Vieux dictateur cherche nouveau souffle

Fidel Castro libère des prisonniers politiques au compte-gouttes. Enjeu : obtenir la levée des sanctions infligées en 2003 par l’Union européenne.

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

La libération, le 30 novembre, du poète et journaliste indépendant Raul Rivero, l’une des figures les plus illustres de la dissidence pacifiste cubaine, et de quatre autres détenus, signifie-t-elle que le régime castriste est enfin disposé à respecter les droits de l’homme ? Rien n’est moins sûr. Cela fait quarante-cinq ans que Fidel Castro prive ses concitoyens de libertés, qu’il emprisonne ou relâche ses opposants au gré de ses intérêts. Pourquoi changerait-il de stratégie à 78 ans ?
Reste que ce geste symbolique, suivi, le 6 décembre, par la libération du journaliste Jorge Olivera Castillo, a relancé le débat entre les partisans de la manière forte à l’égard de Cuba, et ceux qui militent pour une relance du dialogue avec La Havane. Au premier rang desquels le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos.
Dès le mois d’octobre, ce dernier avait annoncé qu’il travaillait à la levée des sanctions infligées à Cuba par l’Union européenne (UE). Ses efforts pourraient aboutir bientôt : la Commission européenne devait en effet se prononcer sur ce sujet le 14 décembre.
Ces mesures de rétorsion, que Moratinos juge inefficaces, avaient été prises en réaction à la vague de répression qui s’est abattue sur les milieux de la dissidence en mars 2003. Soixante-quinze personnes (journalistes, intellectuels, militants des droits de l’homme…) avaient été arrêtées et aussitôt condamnées à de très lourdes peines de prison. L’exécution sommaire de trois jeunes Cubains qui avaient tenté de gagner les côtes de la Floride en détournant un ferry avait également indigné les Européens.
Depuis, les relations sont réduites à leur plus simple expression : les visites gouvernementales de haut niveau sont limitées, tout comme la participation des pays de l’UE aux événements culturels cubains. Pendant que les dissidents anticastristes sont reçus à bras ouverts dans les ambassades européennes lors des cérémonies officielles… Le gouvernement cubain est également sanctionné en matière de coopération. Il ne peut recevoir des fonds que « si un bénéfice direct » est garanti à la population ou s’il s’engage à les utiliser pour la mise en oeuvre de « l’ouverture et des réformes économiques ».
Cuba avait pris les devants dès le 19 mai, en se retirant in fine des négociations préalables à la signature des accords de Cotonou, qui lui auraient permis de bénéficier d’une coopération préférentielle avec l’UE à l’instar des pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). Mais Castro n’a voulu faire aucune concession en matière de droits de l’homme. Il a préféré accuser l’UE de « s’aligner de manière éhontée sur les États-Unis », prouvant une nouvelle fois que la crispation dogmatique de son régime l’emporte sur toute autre considération, fût-ce celle d’améliorer les conditions de vie de ses concitoyens.
Dans ce contexte, il ne fait guère de doute que c’est à la seule diplomatie espagnole, définie par le Premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero, que le Líder Maximo doit de renouer le contact avec le monde extérieur. Et d’entrevoir une possible levée des sanctions. C’est sans doute dans cette perspective que Castro a fait libérer, au cours des derniers mois, officiellement pour raison de santé, une dizaine d’opposants incarcérés en 2003. Les plus optimistes espèrent que d’autres remises en liberté suivront dans les prochaines semaines.
Il est vrai que depuis l’effondrement du bloc soviétique et, plus récemment, depuis que George W. Bush a renforcé l’embargo américain contre Cuba, le rétablissement des relations avec l’UE est devenu une question de survie pour le régime castriste. Plus isolé qu’il ne l’a jamais été au cours de son long règne, Fidel Castro ne compte plus d’alliés, à l’exception du président vénézuélien Hugo Chávez, en Amérique latine, un continent qui fut pourtant, jadis, sa première zone d’influence.
Résultat de cet isolement, conjugué à quatre décennies de gestion bureaucratique de l’économie : le pays est asphyxié par un manque cruel de devises, par la très faible productivité de ses entreprises et par une grave crise énergétique. Et ce n’est pas en obligeant les Cubains, déjà englués dans les difficultés de la vie quotidienne, à échanger leurs dollars contre des pesos convertibles, comme Castro l’a subitement ordonné le 26 octobre dernier, que la situation va s’améliorer. Cette mesure peut certes permettre à la Banque centrale de récupérer plusieurs centaines de millions de dollars en prélevant 10 % de commission à chaque opération ; mais elle va donner un sérieux coup de frein aux remesas, ces sommes expédiées à leur famille par les Cubains exilés en Floride, dont le montant annuel est évalué à 1 milliard de dollars.
Dans de telles circonstances, et dans l’hypothèse d’une reprise de la coopération européenne avec Cuba, George Bush pourrait être tenté de fustiger une fois encore cette « vieille Europe », décidément incapable de fermeté à l’égard des « ennemis de la liberté ».
Ce à quoi les partisans d’une relance du dialogue avec La Havane pourraient objecter que la politique américaine a largement démontré son inefficacité, voire sa contre-productivité, en quarante-trois ans d’un embargo commercial que l’Assemblée générale de l’ONU a condamné douze fois depuis 1991, et que Bush vient encore de renforcer. Pour la majorité des Cubains, une chose est sûre : tant que Fidel Castro sera à la tête du pays, aucune réforme ne sera possible. Et comme le vieux dictateur est résolu à mourir au pouvoir…
Quant à l’opposant Raul Rivero, il a tenu à exprimer, une fois rentré chez lui, sa « gratitude éternelle au gouvernement espagnol ». Non sans avoir rappelé qu’il sait, « par expérience, que la pression n’a jamais eu d’effet sur les autorités cubaines ».

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