La polémique Andrieu

Un traitement apparenté à la thérapie cellulaire fait sensation. Jugé prometteur par certains, il est critiqué par d’autres. Son inventeur s’en explique.

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Depuis la formule choc du professeur Willy Rosenbaum au début de l’infection : « le vaccin antisida existe, c’est le préservatif », un nouvel espoir de vaccin thérapeutique – donc, non préventif – apparaît avec l’annonce d’un traitement élaboré par le Pr Jean-Marie Andrieu, cancérologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou, et son assistant, le chercheur franco-chinois Louis Wei Lu, de l’université Paris-V. Apparenté à la thérapie cellulaire individuelle explorée dans le domaine du cancer, ce traitement, expérimenté sur seulement dix-huit volontaires séropositifs au Brésil, utilise une préparation constituée d’une variété de cellules du système immunitaire dites « dendritiques » et de virus chimiquement inactivés. Pour J.A.I., le Pr Andrieu fait le point sur ses recherches controversées.

Jeune Afrique/l’intelligent : Accueillis avec la prudence qui s’impose, les résultats de votre vaccin sont néanmoins jugés prometteurs. Quelle est cette promesse ?
PR Andrieu : Pour arriver à un progrès thérapeutique qui permette de soigner tout le monde, empêche les malades de devenir contaminants et les bien-portants de contracter la maladie, il nous reste un long chemin à parcourir. J’espère que l’attente ne durera pas quinze ans et que je ne serai pas mort d’ici là. Mais elle pourrait bien durer trois ans, peut-être sept ou huit. Ce sera très difficile, très complexe, très onéreux, et cela dépendra de moins en moins de moi. Notre vaccin thérapeutique a fait modestement ses preuves en démontrant pour la première fois qu’une injection faisait baisser la quantité de virus dans le sang de 80 %. Chez huit malades sur dix-huit, un an après l’injection, la concentration virale était inférieure de plus de 90 % à ce qu’elle était initialement. Chez quatre patients, elle est tombée au-dessous du seuil qui correspond, selon les statistiques, à une non-contamination par voie sexuelle.
J.A.I. : Êtes-vous parti de vos recherches sur le cancer pour aboutir à la mise au point de ce vaccin thérapeutique ?
Pr A. : Je suis hématologiste, à moitié cancérologue, à moitié immunologiste, un peu virologue. Le cancer est une maladie proliférative dont on connaît de mieux en mieux les causes sans être vraiment capable de la soigner convenablement. La difficulté vient des restes de tissus cancéreux dans l’organisme après les soins de chirurgie ou de radio-chimiothérapie. On s’est mis en tête qu’en tordant le système immunitaire…
J.A.I. : C’est-à-dire ?
Pr A. : … en le forçant à faire ce qu’il n’est pas normalement capable de faire, on parviendrait à éliminer par des vaccins anticancéreux les cellules résiduelles responsables des récidives et des métastases. Nous avons appliqué cette même réflexion aux maladies infectieuses qu’on appelle « chroniques » parce que le système immunitaire n’a justement pas été capable d’éradiquer par lui-même l’agent de l’infection.
J.A.I. : Pourquoi le vaccin a-t-il été efficace sur une moitié de vos malades et pas sur l’autre ?
Pr A. : Pour que le vaccin « marche » bien et durablement, il faut un bon résidu de cellules immunitaires. Si on ne peut les mettre en oeuvre parce que le système est déjà trop altéré, les résultats restent très provisoires. En effet, notre prototype vaccinal vient stimuler des cellules dites tueuses (qui, malheureusement, ne fonctionnent pas au cours de l’infection). Il permet à ces cellules tueuses de s’armer d’un pic à glace, la perforine, qui vient détruire les cellules infectées par le virus du sida. Les patients qui ont encore un nombre convenable de cellules immunitaires sont aptes à produire cette perforine ; ceux qui sont déjà plus avancés dans la maladie ne sont plus capables de mettre cette perforine en oeuvre. Pour autant, nous ne perdons pas espoir. Nous préparons un nouveau module de vaccin dix fois plus actif.
J.A.I. : Que répondez-vous à ceux qui contestent vos résultats et vous reprochent la précipitation « manipulatrice » de leur annonce ?
Pr A. : Je ne leur réponds rien. Tout travail de recherche peut être contesté. C’est très facile : il suffit de faire la démonstration auprès de la revue qui a publié ces résultats qu’ils sont faux ou mensongers. La contestation par tel ou tel par voie de presse est, en revanche, indigne d’un scientifique. C’est un acte qui se rapproche du négationnisme. Il reste qu’une revue telle que Nature Medicine est d’une très grande exigence. La grande majorité des travaux qui lui sont présentés n’y sont pas jugés suffisamment nouveaux ou suffisamment étayés méthodologiquement pour y être publiés. Son comité de rédaction a accepté notre étude après six mois d’échanges croisés supervisés par quatre experts que je ne connaissais pas et dont aucun ne connaissait les autres. J’avais prudemment écrit que les résultats de notre vaccin étaient « riches de signification » (meaningfull). Ce sont nos interlocuteurs de la revue qui ont corrigé pour dire qu’ils étaient particularly promising. Une telle rigueur d’échanges avant publication, pour moi, cela s’appelle la science.
J.A.I. : Si l’on vous proposait de poursuivre vos expérimentations aux États-Unis, que décideriez-vous ?
Pr A. : On me l’a proposé. Ce serait à la fois une tentation, une possibilité et un désespoir.

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