturé trois fois plus et, pourtant, l’insurrection n’a fait que croître et embellir. Dans une guerre où, comme on l’a dit, « les dollars sont des balles », les bureaucrates passent des mois à négocier laborieusement d’énormes contrats avec des multinationales qui s’empressent d’engager des expatriés aux quatre coins du monde plutôt que des Irakiens qui seraient autant de renforts de moins pour l’insurrection. Dans une guérilla, rien n’est plus important que de recruter et de former des troupes indigènes. Nous avons confié cette tâche à la Vinnell Corporation, pour nous apercevoir après coup que les seuls qui pouvaient s’en acquitter étaient notre meilleur général, avec l’aide de soldats et de marines américains.

La responsabilité de cette cécité est équitablement partagée entre civils et militaires, entre individus et institutions. Les causes en sont multiples, y compris les souvenirs du Vietnam qui ont empêché les Américains de réfléchir en temps de paix aux problèmes posés par une guérilla. Et il n’est pas certain que nous en tirerons la leçon. Le Pentagone a organisé et porté aux nues une force militaire capable de gagner des batailles, mais beaucoup moins de gagner des guerres. Et il est parfaitement possible qu’il en revienne à la conception d’une armée rêvant d’accomplir des coups d’éclat et des exploits spectaculaires plutôt que de gagner des guerres.

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En partie parce qu’ils ont fini par corriger nombre de leurs erreurs, sinon toutes, les États-Unis ont encore la possibilité de trouver une issue acceptable en Irak, même si beaucoup trop de sang américain et irakien aura, au bout du compte, été versé, beaucoup trop d’argent gaspillé et beaucoup trop de capital politique dilapidé. Nous restons grands et forts, puissants et déterminés. Surtout, nous avons éveillé un besoin de liberté en Irak. Pourtant, au moment où nous célébrons le vote historique du 30 janvier, où nous honorons le courage des millions d’Irakiens qui ont risqué leur vie pour déposer leur bulletin dans l’urne et la bravoure et le talent de nos soldats et de nos fonctionnaires qui les ont aidés, nous devrions, en toute humilité, réfléchir à nos échecs comme à nos succès, les appeler par leur nom, et en tirer la leçon.

L’auteur est professeur à l’École des études internationales avancées, à l’université Johns-Hopkins.

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