Une odyssée africaine

Un ancien militaire togolais qui a fui son pays cherche, depuis plus de dix ans, une improbable terre d’asile.

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Innocent Kodjovi Kossi Abalo, 31 ans, est expert en géographie pratique. Une boutade pour illustrer la situation de ce Togolais, actuellement en transit à Berlin, en Allemagne, dans l’attente d’un éventuel visa d’entrée au Canada. Depuis dix ans, il parcourt le monde non par choix, mais parce que, mine de rien, trouver une terre d’accueil, un travail correct et une vie tranquille est moins facile qu’il n’y paraît.
Discret sur sa véritable famille, Kossi dit avoir été élevé par un militaire et son épouse, qui l’ont poussé à entrer dans l’armée dès qu’il a eu ses 17 ans. Au début des années 1990, le pays est secoué de soubresauts politiques. D’ethnie ewée, Kossi fait savoir à sa hiérarchie qu’il refusera, quoi qu’il advienne, de tirer sur ses « frères ». Emprisonné pour insubordination, il montre avec un mélange de fierté et d’amertume de longues cicatrices sur ses jambes, indélébiles souvenirs des coups reçus pendant sa détention. Mais la chance lui sourit. Très vite, il parvient à s’évader. Il fuit jusqu’au Bénin voisin, où il se réfugie dans un des camps que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a mis en place. C’est le point de départ d’une extraordinaire odyssée, dont Homère lui-même n’aurait pas rougi.
Tout d’abord Kossi s’embarque – clandestinement ? – sur un avion-cargo pour l’Angola. Mais le pays est en pleine guerre civile, il est bien difficile de s’y installer. Au mépris des risques, il descend plein sud et pénètre en Namibie. Premier arrêt, à nouveau dans un camp de réfugiés, pendant cinq ans – le temps de voir s’envoler l’espoir d’obtenir un visa pour le Canada et de devenir papa. Début 2000, il reprend la route, direction l’Afrique du Sud. Il n’a pas de papiers en règle, mais le patron du dancing de Johannesburg qui l’engage comme vigile n’est pas trop regardant. Il faut dire que le boulot n’est pas facile, les rixes sont fréquentes et les morts par balles aussi. Pour un garçon qui n’aspire qu’au calme, c’est raté.
Kossi déprime. Il en perd son sens du discernement et 400 dollars par la même occasion. Le prix d’un prétendu billet sur un bateau en partance pour l’Argentine. Le navire appareille, mais, à 10 milles des côtes, les quelques passagers clandestins sont découverts, immédiatement débarqués sur un caboteur et ramenés au port.
Dans la petite communauté souterraine des réfugiés circule une rumeur : on peut arriver en Europe en passant par Israël. Kossi Abalo étudie la carte et décide de tenter sa chance. Il est à l’extrémité australe du continent, des milliers de kilomètres le séparent de son objectif, mais rien ne lui fait peur. Il reprend le chemin de la Namibie, traverse à nouveau l’Angola, évite la presqu’île de Cabinda en faisant un saut par la République démocratique du Congo pour rallier le Congo-Brazzaville. De là, il va au Cameroun, puis traverse le Nigeria jusqu’au nord et atteint le Niger. Il pénètre en Algérie par le désert du Sahara et, par la Libye, arrive jusqu’en Égypte. Et là, ô surprise ! la rumeur se révèle fausse. Interdiction de pénétrer au Sinaï et encore moins de passer la frontière commune avec Israël. Heureusement, il rencontre une jeune femme qui va lui mettre un peu de baume au coeur et lui donner un deuxième enfant.
On peut, à ce stade, s’interroger sur les moyens financiers dont a pu disposer le jeune homme pour réaliser cet étonnant périple. « C’est l’Église catholique apostolique et romaine qui m’a aidé », déclare-t-il tout de go au journaliste du New York Times qui l’interroge. En particulier l’association internationale Caritas et les prêtres qui l’ont pris en amitié. D’ailleurs, c’est l’un d’entre eux qui lui apprend, durant son séjour en Égypte, qu’il est infecté par le virus du sida. Et de lui donner 500 dollars pour aller se faire soigner dans un hôpital… en Ouganda !
Kossi Abalo, qui n’est plus à un voyage près, part pour Kampala. De là, il cherche à gagner le Rwanda, point de départ éventuel pour la Belgique, mais il n’a toujours pas de passeport. Arrêté par la police des frontières rwandaise, il est emmené à Kigali et jeté en prison. Au bout d’un mois, grâce encore aux missionnaires catholiques, il entre en contact avec son bienfaiteur égyptien qui lui fait parvenir un billet d’avion pour le Ghana. Kossi se retrouve ainsi à quelques kilomètres de son point de départ. La proximité du danger – dans son pays il risque, au mieux, la prison – lui donne des ailes. Il parvient rapidement à quitter le pays, destination l’Algérie où il trouve un travail de journalier, pendant quelques mois, dans une oasis de Tamanrasset. Puis il passe en Tunisie, où des trafiquants lui vendent 800 dollars une place dans un canot pneumatique censé le débarquer en Italie.
Après une traversée éprouvante, Kossi met pied à terre sur une plage sicilienne inconnue. Suit un long voyage en train. Le jeune homme arrive enfin à la frontière suisse et, là, se fait arrêter par la police. Sans-papier. Les policiers le remettent, illico presto, dans un train qui part vers Milan. C’est mal connaître l’insaisissable globe-trotter. Dès que leur surveillance se relâche, Kossi Abalo se glisse hors du compartiment, repère un train qui va à Francfort et se cache dans un fourgon. Il finira, enfin, par atteindre Berlin. Depuis huit mois, sa demande d’asile est à l’étude, et l’espoir s’amenuise chaque jour. Alors Kossi regarde la carte. Tiens… en passant par la Norvège et le Groenland, ne peut-on pas atteindre le Canada ?

* Du New York Times.

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