Se regrouper ou disparaître

Si les dirigeants des compagnies africaines condamnent de concert la mainmise des Européens sur l’espace aérien du continent, ils peinent à s’entendre pour lui faire échec.

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

« Il faut craindre que la plupart des compagnies africaines ne résistent pas longtemps à la tempête et à la loi de la jungle qui prévalent avec la libéralisation mondiale du transport aérien. Aujourd’hui, dans les faits, Air France se révèle l’unique pont qui relie de façon sûre et régulière bon nombre de pays africains francophones au reste du monde… »
Ces propos, délibérément alarmants et provocateurs, du secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), Christian Folly-Kossi, lors de la 36e assemblée générale de l’organisation, les 6 et 7 décembre à Dakar, ne font que traduire une incontestable réalité économique : 70 % du trafic aérien africain est dorénavant assuré par les majors occidentales. Air France et KLM, British Airways, Iberia, Swiss, Lufthansa et BN Brussels ont transporté plus de 72 millions de personnes en 2003, se taillant la part du lion en termes de clientèle dite à « haute valeur ajoutée », comme les touristes et les hommes d’affaires. Les pavillons africains n’ont, pour leur part, fait voyager que 33 millions de clients.
South African Airways (SAA), la première compagnie continentale avec 6 millions de passagers, traverse une période difficile pour avoir misé sur une revalorisation du dollar par rapport aux autres monnaies occidentales. La plupart des autres pavillons nationaux sont également en proie à de grandes difficultés financières et ont réduit considérablement leur voilure. Nigeria Airways, Ghana Airways, Air Gabon, Cameroon Airlines accusent de très lourds déficits. La flambée du baril de pétrole, qui a flirté en novembre avec la barre des 55 dollars, grève considérablement le budget de toutes les compagnies.
Dans les discours, les dirigeants des avionneurs africains condamnent de concert la mainmise des Européens sur l’espace aérien du continent. Mais peu parviennent, dans la pratique, à s’organiser et à se structurer pour répondre aux défis de la mondialisation. Pourtant, les seules compagnies africaines qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui ont su unir leurs forces pour défendre leurs intérêts face aux majors, ou celles qui s’y sont adossées. Kenya Airways a ainsi retrouvé des couleurs depuis son mariage réussi avec la néerlandaise KLM et sa prise de participation dans la petite compagnie tanzanienne Precision Air. Tanzania Airways se porte mieux depuis l’entrée de la SAA dans son capital. Ces partenariats permettent de rationaliser les fréquences et de remplir les avions. Parmi les compagnies nationales qui font « cavalier seul », Ethiopian Airlines est la seule qui prospère. Créée en 1946 avec l’appui de l’américaine TWA, elle a acquis un professionnalisme, une qualité de service et de sécurité qui sont aujourd’hui reconnus. En laissant peu de liaisons aux compagnies étrangères, l’Éthiopie a su préserver l’activité de sa compagnie nationale.
Mais ce modèle n’est certainement pas viable à moyen et long terme alors que les États-Unis et l’Europe poussent chaque jour les pays du Sud à libéraliser davantage leur espace aérien. L’unique voie à suivre semble donc être celle de l’intégration régionale pour résister aux mastodontes occidentaux. C’est le choix qu’a fait Royal Air Maroc (RAM), qui fait figure de modèle en Afrique. L’activité de la RAM a progressé de 21,5 % en 2003. Sa filiale, Air Sénégal International, affiche des résultats insolents, avec une hausse de 108 % de son chiffre d’affaires. Tout récemment, la RAM a lancé Atlas-Blue, une compagnie de transport à bas prix qui réalise 70 % de son activité en affrétant des charters pour les tour-opérateurs français Étapes nouvelles et Fram. Le solde consiste en des vols réguliers low-cost entre le Maroc et plusieurs grandes villes européennes (Milan, Bruxelles, Londres, Amsterdam).
Plusieurs États d’Afrique centrale ont invité la RAM à apporter son expertise technique et à investir pour relancer le processus de création d’Air Cemac, une compagnie à vocation régionale (voir « Coulisses » pp. 90-91). Ce qui semble déranger les dirigeants d’Air Gabon et de Camair qui ne souhaitent pas abandonner une partie de leur souveraineté au nom de l’intérêt commun. « Air Cemac a été montée par des fonctionnaires sans prendre en compte les exigences de nos compagnies », explique, maladroitement, le directeur général de Camair, Dakayi Kamga Thomas.
Outre la RAM, le groupe IPS (Industrial Promotion Service) de l’Aga Khan prend progressivement pied en Afrique de l’Ouest à travers un plan de développement structuré. Après avoir relancé Air Burkina en 2001, le groupe doit prochainement redonner vie à Air Mali et nourrit l’ambition de lancer d’autres compagnies locales au Tchad et au Niger. Une stratégie qui repose sur la mise en place de liaisons au niveau régional et avec l’Europe.
L’Afraa s’appuie sur la réussite de la RAM pour promouvoir la création d’autres compagnies aériennes régionales privées à capitaux multinationaux. L’association souhaite également proposer des services commerciaux à ses membres, sur le modèle de ce qui est mis en oeuvre par son homologue du Moyen-Orient l’Arab Air Carriers Organization (Aaco). En partageant certaines activités, les transporteurs du continent pourraient réaliser des économies d’échelle. « Nos compagnies économisent environ 150 millions de dollars par an grâce à des achats groupés de carburant, une gestion collective des services dans les aéroports et du système de réservation des billets, et la mise en place d’une cellule d’intelligence économique », explique Abdul Wahab Teffaha, secrétaire général de l’Aaco.
Folly-Kossi, qui vient d’être réélu comme secrétaire général de l’Afraa, n’aura pas trop d’un second mandat de cinq ans pour emboîter le pas à l’Aaco tant les mentalités de nombreux dirigeants de compagnies nationales, qui ne veulent pas abandonner leurs prérogatives, et de plusieurs chefs d’État, dont l’orgueil les amène à maintenir contre toute logique économique un pavillon national, entravent le développement de l’industrie aérienne africaine.

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