Du neuf avec du vieux ?

Rajeuni et élargi, le nouveau gouvernement traduit avant tout le souci de remercier ceux qui ont aidé à la réélection de Paul Biya. Quitte à décevoir les partisans d’une vraie ouverture.

Publié le 13 décembre 2004 Lecture : 8 minutes.

Il existe, ces temps-ci, deux catégories de hâbleurs au Cameroun. Ceux, tout d’abord, qui prétendaient connaître la date, a fortiori le contenu, de l’annonce du nouveau gouvernement. Nul, en dehors de Paul Biya lui-même, et jusqu’aux premières heures de ce mercredi 8 décembre, n’était en mesure de savoir quel savant dosage sortirait des cuisines de Mvomeka’a, le village où le président concocte la plupart de ses grandes décisions. Tous ou presque ont appris leur fortune ou leur disgrâce en même temps que l’opinion publique : par la radio. Ceux, ensuite, ministres appelés, mais surtout ministres exclus, qui jurent la main sur le coeur que leur sort leur est indifférent, voire qu’ils sont soulagés de pouvoir enfin cultiver leur jardin. Dans ce pays où la vie politique est aussi animée que les eaux du lac Tchad un jour de canicule, le moindre remaniement prend des allures d’événement national, et la fonction même de ministre est surinvestie en termes de réussite sociale. Ici, le membre du gouvernement est un roitelet, entouré d’un protocole strict, inimaginable en Afrique de l’Ouest, affublé d’une ordonnance et en grand uniforme, constamment suivi par une petite cour très appliquée à reproduire à son niveau l’étiquette qui règne au palais présidentiel d’Etoudi. Si la moindre nomination est fêtée à n’en plus finir au domicile de l’impétrant, le moindre limogeage est donc vécu dans une atmosphère lugubre de veillée funèbre. Au-delà de l’individu, en effet, c’est un village, un département, voire une région entière qui sont affectés, en bien comme en mal. Annoncé deux mois après l’élection présidentielle du 11 octobre (Paul Biya vainqueur, est-il besoin de le rappeler, avec 70,92 % des voix), le nouveau gouvernement camerounais n’échappe donc pas à cette grille de lecture essentielle : la grande roue du pouvoir qu’actionne l’horloger suprême de Mvomeka’a sait aussi bien accueillir que broyer.

Les perdants. Commençons par eux, même s’ils savent qu’avec Biya rien n’est définitivement perdu pour ceux qui vivent leur deuil dans le silence et avec une infinie patience. Premier ministre depuis huit ans, Peter Mafany Musonge s’en va dans la discrétion. Cet honnête homme de 62 ans n’a ni mérité ni démérité : à ce poste difficile et en partie honorifique, l’anglophone de Buéa s’est efforcé de gérer le temps qui passe sans faire de vagues – mission accomplie. Autre départ attendu : celui du ministre de l’Économie et des Finances Michel Meva Meboutou, 65 ans. Ce Béti fidèle et loyal était en froid – c’est le moins qu’on puisse dire – tant avec ses collègues du gouvernement qu’avec les bailleurs de fonds. L’exclusion du Cameroun par le FMI de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), en août 2004, lui a porté le coup de grâce. À la trappe aussi l’inamovible Hamadjodja Ajoudji, ministre de l’Élevage et des Pêches depuis… 1982 ! Ainsi qu’Antoine Zanga et Roger Melingui, figures connues du tout-Yaoundé. Atteint par la limite d’âge, le directeur général de la Sûreté (DGSN), Pierre Minlo Medjo, ancien patron de la sécurité présidentielle, abandonne son uniforme de superflic de la République. Avec lui quitte la scène le dernier commissaire formé à l’époque coloniale. Mais sur la liste d’une quinzaine de personnalités ainsi limogées, c’est le nom de Joseph Owona qui a le plus surpris. Ce juriste de 59 ans, secrétaire général de la présidence, puis ministre sans interruption, le tout depuis près de vingt ans, quitte l’Éducation nationale sans retrouver d’affectation. Grande gueule, forte tête, activiste, « Massayo » était l’un des rares baobabs du régime. Chef suprême des Ewondos, on l’imagine très mal à la retraite, durablement éloigné d’un Biya qu’il connaît mieux que personne.

la suite après cette publicité

Les gagnants. Ephraïm Inoni, bien sûr. Le nouveau Premier ministre est, exactement comme son prédécesseur, un Bakweri anglophone du Sud-Ouest. Natif de Limbe, diplômé de l’École nationale d’administration (Enam) de Yaoundé et titulaire d’un MBA obtenu à Washington, ce haut fonctionnaire de 57 ans spécialisé dans les finances publiques était depuis une décennie secrétaire général adjoint à la présidence. À ce titre, il gérait de près le délicat dossier du Cameroun anglophone. Anglican, Inoni a une réputation de travailleur pointilleux. Reste à savoir s’il parviendra, mieux que Mafany Musonge, à imposer son autorité sur les ministres. Amadou Ali, ensuite. Le garde des Sceaux conserve son portefeuille, mais acquiert le titre créé pour lui de vice-Premier ministre et le rang de numéro deux du gouvernement. Une consécration pour cet Extrême-Nordiste de 61 ans, dont la région a une nouvelle fois prouvé en octobre qu’elle constituait un réservoir de voix essentiel pour Paul Biya (voir encadré p. 10). Rémy Ze Meka, 52 ans, patron de la gendarmerie depuis quatre ans, devient ministre de la Défense, un poste de confiance. Ce Fong du Sud, administrateur civil passé par le séminaire, la faculté de droit et l’incontournable Enam, est un homme à poigne qui eut par le passé à gérer deux affaires brûlantes : celle des neuf disparus de Bepanda et l’incendie de la poudrière militaire de Yaoundé. Sa nomination, tout comme celle de l’ancien directeur du cabinet civil de la présidence, Alain Mebe Ngo’o, 48 ans, à la tête de la DGSN, traduit un évident resserrement géographique des « sécurocrates » du régime. Tous deux sont des Bétis du Dja et Lobo, le département d’origine de Paul Biya. Tout comme l’est aussi le nouveau ministre de l’Économie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, Fong de Zoétélé, formé aux États-Unis, féru d’administration fiscale et budgétaire. Directeur des impôts depuis six ans, Abah Abah entretenait des relations plus que délicates avec son ministre de tutelle Michel Meva Meboutou – ce qui n’a pas peu contribué à lui forger une bonne image aux yeux de l’opinion. À lui désormais de renouer avec les bailleurs de fonds…
Autre promotion remarquée : celle de Pierre Moukoko Mbonjo, 50 ans, qui abandonne l’immeuble de la primature, où il exerçait les fonctions de directeur de cabinet, pour le fauteuil de ministre de la Communication. Ce docteur en sciences politiques, habile et ambitieux, souvent brillant, a toujours entretenu de bons contacts avec le monde des médias depuis l’époque où, conseiller spécial de Sadou Hayatou, il introduit au Cameroun la technique des points de presse hebdomadaires. Sawa de Douala, bien implanté dans le Nkam, où il a relancé le parti au pouvoir, Moukoko Mbonjo, franc-maçon, est aussi un homme de réseaux. À signaler également l’entrée au gouvernement de deux universitaires connus pour leur indépendance d’esprit : Maurice Kamto, un juriste respecté, devient ministre délégué à la Justice, et Benjamin Amama Amama, directeur de l’Enam, se voit attribuer le portefeuille de la Fonction publique. Longtemps proche du puissant ministre de l’Administration territoriale Marafa Hamidou Yaya, dont elle s’est quelque peu éloignée, Adama Haman accède au poste de ministre de l’Éducation de base – une récompense pour cette originaire de Garoua, très active dans sa région. Retour remarqué, enfin, de l’inclassable et tonitruant Toupouri, Dakole Daïssala, qui aura décidément tout connu sous Paul Biya : le bagne de Tcholliré après la tentative de coup d’État d’avril 1984, un poste de ministre au début des années 1990, la disgrâce, l’opposition, le ralliement à la veille de la présidentielle et un nouveau maroquin bien dans les cordes de cet ancien patron de la Sotuc : celui des Transports. Preuve, sans doute, qu’il ne faut jamais désespérer… On gardera pour la fin de la rubrique « perdants » le cas paradoxal de Gervais Mendo Ze, nommé ministre délégué auprès du titulaire de la Communication Pierre Moukoko Mbonjo. Une promotion qui n’est qu’apparente tant ce personnage de 60 ans, haut en couleur, écrivain prolixe et homme-orchestre omniprésent sur les écrans, jouissait depuis seize ans à la tête de la CRTV (radio et télévision camerounaise) d’un statut, d’une marge de manoeuvre et d’une notoriété infiniment supérieurs au strapontin dont il hérite. À lui seul, le déplacement de ce mariologue, chef d’une chorale réputée, vers des eaux bien moins médiatiques est une petite révolution.

Les confirmés. Jean-Marie Atangana Mebara, 50 ans, conserve dans le nouveau gouvernement le portefeuille crucial de ministre d’État secrétaire général de la présidence. Une longévité qui est aussi une rareté dans le système Biya. Cet originaire de Mbankomo (périphérie de Yaoundé), titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation, ancien séminariste, catholique très pratiquant et amateur de Haendel, gère avec doigté et discrétion à la fois sa proximité professionnelle avec le chef de l’État et son rôle de charnière, de filtre et de bouclier entre ce dernier et les multiples conflits d’intérêts qui s’entrechoquent aux grilles du palais d’Etoudi. Autre « quinqua » maintenu à son poste : Marafa Hamidou Yaya, ministre d’État chargé de l’Administration territoriale (Intérieur). L’enfant de Garoua, dont il est devenu le « patron » incontesté, ingénieur pétrolier de formation, s’est beaucoup dépensé pour que l’élection présidentielle d’octobre soit la plus incontestable possible. Discret et prudent, à l’image des Peuls, dont il est la principale figure au sein du régime, Marafa a, en outre, entamé un travail fondamental de modernisation du corps administratif, qu’il pourra donc poursuivre. À 62 ans, Laurent Esso, Sawa de Douala et magistrat adepte du consensus, poursuit sans bruit une carrière ministérielle sans heurts. De la Défense, il passe aux Relations extérieures avec un challenge à la clé : dynamiser une diplomatie contaminée par la mouche tsé-tsé. Y parviendra-t-il ? Jacques Fame Ndongo, enfin, 54 ans, passe de la Communication à l’Enseignement supérieur. Le « scribe du prince », écrivain et journaliste, y retrouvera ses marques, lui qui fut recteur de l’Université de Yaoundé. Avec, comme d’habitude chez lui, une dose de passion.

Une recette éprouvée. Que dire de ce gouvernement ? Sa moyenne d’âge a baissé, son effectif est impressionnant, sans doute le plus élevé du continent (37 ministres, 11 ministres délégués et ministres chargés de mission, 10 secrétaires d’État, 2 secrétaires généraux adjoints à la présidence avec rang de ministre), il compte toujours aussi peu de femmes (6), et sa répartition régionale relève du grand classique de l’ère Biya : le Centre-Sud et le Grand-Nord raflent à eux deux 70 % des portefeuilles. Le souci du dosage, à la fois ethnique, régional et départemental, a évidemment joué un rôle majeur, tout comme celui de récompenser la vaste coalition qui a reconduit Paul Biya au pouvoir. Pas dupes, les Camerounais savent bien que certains ministres doivent leur poste au sein de ce gouvernement postélectoral au moins autant à leurs qualités représentatives qu’à leurs compétences supposées. Ils n’en ont cure et attendent simplement les heureux élus au tournant de leur générosité redistributrice. Ainsi va le Cameroun…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires