Mustapha Benfodil l’écriture dans tous ses états

Ce jeune auteur au style fiévreux a reçu le prix du « Meilleur roman algérien » en 2004. Sa modestie n’en a apparemment pas souffert.

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

« Je suis désolé. » Mustapha Benfodil répète cette formule en boucle. Il en ponctue une phrase sur deux. Et ce n’est même pas agaçant. Face à cet adolescent de 36 ans au rire saccadé et à la longue silhouette un peu nerveuse, on est vite désarmé. Il ne comprend pas bien que vous vous intéressiez à lui. Derrière ses fines lunettes, il esquisse un sourire : « Il faut que je vous avoue quelque chose : je ne suis pas du tout connu ! » Pas si inconnu que ça en tout cas, lui qui s’est vu décerner le prix du « Meilleur roman algérien » en 2004 pour Les Bavardages du seul, livre-fleuve à l’écriture fiévreuse. Adolescent, tout en écrivant déjà, il voulait faire de l’astronomie. Mais après des études de mathématiques, il devient journaliste- reporter en 1994. Aujourd’hui, il travaille au quotidien Liberté.

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous êtes écrivain ou journaliste ?
Mustapha Benfodil : Il y a une ligne de démarcation bien précise entre mon métier de journaliste et mon travail d’écrivain. Quand j’écris un livre, je quitte mes bottes de baroudeur et je change de rythme de vie. Je suis totalement seul, je n’ai pas de portable, pas de relations avec l’extérieur. Grâce à la presse, j’exprime ma dimension citoyenne. Je ne reste pas badaud, je suis aux avant-postes. J’ai une idée très militaire du journalisme, qui s’exprime pour moi par des termes comme enrôlement, front, code d’honneur… Quant à la littérature, c’est la faculté de dire « je ». Le rapport au temps y est très différent. En journalisme, on traite de l’actualité dans un temps autorisé. Il est rare de pouvoir aller au fond des choses. Or je ne peux écrire des romans que si le temps et l’espace m’appartiennent. Pour Les Bavardages du seul, j’ai pris l’espace nécessaire : le livre fait 800 pages à la base, 500 ont été publiées. J’ai aussi pris le temps : j’ai mis cinq ans à l’écrire par tranches de deux ou trois mois.
J.A.I. : Votre livre est lu en Algérie ?
M.B. : Pas beaucoup ! Le statut de la fiction dans un pays où il existe un rapport très concret à la vie, doublé d’une tendance matérialiste de plus en plus visible, est une vraie question. Les Algériens sont passés d’une société globalement bédouine à une société post-moderne, sans faire de détour par la modernité. Beaucoup trouvent aussi que le roman algérien est trop réaliste. Ils préfèrent des histoires à l’eau de rose. Mon roman est arrivé comme un cheveu sur la soupe ! Un gros pavé qui résonne comme un bavardage oiseux. Les lecteurs algériens sont attirés par l’histoire, l’actualité, la politique. Les livres scolaires et parascolaires marchent bien. En somme, toute une littérature « utile ». Si l’offre était diversifiée dans des genres intermédiaires comme le polar ou la science-fiction, il serait plus facile d’initier des réflexes de lecture. Même des auteurs reconnus comme Anouar Benmalek, Yasmina Khadra ou Rachid Boudjedra sont peu lus dans leur pays.
J.A.I. : Vous avez un style très vivant, nourri d’argot, de mots arabes, parfois un style « parlé »…
M.B. : L’écrivain ne doit pas être dans une tour d’ivoire. C’est à la littérature d’aller vers les gens et de parler leur langage. Quand j’écris, il faut que ça sorte de mes tripes. En 2000, à la sortie de Zarta !, j’ai été traité d’auteur vulgaire. J’ai écrit ce roman pendant mon service militaire en 1997-1998 et j’ai reproduit de façon « sonore » le langage militaire, qui ne fait pas toujours dans la dentelle… J’écris en français, je parle l’arabe, et le kabyle est ma langue maternelle. Je suis à un carrefour linguistique. Chaque roman est pour moi une façon nouvelle d’apprendre à parler. Dans Les Bavardages du seul, roman bicéphale, je passe d’une langue ancienne, précieuse, à un langage très rock’n’roll. L’arabe recèle des potentialités très riches et c’est une langue que je ne veux pas perdre.
J.A.I. : Comment avez-vous réagi au prix de Meilleur roman algérien ?
M.B. : Ce prix est une première expérience que l’on doit à des gens courageux et à la mairie de Mohammadia, toujours à l’avant-garde. Fatima Saâdi, la présidente de la commune, a eu l’idée farfelue de monter un festival du roman algérien. Parallèlement, un jury a été chargé de lire tous les romans parus en 2003. Ce prix illustre combien le destin d’un livre est mystérieux. Pendant un an, mon roman a été mis en quarantaine, on disait qu’il était illisible, que je n’étais pas un auteur sérieux. Qu’un jury universitaire, habitué à disséquer du Mohamed Dib, se penche sur lui, c’était vraiment trop d’honneur, et je le dis sans fausse modestie ! Cela montre en tout cas qu’en Algérie on peut faire de l’écriture expérimentale, bousculer les standards romanesques et être apprécié…
J.A.I. : Des projets ?
M.B. : Un roman qui devrait s’intituler Mémoires d’outre-tombeur, une théorie du désordre amoureux. Ce sera l’histoire d’un homme qui a connu 999 femmes et, à la millième, il flanche et découvre le terrorisme amoureux. Mais en fait, ce livre… je ne l’ai pas encore commencé !

la suite après cette publicité

Bibliographie
Zarta !, roman, éd. Barzakh, Alger, 2000.
Les bavardages du seul, roman, éd. Barzakh, Alger, 2003
Les six derniers jours de Bagdad. Journal d’un voyage de guerre, éd. SAEC Liberté-Casbah, 2003.
Mustapha Benfodil est aussi l’auteur de plusieurs pièces de théâtre.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires