« Il va falloir jouer collectif ! »

Pour le président Azali Assoumani, il est urgent de conclure un accord avec le FMI. C’est une des conditions pour que l’archipel puisse bénéficier d’une réduction substantielle de sa dette publique d’ici à l’an prochain.

Publié le 14 février 2005 Lecture : 6 minutes.

Des institutions rénovées, des tensions politiques apaisées, un pays remis en état de marche : le président comorien Azali Assoumani, arrivé au pouvoir par les armes le 30 avril 1999, et légitimé par les urnes le 14 avril 2002, n’a pas à rougir de son bilan à la tête de l’État. Cet ancien parachutiste, devenu chef d’état-major une première fois en 1995, et une seconde en 1998, n’a pas voulu assister, impuissant, au naufrage de son pays, miné par la crise séparatiste anjouanaise. Au lendemain de l’échec d’une énième réunion de réconciliation, tenue à Antananarivo, en avril 1999, Moroni, la capitale de l’archipel, est secouée par des émeutes. L’armée sort des casernes et porte son chef au pouvoir. Azali vient à peine de souffler ses quarante bougies. Il dévoile rapidement ses intentions : régler pacifiquement la crise séparatiste en entamant des pourparlers directs avec les rebelles anjouanais.
Accueillie au début avec circonspection, voire avec hostilité, tant par l’opposition politique comorienne que par les instances panafricaines, la méthode Azali donne pourtant des résultats rapides. Des accords de réconciliation sont paraphés à Fomboni le 17 février 2001. Le processus reçoit l’onction de la communauté internationale et de la classe politique traditionnelle. De nouvelles institutions définissent un partage des compétences entre l’État central, rebaptisé l’Union, et les trois îles de l’archipel, la Grande Comore, Anjouan et Mohéli. La « République fédérale islamique des Comores », qui n’avait rien de fédérale sinon la dénomination, se transforme en une « Union des Comores ». Des élections générales sont organisées sous supervision internationale. En avril 2002, Azali remporte la présidentielle de l’Union, au terme d’un duel inédit avec… un adversaire issu de son camp, le colonel Mahamoud Mradabi, le père de son propre directeur de cabinet. Il se retrouve ensuite rapidement en conflit avec Mze Abdou Soulé El Bak, le président de l’île autonome de la Grande Comore, qui lui dispute une partie de ses prérogatives sur « son » île. S’ensuit une période de blocage politique qui dure dix-huit mois, et se résorbe progressivement à partir de décembre 2003, grâce à une médiation opportune menée par le Sud-Africain Thabo Mbeki, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Union africaine.
Élu pour un seul et unique mandat de quatre ans, Azali, qui est grand comorien de naissance, devrait laisser la place en 2006 à un président originaire de l’île d’Anjouan, qui s’effacera à son tour en 2010 au profit d’un Mohélien, et ainsi de suite. D’ici là, il espère bien avoir réussi à relever l’ultime challenge qu’il s’est assigné : obtenir un accord avec le FMI et faire bénéficier aux Comores d’un allègement significatif de leur dette extérieure. Ses compatriotes devront se serrer la ceinture, mais l’enjeu est de taille : le poids de la dette hypothèque toute possibilité de développement à long terme. En visite officielle en France du 31 janvier au 2 février – la première d’un chef d’État comorien en France depuis l’indépendance du pays, en 1975 -, il a trouvé une oreille attentive auprès de Jacques Chirac. Et, espère-t-il, un ardent défenseur de la cause comorienne.

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous venez d’achever votre première visite officielle en France. Que représente-t-elle pour vous ?
Azali Assoumani : J’en suis très honoré pour mon pays, qui sort à peine d’une grave crise institutionnelle. La France fait partie des partenaires qui nous ont aidés à trouver une solution satisfaisante. En surmontant cette épreuve, nous avons mis un terme à l’instabilité chronique que connaissaient jusqu’ici les Comores. Nous devons tirer profit de ce nouvel élan. Il faut éradiquer la pauvreté et remettre le pays au travail. C’est pourquoi nous avons besoin de l’appui de la France.
J.A.I. : Le pays traverse une situation financière délicate…
A.A. : C’est vrai, mais la loi de finances qui a été votée dernièrement nous a permis d’adresser un signal fort à la communauté internationale. Il va maintenant falloir faire preuve d’une plus grande rigueur budgétaire, ce qui ne sera pas facile dans la mesure où les pouvoirs sont maintenant partagés entre les exécutifs insulaires et le pouvoir central. La décentralisation est une chose positive, mais elle ne facilite pas le retour à l’équilibre macroéconomique. Pour y parvenir, chaque entité doit s’acquitter du travail qui est le sien. J’ai attiré l’attention des responsables des îles sur la nécessité de limiter les dépenses publiques. Comme au football, il va falloir jouer collectif !
J.A.I. : D’autant que les délais qui vous sont impartis sont extrêmement serrés : vous n’avez pas le droit à l’erreur…
A.A. : Si nous parvenons à contenir nos dépenses, nous pourrons bénéficier d’une évaluation positive du FMI dès le mois de juin prochain, et conclure un programme au second semestre 2005. Il faut faire vite. Car l’élection présidentielle est fixée à l’an prochain, ce qui risque de provoquer un relâchement des efforts. D’autre part, le bénéfice de l’initiative de réduction de la dette PPTE [Pays pauvres très endettés] a été prorogé jusqu’en 2006. Nous devons impérativement respecter ces délais si nous voulons en profiter. J’en ai parlé avec le président Chirac qui nous a assurés de son soutien. Il va plaider notre cause auprès du directeur général du FMI, Rodrigo de Rato.
J.A.I. : Grâce à l’adoption récente d’une loi sur la répartition des ressources financières, les exécutifs insulaires disposent enfin des moyens d’administrer leurs territoires respectifs.
A.A. : C’est une bonne loi, car elle a permis d’apaiser les esprits. Grâce à elle, le Comorien de base peut comprendre comment le pays est géré. Chacun peut ainsi constater que les recettes ne profitent pas uniquement à la Grande Comore. Les séparatistes ont longtemps entretenu cette idée fausse. Désormais, chacun connaît les règles de répartition. Les îles vont percevoir et utiliser leurs recettes propres. Quant aux recettes partagées, elles seront affectées sur un compte spécial et réparties selon des règles acceptées par tous.
J.A.I. : Les arriérés de salaires de la fonction publique vont-ils être réglés ?
A.A. : Depuis que je suis au pouvoir, nous avons accumulé seulement deux mois d’arriérés. Ces retards s’expliquent par les surcoûts budgétaires liés à la création de nouvelles institutions. En outre, l’État a dû financer une partie du programme d’investissements publics [PIP], dans les domaines de l’éducation, de l’énergie et des télécommunications, du fait de la suspension de la coopération internationale. Mais nous mettons tout en oeuvre pour résorber ces arriérés au cours du premier semestre 2005.
J.A.I. : Quelles sont les prochaines étapes pour parvenir à une normalisation ?
A.A. : Après l’adoption de la loi de finances et de la loi sur la répartition des recettes, nous devons maintenant régler la question du partage des compétences entre les différentes institutions. L’Assemblée nationale devrait siéger en session extraordinaire pour permettre d’adopter un texte le plus rapidement possible.
J.A.I. : Le consensus qui a prévalu depuis un an va-t-il durer ?
A.A. : C’est n’est pas évident. À un moment donné, mes adversaires se sont rendu compte de l’importance de parvenir à un consensus pour sortir de la crise. Mais ce consensus risque de se dissoudre. Le président de la Grande Comore n’a pas souhaité faire partie du gouvernement d’union nationale, et le président de Mohéli m’a fait comprendre sans ambiguïté qu’il s’opposerait à moi. Je ne me fais donc pas d’illusions. J’espère simplement que le pragmatisme qui a permis de normaliser la situation des Comores va prévaloir. Même si le pouvoir exécutif ne dispose pas de la majorité parlementaire, il a la responsabilité.
J.A.I. : La Constitution impliquant une présidence tournante entre les trois îles, vous allez quitter le pouvoir en mai 2006 ?
A.A. : En tant que chef de l’État, je suis le gardien de la Constitution. J’ai pris l’engagement de la faire respecter en prêtant serment sur le Coran. Et je suis musulman pratiquant.

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