Hannibal, fric et frasques

Six mois après avoir été interpellé sur les Champs-Élysées, l’un des fils de Kadhafi fait à nouveau scandale en brutalisant son amie dans un palace parisien.

Publié le 14 février 2005 Lecture : 6 minutes.

Il est beau, jeune, riche, aime les voitures de luxe, les belles femmes et… Paris. Le Prince charmant, en somme, si ce n’est qu’il a hérité d’une tradition familiale riche en extravagances en tout genre. Hannibal Kadhafi a défrayé la chronique parisienne pour la deuxième fois en moins de cinq mois. Selon les versions fournies par des sources françaises non officielles, dans la nuit du mardi 1er au mercredi 2 février, vers 2 heures du matin, il rentre au Grand Hôtel Intercontinental, près de la gare Saint-Lazare, où il a élu domicile, après une soirée bien arrosée. Le personnel de l’hôtel et les résidents de l’étage sont bientôt alertés par le vacarme d’une dispute. Selon plusieurs témoignages, le fils du « Guide » libyen battait la femme qui l’accompagnait, enceinte qui plus est, non sans avoir démoli des meubles dans la chambre où il s’était barricadé.
On fait appel à un membre de l’ambassade de Libye, et Hannibal quitte l’Intercontinental pour l’Hôpital américain de Neuilly, où sa compagne est soignée. Tous deux s’installent dans un autre hôtel de luxe parisien (le Royal Monceau), et se remettent à se chamailler. Hannibal, dit-on, la frappe à nouveau. Le jeune Kadhafi fait valoir, devant la police, qu’il est porteur d’un passeport diplomatique, et donc, pense-t-il, couvert par l’immunité qui lui permet de se soustraire à tout interrogatoire de la police.
Vraies ou fausses, les accusations contre Hannibal, qui reste muet, font les gros titres des journaux français, sans que les détails des faits qui lui sont reprochés soient confirmés. Le lendemain, le ministère français des Affaires étrangères annonce qu’il a fait part au gouvernement libyen de son « mécontentement » devant les « incidents répétés dont Hannibal Kadhafi est l’auteur ». Le Quai d’Orsay ajoute que son statut ne confère pas d’immunité diplomatique à Hannibal.
Il s’agit bien d’incidents « répétés », car le fils du chef de l’État libyen est un récidiviste. La première fois, en septembre 2004, il est intercepté au volant de sa Porsche, roulant à contresens et à plus de 110 km à l’heure sur l’avenue des Champs-Élysées. Il exhibe son passeport diplomatique pour refuser l’alcootest que lui tendent les policiers, tandis que ses gardes de corps en viennent aux mains avec les gardiens de la paix, dont l’un est blessé. L’incident se terminera par l’arrestation de l’un de ses gardes de corps, qui écope d’un mois de prison avec sursis et d’une forte amende.
Si, à l’époque, Mouammar Kadhafi s’est contenté de faire des remontrances à son fils, cette fois-ci, c’en est trop. Car l’incident se situe à la veille de la visite à Tripoli de Michèle Alliot-Marie, la ministre française de la Défense. La diplomatie libyenne est donc chargée de présenter des excuses aux autorités françaises pour le comportement de Hannibal.
À bien des égards, Hannibal a hérité du caractère de son père : c’est un personnage imprévisible, à qui les pétrodollars donnent la possibilité de faire n’importe quoi. À cette différence près que Mouammar ne boit pas d’alcool et n’a pas eu l’occasion de voyager en Europe (à part un court stage militaire en Angleterre), on pourrait dire tel père, tel fils.
Mais qui est vraiment ce grand et beau jeune homme ? Hannibal est officier de marine. On a dit à Paris que son nom est Mootassem Bilal et qu’il se fait appeler Hannibal. En réalité, Hannibal est son vrai nom, et, que cela soit de son fait ou non, on l’a confondu avec son frère Mootassem Billah (et non Bilal) Kadhafi. En plus de son demi-frère Mohamed né d’un premier mariage du « Guide », Hannibal a une soeur, Aïcha, et cinq frères : Seif al-Islam, Saadi, Mootassem, Seif al-Arab et Khamis.
Hannibal est âgé de 25 ans et non de 28, comme cela a été rapporté. Il n’est pas marié, et la femme enceinte de sept mois sur laquelle il se serait acharné à Paris, Aline Skaf, un nom à consonance libanaise, est selon toute vraisemblance une « amie ». Si l’on en croit un site Internet, elle est modèle. Les photos montrent une jeune femme brune, plantureuse et un tantinet provocante. Un prince d’un pays pétrolier vendrait tous ses puits de pétrole pour bénéficier de sa compagnie…
« Il travaille pour une compagnie maritime nationale et passe beaucoup de temps en mer », dit de lui son frère Seif al-Islam Kadhafi. Ayant passé son adolescence dans une Libye à l’idéologie ultrapuritaine, Hannibal s’est rattrapé une fois qu’il a pris le large. Comme tous les marins, il fait la fête à chaque port. Il effectue régulièrement une « virée » dans une capitale européenne, avec une préférence marquée pour Paris, censée être la ville de tous les plaisirs. Grand fêtard, les poches pleines de pétrodollars, il se croit tout permis grâce à son passeport diplomatique. À Rome, en 2001, il a vidé le contenu de deux extincteurs sur des policiers qui voulaient l’interpeller alors que ses gardes de corps en venaient aux poings avec des paparazzi.
Quand il s’agit du fils d’un personnage aussi controversé – en Occident comme ailleurs – que Mouammar Kadhafi, de telles incartades ne passent pas inaperçues. Pour les Libyens ne faisant pas partie du sérail, ces incidents sont révélateurs du comportement arrogant des enfants de Kadhafi – ou du moins de certains d’entre eux – et des moyens financiers illimités dont ils disposent. « Ils se comportent comme les princes d’une royauté qui n’ont de comptes à rendre à personne et disposent d’énormes moyens financiers alors que nous sommes supposés vivre dans un régime socialiste populaire », commente un intellectuel libyen.
L’appréciation n’est pas dénuée de fondement. Au moment même où Hannibal faisait des siennes à Paris, l’un de ses frères, Saadi, emmenait l’équipe nationale de football en Australie pour des matchs d’entraînement en vue de la Coupe d’Afrique. « Pourquoi aller si loin et à si grands frais », dit-on à Tripoli. Saadi a lui aussi défrayé la chronique sportive l’an dernier lorsqu’il a été suspendu pendant trois mois pour dopage par le club de football italien de deuxième division dans lequel il évolue.
Mootassem, que les journaux français ont confondu avec Hannibal, est lui aussi un grand fêtard. À la fin de 2004, il a célébré son trentième anniversaire avec faste, pendant trois jours et trois nuits, dans des palaces de Marrakech, avec des invités et invitées arrivés à bord d’avions particuliers ou en première classe sur des vols réguliers.
Sa soeur, une avocate qui a terminé des études de droit à Paris et que l’on appelle officiellement « Docteur Aïcha » – sa chevelure teinte en blond lui valant d’être surnommée la Claudia Schiffer de la Libye -, a défrayé elle aussi la chronique à plusieurs reprises. Entourée de ses gardes de corps, elle a un jour harangué la foule au Hyde Park de Londres en plaidant la cause des catholiques irlandais. Elle fait partie actuellement de l’équipe de défense de Saddam Hussein, au cas où il comparaîtrait devant un tribunal. Il est vrai qu’elle semble s’être assagie : elle est récemment apparue dans des dispensaires de Tripoli la tête recouverte d’un voile en train de soutenir une campagne nationale de vaccination.
Les moins turbulents des « princes » Kadhafi sont Mohamed et Seif. Ils sont trop occupés ailleurs. Mohamed est en train de construire un empire de télécommunications dans un enchevêtrement d’intérêts publics et privés inextricable. Seif, dont on dit que c’est un probable successeur au « Guide », est dans la haute politique. Il ne boit pas d’alcool, mais il a des hobbies qu’il paye très cher. Pour les fêtes de fin d’année 2004, il a déplacé par avion gros-porteur véhicules tout terrain, équipement de camping et amis pour aller chasser en Érythrée en compagnie du président Issayas Afewerki.

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