[Tribune] Pour des élections transparentes et apaisées en Afrique de l’Ouest
Alors que des dirigeants, en Afrique de l’Ouest, font tout pour se maintenir au pouvoir, force est de constater que la Cedeao ne pèse d’aucun poids sur cette question. Faut-il en appeler à l’ONU pour assurer le respect des règles démocratiques ?
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Romaric Lucien Badoussi
Docteur en science politique, spécialiste de la Cedeao et de la gouvernance démocratique
Publié le 15 décembre 2020 Lecture : 4 minutes.
Le paysage politique ouest-africain est devenu plutôt cafardeux pour tout démocrate convaincu. Si ce qui s’y passe ne correspond pas totalement à ce que Jean-François Bayart appelle une « restauration autoritaire » ou ce que Samuel Huntington désigne par l’expression « reverse wave » (vagues démocratiques en reflux), cela y ressemble beaucoup.
Il est vrai que le scénario à la limite cauchemardesque de la Côte d’Ivoire et de la Guinée ne peut être généralisé à l’ensemble de la sous-région. Les exemples cap-verdien et ghanéen, par exemple, viennent rappeler que cette zone géographique n’a pas cessé d’être compatible avec la démocratie. Mais la mauvaise nouvelle est que celle-ci y perd indiscutablement du terrain au profit d’une autocratie qui ne dit pas son nom.
Entourloupes et répression
Ici et là, le scénario est presque identique : remise en cause du principe de la limitation des mandats présidentiels à grand renfort d’entourloupes et d’arguties juridiques, processus électoraux non inclusifs et opaques, mise en branle d’un appareil répressif semant la terreur et imposant sur son passage des opérations de dénombrements macabres.
La classe politique de chacun des États a cru devoir retirer l’organisation des scrutins au ministère de l’intérieur pour la confier à une commission électorale censée neutre. Peine perdue !
Des cours constitutionnelles sont chargées d’assurer la gestion des contentieux électoraux et de garantir la transparence. La belle affaire ! La réalité est que ces cours se révèlent plutôt être des officines de manœuvres florentines.
Trente ans après les transitions démocratiques, les États marchent à reculons
Le principe de l’accréditation d’observateurs nationaux et internationaux est adopté pour dissuader les préposés aux tripatouillages. Illusion ! On l’aura compris. Leur présence participe d’une opération de charme qui apparaît comme un hommage du vice à la vertu. Ce n’est rien d’autre que la feuille de vigne destinée à masquer la hideur de processus électoraux ubuesques.
Trente ans après les transitions démocratiques du début de la décennie 1990, voilà des États qui marchent à reculons. Grâce à la maîtrise du cordon de la bourse et de l’appareil de répression, des potentats en imposent aux oppositions politiques et aux sociétés civiles, sous le regard médusé d’une communauté internationale plus impuissante que jamais.
Impuissante Cedeao
Et la Cedeao dans tout ça ? Elle a eu beau adopter une Déclaration de principes politiques et un Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance comprenant des principes de convergences constitutionnels, rien n’y fait ! L’on est tenté d’affirmer que tous ces textes sont de simples déclarations d’intention, de vains babils de sophistes, selon la formule de Rousseau.
La Cedeao en est réduite à égrener les camouflets que lui inflige une coterie de dirigeants au pedigree manifestement monarchique. Sa diplomatie préventive et ses médiations contribuent si peu à l’implémentation de la démocratie qu’elle a perdu la confiance et la sympathie des populations ouest-africaines. D’une façon générale, la teneur des rapports de ses missions d’observation électorale est une antienne : « Tout va très bien, Madame la marquise ! »
La faillite des organes électoraux nationaux et de l’organisation sous-régionale est donc patente ! Alors pourquoi ne pas envisager d’autres approches ? Pourquoi ne pas tourner les attentes vers l’ONU par exemple ? Et si l’on plaçait désormais les processus électoraux sous son autorité ? On imagine aisément des levées de boucliers et le maniement de la rhétorique souverainiste, si cela devrait arriver. Et pourtant en 2010, la Côte d’Ivoire est relativement sortie d’une longue crise politique grâce au rôle joué par les Nations unies. Le pays n’en a pas pour autant perdu sa souveraineté et n’en est pas devenu un territoire sous mandat onusien.
Les Nations Unies pourraient aider à assainir durablement les pratiques électorales
La Fifa intervient, elle, dans les affaires des fédérations africaines de football sans pour autant être taxée de néocolonialisme. Tout récemment, elle a cru devoir interrompre le processus destiné à désigner un nouveau président pour la Fédération ivoirienne de football afin de se donner le temps de clarifier des opérations que d’aucuns jugent non transparentes.
C’est dire que pour la préservation de la paix et le renforcement de la démocratie dans les États ouest-africains, une supervision des processus électoraux par l’ONU ne rimerait pas avec l’absurde. Ainsi celle-ci veillerait au recrutement, sur des bases objectives, de statisticiens et d’experts électoraux devant se charger de l’organisation technique des scrutins : confection du fichier électoral, dépouillement et décompte des voix. Elle se chargerait ensuite de la certification des résultats. Les acteurs politiques désigneraient des représentants qui observeraient la régularité des opérations sans être activement impliqués.
La mise en œuvre de telles mesures, le temps d’une génération, pourrait aider à l’assainissement durable des pratiques électorales dans la sous-région. La démocratie s’en porterait mieux, la paix serait sauvegardée et des vies humaines épargnées. À l’évidence, les dirigeants n’y consentiront jamais. Mais lorsqu’une majorité d’acteurs politiques, de personnalités civiles, de jeunes et de femmes auront formé une masse critique et y auront cru, le rêve pourra devenir une réalité.
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