[Série] Nadège Taty : localiser les virus pour mieux les frapper (5/5)

« Ces Africaines qui bousculent la science » (5/5). Spécialiste des maladies infectieuses, la chercheuse congolaise étudie les aspects écologiques et géographiques de ces affections pour mieux organiser la riposte.

La scientifique franco-congolaise Nadège Taty. © Photomontage : Jeune Afrique

La scientifique franco-congolaise Nadège Taty. © Photomontage : Jeune Afrique

Publié le 18 décembre 2020 Lecture : 4 minutes.

« Ces Africaines qui bousculent la science » : Agnès Ntouba, Zara Randriamanakoto, Faouziath Sanoussi, Dominique Voumbo Matoumona et Nadège Taty. © Photomontage : Jeune Afrique
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Ces Africaines qui bousculent la science

La pandémie de coronavirus a souligné la nécessité de mener des programmes de recherche sur le continent. Et parce que de plus en plus de femmes africaines se lancent dans des carrières scientifiques, Jeune Afrique a voulu mettre en avant cinq d’entre elles, parmi les lauréates du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science en Afrique.

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« Tu feras une grande dame de la science », avait-on assuré à Nadège Taty, alors étudiante à la faculté de médecine de l’Université de Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). Cinq ans plus tard, les mots du responsable de l’unité de recherche sur l’écologie des maladies infectieuses de cet établissement ont pris tout leur sens. À 33 ans, la doctorante congolaise en sciences de la terre et environnementales vient d’être récompensée par le Prix L’Oréal-Unesco pour ses recherches visant à diagnostiquer les vulnérabilités territoriales et à mieux appréhender la gouvernance des maladies infectieuses telles que le choléra, Ebola ou le Covid-19.

Famille modeste

Rien ne prédestinait pourtant la scientifique à s’engager dans la voie des maladies infectieuses. Issue d’une famille modeste, Nadège Taty a dû persévérer pour poursuivre ses études, dans un pays où près de 72 % de la population vivait avec moins de 1,9 dollar par jour en 2018. « J’ai toujours été animée par le besoin d’aller au fond des choses, de résoudre des problèmes qui n’avaient pas encore été soulevés. Mais pour faire des études poussées, il fallait investir beaucoup d’argent », raconte-t-elle.

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À 20 ans, la jeune femme obtient tout de même son baccalauréat et intègre la faculté de médecine à l’Université de Kinshasa, grâce aux économies de son père et de sa sœur aînée. « Ma mère est décédée d’un cancer du col de l’utérus lors de ma cinquième année. Je voulais me spécialiser en oncologie pour pouvoir accompagner d’autres femmes », se souvient-elle.

Mais l’élève, particulièrement douée, est sollicitée pour réaliser un stage dans une unité de recherche sur le choléra, une infection intestinale aiguë due à la bactérie Vibrio cholerae, alors que des flambées épidémiques sont en cours en RDC. « Mes responsables ont insisté pour que j’intègre un Master en maladies infectieuses. Cela a boosté ma confiance en moi, mais il fallait débourser près de 5 000 dollars chaque année, ce qui était impossible pour ma famille ».

Sa ténacité paie une fois de plus : elle obtient une bourse de l’ambassade de France, offerte aux deux meilleurs élèves de la promotion du Master en écologie des maladies infectieuses de Kinshasa. En 2016, la Congolaise s’envole pour la France, à Besançon, pour poursuivre sa formation.

Contrôle des maladies infectieuses

De retour en RDC, et après avoir travaillé quelques mois au sein du ministère congolais de la Santé pour faire face aux multiples épidémies de choléra, Nadège Taty est désormais assistante de recherche à la faculté de médecine de l’Université de Kinshasa. Elle effectue sa thèse sur les aspects écologiques et géographiques des maladies infectieuses, en cotutelle avec l’Université Paul Valéry de Montpellier, en France.

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« Nous faisons face à de plus en plus de maladies infectieuses en RDC. Malheureusement, nos ressources internes sont trop limitées pour répondre aux épidémies de manière efficace », regrette-t-elle. Face à ce constat, la chercheuse propose un projet transversal et multidisciplinaire, basé notamment sur l’écologie et la géographie, pour identifier les espaces où les épidémies sont susceptibles de se développer, mais aussi pour mieux appréhender la gouvernance pour y répondre.

« L’objectif est d’abord de prioriser les zones. Par exemple, s’il y a une douzième épidémie d’Ebola [la RDC a annoncé la fin de la onzième épidémie le 18 novembre, ndlr], quels sont les espaces sur lesquels il faudra se concentrer ? Dans le même temps, il faut améliorer les techniques de mise en œuvre de la riposte. Il y a encore trop d’erreurs, que ce soit au niveau local, national ou international ».

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Manque de formation du personnel déployé, opacité des campagnes de vaccination, corruption, défiance du système de santé local… Dans un rapport publié le 17 septembre, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), rattaché à l’Université de New York, avait notamment mis en lumière les « effets pervers de la réponse » à la dixième flambée d’Ebola, qui avait coûté la vie à plus de 2 200 personnes entre août 2018 et juin 2020.

Vulgarisation de la recherche

Si la doctorante est encore en train de collecter des données, ses premiers résultats montrent qu’en ce qui concerne le choléra, les espaces à haut risque se trouvent dans l’est du pays, près des lacs. Grâce à la bourse qu’elle a obtenue, d’un montant de 10 000 euros, Nadège Taty va poursuivre ses recherches sur cette maladie intestinale, mais aussi sur le Covid-19, qui a coûté la vie à plus de 350 personnes en RDC, selon les chiffres officiels du 10 décembre.

Tout le monde m’imaginait avec un stéthoscope autour du cou, à l’hôpital

Pour la Congolaise, le Prix L’Oréal-Unesco est aussi un moyen de vulgariser ses recherches. « Beaucoup de personnes ne comprenaient pas ce que je faisais. Comme j’ai fait des études de médecine, tout le monde m’imaginait avec un stéthoscope autour du cou, à l’hôpital », ironise-t-elle, soulignant que cette enveloppe financière « tombe au bon moment ».

Dans un continent où les femmes scientifiques sont souvent victimes d’invisibilisation – 31% de femmes parmi les chercheurs -, Nadège Taty espère enfin une inversion de la tendance : « Parfois, nous n’arrivons pas à saisir les opportunités à cause du regard des autres. Les chercheuses sont perçues comme des personnes hors normes et exaltées, ce qui met fin à certains rêves scientifiques. Il faut que cela change. »

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