Sous l’il du psychiatre

The Corporation, Mark Achbar et Jennifer Abbott (sortie à Paris le 29 décembre)

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 2 minutes.

Imaginez une personne dépourvue de conscience morale, qui fait tout ce qui est dans son intérêt propre sans jamais se préoccuper des conséquences pour autrui ni éprouver la moindre culpabilité. Comment la qualifieriez-vous d’un point de vue nosographique ? Grâce à l’outil standard qu’utilisent les psychologues et les psychiatres sur toute la planète, le DSM IV, vous obtiendrez la réponse : l’individu manifestant un tel comportement est ce qu’on appelle un psychopathe.
Mark Achbar et Jennifer Abbott, deux documentaristes nord-américains, se sont livrés à cet exercice en faisant le portrait d’une personne bien particulière : l’entreprise. Celle-ci, démontrent-ils, qu’on définit pourtant curieusement comme une personne morale, répond parfaitement à la définition du psychopathe si l’on observe son comportement. Et cela presque à son corps défendant. La loi elle-même ne l’oblige-t-elle pas de facto à placer l’intérêt de ses actionnaires, donc la recherche sans limites du profit, devant tous les autres, y compris l’intérêt général.
Avec un tel sujet, on pourrait s’attendre à voir un film didactique et militant, donc plutôt ennuyeux. Ce n’est pas le cas. Car les auteurs ont réussi à mettre au premier plan beaucoup de bonnes questions sans jamais donner l’impression de fournir des réponses préétablies. Le choix des interlocuteurs, qui ont des opinions très variées, tout comme la méthode retenue pour les interviewer – ils parlent face caméra, les yeux dans les yeux, grâce à un procédé technique astucieux – obligent le spectateur à se sentir concerné par les propos tenus sur les moeurs des entreprises. Et la variété des thèmes abordés et des lieux de tournage ainsi que le montage très dynamique des nombreuses séquences relancent sans arrêt l’intérêt.
Reste qu’on a du mal à partager le relatif optimisme des auteurs quant à la possible amélioration de la conduite de l’institution qu’ils examinent. Que rétorquer, quelles que soient ses préférences idéologiques, au Prix Nobel d’économie Milton Friedman quand il fait remarquer que « demander à une entreprise d’être socialement responsable n’a pas plus de sens que de demander à un immeuble de l’être » ? En d’autres termes, ne vaudrait-il pas mieux s’employer à modifier les lois qui régissent l’activité des entreprises et définissent leur statut plutôt que d’espérer influencer leur comportement ? Un psychopathe, c’est avant tout une personne qui entend ignorer la loi.

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