Algérie : « Un jour idéal pour mourir », la fable amorale de Samir Kacimi

« Un jour idéal pour mourir », de Samir Kacimi, est pour la première fois traduit en français. L’histoire d’un journaliste algérien qui voit défiler devant ses yeux ses 40 ans d’existence dans un pays perclus de contradictions.

Le quartier de Bab el Oued, à Alger © Clément Guillaume/LA COLLECTION

Le quartier de Bab el Oued, à Alger © Clément Guillaume/LA COLLECTION

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Publié le 19 décembre 2020 Lecture : 3 minutes.

La France découvre dans le désordre l’œuvre traduite de l’arabe de Samir Kacimi. Un jour idéal pour mourir, sélectionné en 2010 pour l’International Prize for Arab Fiction, est le deuxième roman de l’écrivain et journaliste algérien né en 1974. C’est aussi le deuxième de ses sept livres à être publié en France après L’amour au tournant, en 2017. Kacimi y explore l’Alger des marges en tant que miroir grossissant de la société. Dix ans avant le Hirak, il en explore les points de frictions et les impasses.

Un jour idéal pour mourir raconte dix secondes. C’est le temps qu’il faut à Halim Bensadek, qui s’est jeté du haut d’un immeuble, pour s’écraser au sol. Dans ces dix secondes qui se dilatent, la vie du protagoniste défile dans le désordre. Des flashs lui reviennent au hasard : une bribe de conversation entendue en montant les escaliers, un regard croisé parmi la foule en contrebas, un téléphone qui sonne dans sa poche…

« Un jour idéal pour mourir » de Samir Kacimi traduit par Lotfi Nia (éd. Sindbad Actes Sud, 118 p., 15 €) © Editions Actes Sud

« Un jour idéal pour mourir » de Samir Kacimi traduit par Lotfi Nia (éd. Sindbad Actes Sud, 118 p., 15 €) © Editions Actes Sud

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Ces échos du passé le renvoient à des souvenirs personnels. Ainsi se reconstitue le puzzle de l’existence de ce journaliste de 40 ans qui a planifié tous les détails de sa mort, y compris la façon dont elle sera commentée. Sa manière de reprendre la main, lui qui a été victime de concours de circonstances malheureuses.

Tabous et corruption

Les chemins sinueux qui ont mené à cette situation paroxystique mettent en scène une galerie de personnages. Omar Tounba, le voisin d’Halim, est un voyou qui fut jadis son camarade de classe. Il a sombré dans l’apathie à la suite de consommation abusive de drogues et d’alcool. Omar Tounba ne s’est jamais remis de la rupture imposée par son père avec une femme car celui-ci a eu des relations sexuelles avec elle.

Celle que l’on a surnommé Nissa Buttous traîne quant à elle la réputation de fille facile auprès des hommes du quartier ainsi qu’un lourd héritage familial. Halim Bensadek lui-même a dû annuler son mariage quelques semaines avant la cérémonie, après s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment…

L’engrenage dans lequel les personnages se retrouvent pris est une allégorie des maux de la société algérienne

Les trajectoires individuelles se croisent et s’entrechoquent. Les gouttes d’eau font des rivières qui se transforment en océans : ainsi se met en branle une mécanique implacable où le hasard le dispute à l’absurde. Chacun est un complice involontaire du destin qui a conduit Halim à vouloir se suicider.

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Un jour idéal pour mourir est une fable amorale. Secrets de famille, tabous, enfermement de la cité, manque de perspective, corruption et frustrations sexuelles servent de combustible aux failles personnelles des personnages. L’engrenage dans lequel chacun se retrouve prisonnier est une allégorie des maux de la société algérienne, de ses contradictions et ses scléroses.

Humour grinçant

La construction est originale, deux chapitres, 1 et 1 bis, chaque partie débute de la même façon puis la suite bifurque. Comme on dirait en sciences physiques, à l’état initial, des forces contraires s’exercent simultanément sur les corps et sont susceptibles de les conduire dans des chemins opposés. Ce qui peut se faire dans un sens peut se défaire dans l’autre. Chance et malchance, bonheur et malheur tiennent à un fil, dans une dialectique dont nous sommes les marionnettes.

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L’humour grinçant des situations et du dispositif narratif culmine dans un chapitre 2, aussi court que désopilant, où l’expression « ironie du destin » prend tout son sens. En un roman court, percutant et caustique, Samir Kacimi impose un style, un regard sur l’Algérie, et une réflexion sur la condition humaine. On se réjouit qu’il reste cinq autres livres à traduire de cet écrivain, en espérant que beaucoup d’autres suivront.

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