Saïd Mohamed Seghir

A l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou, tout le monde connaît Saïd Mohamed Seghir. Son nom figure même dans l’Alternative Book of Records. Pourtant, avec ses cheveux bruns, ses yeux sombres et sa frêle silhouette, rien ne distingue au premier abord cet étudiant de deuxième année. Rien, sauf un talent hors du commun pour le calcul mental. Confronté à une banale opération à huit chiffres, l’étudiant lambda dégaine sa calculatrice. Lui se contente de faire fonctionner ses neurones. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le résultat est là, noir sur blanc. Inutile de vérifier, il est forcément juste : Saïd est une véritable machine humaine.

« J’aime les maths en général et le calcul mental en particulier, explique le jeune prodige. Depuis mon enfance, j’ai toujours été attiré par les nombres. En primaire, je connaissais toutes les tables de multiplication jusqu’à 25. Je m’amusais même à trouver des méthodes pour arriver plus rapidement au résultat. » Tel Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Saïd Mohamed Seghir utilise la méthode de Fourier pour ses jeux de chiffres. Ses enseignants n’en reviennent pas. « Un jour, raconte Saïd, des amis m’ont poussé à faire une démonstration en classe. À mesure que le professeur posait les opérations au tableau, j’écrivais directement le résultat. Pendant ce temps, mes camarades n’avaient pas encore fini de taper à la calculatrice… »

Devenu la coqueluche de l’école de Maatkas, à 25 km de Tizi-Ouzou, l’adolescent réussit son bac sans coup férir, puis s’inscrit à l’université dans la filière sciences exactes, spécialité mathématiques. C’est alors qu’il entend parler pour la première fois d’un record du monde de calcul mental, détenu par un Allemand capable de multiplier deux nombres de huit chiffres en 50 secondes 9 centièmes. Saïd décide de tenter de le battre. Au mois de janvier dernier, un jury composé de deux professeurs de mathématiques et d’un représentant de la wilaya (département) est réuni à l’université de Tizi-Ouzou. Devant toute la presse locale, le jeune homme se voit soumettre deux nombres choisis de manière aléatoire par un programme informatique. Dès qu’il en prend connaissance, le chrono est déclenché. Sous la pression de l’enjeu, Saïd échoue à sa première tentative, puis aux deux suivantes. La quatrième sera la bonne. 63 440 342 x 99 362 376 ? En moins de 45 secondes, il trouve la solution, soit 6 303 583 115 372 592. Il est le nouveau recordman mondial de la discipline.
Au mois d’octobre, Saïd est sélectionné pour les championnats du monde d’Annaberg-Buchholz, en Allemagne. Lui qui n’a jamais quitté son pays ! C’est la direction de la jeunesse et des sports de la wilaya qui prend en charge son déplacement. Le jeune homme est confronté à seize autres candidats venus des États-Unis, d’Espagne, de France, d’Angleterre et d’ailleurs. Au programme : des additions, des multiplications à huit chiffres, des extractions de racine carrée, des problèmes surprises et même des calculs de calendrier, du genre : trouvez le jour de la semaine à partir d’une date de naissance comprise entre 1600 et 2100… Essayez, et vous verrez ! À la fin de la journée, Saïd avoue avoir eu quelques légers maux de tête. Mais il se classe deuxième dans les catégories addition et multiplication à huit chiffres. Un exploit pour une première participation…

De retour dans son village de Berkouka, il est accueilli comme une star. S’il a beaucoup apprécié son séjour en Allemagne – « malgré le froid » -, le jeune homme jure qu’il aurait pu faire beaucoup mieux. Premier voyage, premiers championnats… Il s’est tout bonnement laissé impressionner. « Je n’étais pas assez concentré, regrette-t-il. Mais j’espère améliorer mes performances la prochaine fois. »
Malgré les honneurs et les félicitations, Saïd est resté le même garçon timide, presque effacé. Les yeux brillants, il se rappelle chaque instant de son périple. Son rêve ? « Étudier dans un pays francophone. » En attendant son prochain voyage, il cherche des correspondants dans le monde entier : « juste pour communiquer et échanger ». À bon entendeur…