Demain, la télé mobile

Après la Corée et le Japon, c’est en Europe qu’a débarqué la troisième génération des téléphones portables. Internet à haut débit en prime.

Publié le 14 février 2005 Lecture : 6 minutes.

Séoul, 7 h 30 du matin. Bae Moo-hyun, un jeune employé de banque de 25 ans, vient de prendre le train qui le mènera de sa lointaine banlieue à son bureau du centre d’affaires. Afin de se distraire, il a emporté son téléphone portable… pour regarder la télévision. Sur son appareil Samsung dernier cri doté d’un écran de télévision coulissant de 5,3 centimètres de diagonale, et grâce à son abonnement au premier opérateur du pays, SK Telecom, il peut en effet capter trois chaînes – en attendant un bouquet de quatorze chaînes par satellite, disponible au mois de mai prochain. Les résultats du championnat de football enchantent Moo-hyun : son équipe préférée, celle de Pusan, a écrasé l’équipe adverse. Vite, il se connecte sur Internet avec son mobile, télécharge la vidéo des trois buts marqués par son équipe et l’adresse à son meilleur ami, originaire de Pusan comme lui.
Tout cela est possible avec un téléphone « cellulaire » en Corée. Dès 2002, ce pays asiatique fut le premier à lancer des services de téléphonie mobile de troisième génération (3G), transformant cet appareil en véritable outil multimédia de poche. Cette troisième génération (ou UMTS) se caractérise par une vitesse de transmission des données accrue, autorisant le transfert d’images et de fichiers « lourds ». Les débits théoriques de la 3G sont 200 fois supérieurs à ceux du GSM : 2 mégabits par seconde, contre seulement 9,6 kilobits par seconde.
En Corée, avec le soutien financier des pouvoirs publics, la téléphonie mobile est devenue un véritable phénomène de société. On peut voir, dans les rues comme dans le métro de Séoul, de nombreux passants affairés à télécharger sur leurs téléphones mobiles des vidéos, des clips musicaux, des bandes-annonces de films, des séries de fiction ou les résultats des sports les plus populaires. En juillet 2004, sur plus de 36 millions d’abonnés au mobile (75 % de la population), le quart d’entre eux, soit 9 millions, recevaient déjà des services 3G. Dans le monde, ils étaient au nombre de 17,5 millions, essentiellement en Asie. Les deux principaux constructeurs coréens, Samsung et LG, rivalisent pour fournir des appareils mobiles sophistiqués, mettant à profit toutes les possibilités du haut débit mobile.
Les jeunes Coréens sont en première ligne dans l’utilisation de ces services. Soumis à un système scolaire très rigoureux, ils manquent d’espaces récréatifs dans les villes, où se concentrent la plupart des habitants. L’agglomération du grand Séoul rassemble à elle seule près de la moitié de la population. En recherche d’évasion, les jeunes Coréens sont donc très demandeurs de loisirs liés aux nouvelles technologies. Ils ont fait le succès du service «MelOn », proposé par SK Telecom, permettant de télécharger des morceaux de musique à choisir dans un catalogue de plus de 500 000 titres.
Les jeunes Coréens ont également plébiscité le téléchargement de sonneries (les sonneries polyphoniques, capables de reproduire 64 sons différents joués ensemble) ou encore la personnalisation de la tonalité d’attente. Des services très lucratifs pour les opérateurs. Outre la télévision sur mobile, les jeux en ligne à plusieurs ont stimulé l’essor de la 3G et le renouvellement des terminaux. Depuis plusieurs mois, même les modèles d’entrée de gamme sont capables de lire des fichiers de musique au format MP3 et sont équipés d’écrans en couleur. Plus d’un terminal sur deux vendus en Corée est en outre équipé d’un appareil photo. Jeunes et moins jeunes sont ravis de prendre la pose devant leur mobile et d’envoyer immédiatement les clichés à leurs amis ou à leur famille.
L’Europe est restée un pas en arrière par rapport à la Corée. Depuis fin 2003 existent néanmoins des appareils dotés d’une technologie intermédiaire, dite 2,5G (ou GPRS), en fait un GSM dopé. Le GPRS est déjà opérationnel en Afrique du Sud, en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Si les débits sont dix fois inférieurs à ceux de la 3G, ils permettent toutefois le transfert de fichiers photos et de vidéos courtes, ainsi que l’accès par Internet à des services comme la météo, le résumé de l’actualité ou les résultats sportifs. Rien qu’en France, on dénombre déjà plus de 10 millions d’utilisateurs de mobiles multimédias, soit près du quart des détenteurs de téléphones mobiles. La 3G grand public a été lancée en Europe à la fin de 2004. Le géant britannique Vodafone a dévoilé son offre en novembre dans douze pays d’Europe, suivi de près par l’opérateur français Orange en décembre. En France, Orange Télécom a connu un bon démarrage avec 18 000 abonnements de téléphonie mobile 3G en moins d’un mois. Le lancement est prometteur, compte tenu du prix assez élevé des nouveaux combinés, de l’ordre de 200 euros. Orange mise fortement sur le développement de l’image, en premier lieu de la visiophonie. Avec la 3G, il est en effet possible de se filmer avec son portable tout en parlant avec son correspondant. Les derniers modèles d’appareils rendent cette opération aisée.
Ainsi, le Sony-Ericsson V800 est équipé d’une double caméra rotative, l’une permettant de filmer l’environnement avec une rotation de 360 degrés, l’autre étant centrée sur l’abonné. L’appareil est doté d’un zoom et d’un flash, la caméra offrant une résolution de 1 mégapixel (contre 0,3 mégapixel dans les modèles antérieurs), toutefois encore inférieure aux appareils photo numériques les plus courants. Il coûte tout de même 450 euros. De son côté, Samsung a mis au point un mobile offrant 5 mégapixels, soit la résolution des appareils numériques de moyenne gamme. La visiophonie est possible de mobile à mobile, si les deux interlocuteurs sont équipés de terminaux 3G, ou encore d’un téléphone mobile vers un ordinateur personnel.
Chez SFR, l’opérateur français filiale de Vodafone et de Vivendi, on confirme l’essor de ce nouveau type de produit ainsi que le bon démarrage de l’envoi de vidéos par MMS (l’utilisateur capturant une vidéo courte avec son mobile et l’envoyant à son correspondant). Mais l’opérateur parie aussi sur le développement de la musique sur le téléphone mobile. Son offre 3G comprend des chaînes musicales ciblées, des concerts filmés en direct et en simultané, des sonneries créées par des compositeurs réputés… Dans ce domaine, les opérateurs comme SFR espèrent secrètement profiter de la crise des ventes du disque compact. Ils comptent aussi remplacer les baladeurs numériques, une fois que les téléphones portables de la nouvelle génération auront augmenté leurs capacités de stockage.
Ce plan est déjà engagé – en Corée, on l’aura deviné. Samsung propose déjà un téléphone mobile doté d’un disque dur d’une capacité de 1,5 gigaoctet, encore un peu léger pour les services multimédias si gourmands en mémoire. Mais c’est un précurseur, et les futures générations de téléphone deviendront des terminaux multifonctionnels, s’apparentant à des ordinateurs personnels de poche. « D’énormes potentialités existent, puisque les trois seules choses que les gens ont constamment sur eux sont leur portefeuille, leurs clefs et leur téléphone portable », estime Guy Lawrence, un des responsables britanniques de Vodafone.
Certes, mais des difficultés sont prévisibles. Une bataille de standards 3G se prépare, entre celui développé par l’Europe et le Japon (WCDMA/UMTS) et la technologie propre aux Américains et aux Coréens (CDMA 1xEV-DO), avec tous les problèmes de compatibilité induits. Le débit réel et les difficultés de réception pourront rappeler le lancement du GSM. Enfin, ce changement technologique est coûteux pour les opérateurs, donc pour les consommateurs. Outre la facturation d’abonnements et le paiement des services, il faut envisager l’achat d’un nouveau téléphone mobile avec une autre carte SIM. Cette difficulté est cruciale pour le continent africain, où l’essor du « cellulaire » doit beaucoup au système de cartes prépayées et à une utilisation économe. Si la troisième génération de mobiles arrivera bien, elle risque aussi de rester cantonnée à une clientèle aisée.

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