Émanciper le cheveu afro, le combat du « cheveutologue » congolais Nsibentum
Nsibentum, baptisé « le cheveutologue », s’attache à réhabiliter des techniques de soins ancestrales pour émanciper le cheveu afro.
Ne lui parlez pas de cheveux crépus ! Pour Nsibentum, « le cheveutologue », cette dénomination n’a purement et simplement aucun sens. « Le terme ‘crépu’ renvoie à un cheveu malade, regrette-t-il. Il traduit un cheveu dur, rêche que l’on doit dompter. Or, le cheveu afro n’est rien de cela. Il faut juste savoir en prendre soin. »
Pour ce Congolais de Brazzaville qui se définit comme panafricain, ce terme a également une connotation douloureuse : « Quand des femmes européennes se battent, on dit qu’elles se sont crêpées le chignon. » « Les Grecs évoquaient quant à eux la texture de la laine en parlant de nos cheveux. C’est dire s’il y a un souci de vocabulaire aujourd’hui. »
Depuis avril 2020, cet ancien banquier devenu consultant en entreprise, prodigue sur les réseaux sociaux, les meilleures façons de prendre soin de ces cheveux « afros ». Depuis l’avènement du mouvement « nappy » et du retour au tout naturel, il n’est certes pas le seul à s’être lancé dans une telle entreprise. Mais Nsibentum se distingue de la multitude en misant sur des coiffures et des soins ancestraux africains.
Avant la colonisation
Oubliez les gammes de soins dernier cri, les routines capillaires en mille étapes. « Le cheveutologue » prône un retour aux techniques des anciens. Une façon d’éduquer et de réconcilier tout un chacun avec sa chevelure. Cela fait dix ans que Nsibentum plonge dans la grande histoire africaine pour découvrir par quels moyens, avant la colonisation, le cheveu « afro » se passait de défrisages et de cosmétiques, dont la nature détergente ne fait que le rendre plus sec.
« Ce n’est que très récemment que j’ai décidé de partager avec les internautes le fruit de mes recherches », explique ce spécialiste qui compte déjà plus de 3 000 abonnés sur Instagram.
En avril 2020, la France est en plein confinement et les salons de coiffures sont fermés. « Les clientes de Nadeen Mateky, orfèvre de la coiffure afro rencontrée deux ans ans plus tôt, ne savaient pas vers qui se tourner pour prendre soin de leurs cheveux. Elle m’a donc proposé d’organiser un live sur Instagram afin que je prodigue des conseils. Tout est parti de là. »
Instagram et masterclass
Depuis, Nsibentum multiplie les masterclass sur le sujet. Il s’est rendu dans plusieurs villes de France mais aussi en Belgique ou en Allemagne et ne compte plus les « directs » diffusés sur Instagram ou sur la plateforme Zoom. En partenariat avec des professionnels du secteur ou des médias, comme My Afro Week.
https://www.instagram.com/p/B_GPS2Eo7zZ/
Bien avant de montrer son minois sur les réseaux sociaux, Nsibentum étudie l’histoire ancestrale africaine pendant près d’une décennie. « Quand je voyais des photos de coiffures africaines traditionnelles, j’avais du mal à comprendre pourquoi les techniques de soins actuelles nous venaient des États-Unis alors même que les véritables réponses étaient dans notre héritage africain. »
Il évoque également la rencontre avec feue Gillette Leuwat, son mentor. À la tête d’un institut éponyme, situé dans le 15ème arrondissement de Paris, elle ne travaillait qu’à partir d’aliments pour soigner le cheveu et la peau.« En me rendant à son institut, j’ai réalisé à quel point la question du cheveu va au-delà du cosmétique. Elle touche à l’identité et à la psychologie. » À l’époque, il lui propose ses services en tant que consultant business et commence à s’intéresser au soin du cheveu.
À la rencontre des anciens
Au bout de trois ans, il entreprend de voyager sur le continent africain où il va à la rencontre de ces anciens, qui, dans leurs villages, gardent les secrets de l’entretien naturel du cheveu afro. Beurres végétaux – de baobab ou de karité –, huile de palme ; véritable savon noir à base de cendres de feuilles ou d’écorces en guise de shampoing ; usage de plantes à base de saponine mais aussi les coiffures protectrices, voire « conservatrices », insiste-t-il, comme les nattes couchées ou les tresses faites au fil – qui, à l’époque, n’étaient pas seulement des coiffures de petites filles.
Grâce à ses connaissances, Nsibentum « le cheveutologue » entend émanciper le cheveu afro. « Je ne parle pas de décoloniser parce que la seule personne qui peut décoloniser est le colon lui-même et celui qui s’émancipe est celui qui a été colonisé. Le colon a imposé la façon d’entretenir nos corps, en plus de notre langue ou de notre esprit. Heureusement, nos pratiques ancestrales ont été préservées par endroits. »
Je répands la bonne nouvelle. Je veux faciliter l’accès à toutes ces connaissances
Avant les masterclass, il y a eu les amis puis le bouche-à-oreille. « Je me souviens d’une intervention au sein d’une famille ivoirienne. Une femme, qui parlait le nouchi, m’a qualifié de « cheveutologue ». Depuis, j’ai adopté ce nom. Pour moi, ça équivaut à ma démarche. C’est prendre une langue qui nous a été imposée avec violence, puis la manipuler, la malaxer pour s’en émanciper. »
Pour le moment, il ne vit pas de son activité. « J’en suis à répandre la bonne nouvelle. Je veux vraiment faciliter l’accès à toutes ces connaissances. » Mais Nsibentum est-il le seul homme à consacrer le cheveu afro sur Instagram ? « On tombe sur de courtes vidéos où certains hommes parlent des produits qu’ils utilisent… » Mais, sur le plan pédagogique, Nsibentum « le cheveutologue » ne connaît pas encore la concurrence. Raison pour laquelle, en à peine quelques mois, il a multiplié par trente son nombre d’abonnés sur Instagram.
Aujourd’hui, il reçoit des sollicitations de l’Afrique de l’Ouest, des Caraïbes, des États-Unis mais aussi de la diaspora africaine installée en Asie. Prochaine étape pour le « cheveutologue » : créer sa propre gamme de soins naturels.
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